Théroigne de Méricourt
Théroigne de Méricourt, une femme mélancolique sous la Révolution
Un livre d’Élisabeth Roudinesco, préfacé par Élisabeth Badinter
Fiche de lecture réalisée par Gilles Delalandre
Dans un article précédent, intitulé « Les Pétroleuses », j’ai raconté l’histoire des femmes qui avaient participé à la Commune de Paris, en 1871.
Dans cet article, je remonte encore un peu le temps, jusqu’à la Révolution de 1789 pendant laquelle les femmes ont également joué un rôle important. Peu d’entre elles ont fait partie des dirigeants et laissé leur nom à la postérité, mais on peut néanmoins citer quelques femmes qui ont activement participé à la construction de ce nouveau monde :
- Olympe de Gouges
- Pauline Léon
- Manon Roland
- Claire Lacombe
- Etta Palm d’Aelders (Néerlandaise)
- Mary Wollstonecraft (Anglaise)
et Théroigne de Méricourt (Belge).
Pourquoi choisir de parler de Théroigne de Méricourt plutôt que d’une autre combattante ? Toutes ces femmes ont eu des convictions, ont mené des luttes, ont connu des réussites et certainement aussi de nombreuses déceptions. Leurs vies sont toutes intéressantes à découvrir.
J’ai eu envie d’écrire cet article après avoir lu une très bonne biographie, écrite par Élisabeth Roudinesco, et préfacée par Élisabeth Badinter.
On y découvre une femme qui porte des idées révolutionnaires et qui se bat pour les faire aboutir. Mais elle n’est pas une héroïne de roman. C’est une femme « comme les autres », avec des souffrances et des frustrations, des espoirs et des désillusions. C’est une femme « comme les autres » certes, mais qui, pendant cinq ans, a été sublimée par les années grandioses de la Révolution et s’est battue pour des idées nouvelles, en faveur de l’émancipation des femmes, envers et contre tous, ou presque.
Élisabeth Roudinesco est psychanalyste et historienne.
En une vingtaine d’ouvrages, elle a abordé les liens entre psychanalyse, histoire, littérature, féminisme, révolution française et judaïsme. (Wikipédia)
Un court résumé de la vie de Théroigne de Méricourt
Née en 1762, Théroigne de Méricourt connaît une enfance difficile : abandonnée dès le plus jeune âge, elle ne reçoit l’instruction que tardivement. Devenue adulte, pour vivre et garder son indépendance, elle devient courtisane jusqu’en 1789. Elle sera pendant un temps entretenue par un marquis jaloux puis se fera escroquer par un castrat de La Chapelle Sixtine qui lui fera miroiter une carrière de musicienne en Italie.
Elle vit ensuite une période d’engagement révolutionnaire de 1789 à 1794, de 27 à 32 ans.
La Révolution française est une période complexe de l’histoire de France que l’autrice nous raconte avec clarté. On y parcourt les étapes de la disparition de la monarchie et de la création de la République, les divers courants qui s’opposent, les Girondins venus de province qui prônent un système fédéral décentralisé et les Jacobins favorables à la centralisation, les personnages clefs qui vont faire et défaire cette construction d’un monde politique nouveau (Danton, Marat, Robespierre, Mirabeau, etc.), la valse sombre de la Terreur et le nombre effarant de clients pour la guillotine.
Élisabeth Roudinesco nous livre aussi une étude détaillée du rôle joué par les femmes, celles du peuple dont on ne connaît pas le nom, et celles qui ont marqué l’Histoire par leurs idées et leur combat.
À la faveur du combat pour la liberté, Théroigne de Méricourt se construit une identité nouvelle, ouvre un salon de débat et réflexion à Paris et fonde une société patriotique, le Club des Amis de la Loi. Elle devient alors la cible de la presse royaliste qui fait d’elle une libertine sadienne. Parée de cette légende, et accusée à tort d’avoir mis en danger la sûreté de la reine Marie-Antoinette, elle est accusée d’espionnage, livrée à la justice autrichienne, puis libérée par l’empereur Léopold qui reconnaît son innocence.
En 1792, au sommet de sa gloire, elle s’allie aux Girondins et devient l’une des figures de proue du féminisme guerrier, réclamant la levée de « bataillons d’amazones » pour combattre les monarchies aux frontières.
Cette période révolutionnaire se termine mal. Ayant choisi le camp des Girondins, elle est marginalisée quand ceux-ci perdent le pouvoir au profit des partisans de Robespierre. Elle est alors rejetée, dénigrée et agressée verbalement et physiquement. La fin de sa vie est une longue période de dégradation mentale puis d’aliénation pendant laquelle elle sera internée en hôpital psychiatrique où elle décédera en 1817. La folie la sauvera de la guillotine, contrairement à Olympe de Gouges et Manon Roland.
Grâce à sa connaissance de l’histoire de la psychiatrie, l’autrice nous fait découvrir l’abominable univers des asiles d’aliénés et la naissance d’une psychiatrie dite « moderne ».
Dans le dernier chapitre de son livre, Élisabeth Roudinesco nous décrit la légende qui s’est construite autour du personnage de Théroigne. En effet, de mythe vivant, Théroigne de Méricourt deviendra une héroïne dans les poèmes de Baudelaire, dans l’œuvre de Michelet et, plus tard, au théâtre sous les traits de Sarah Bernhardt. On la retrouve même dans le jeu vidéo Assassin’s Creed Unity.
Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,
Excitant à l’assaut un peuple sans souliers,
La joue et l’œil en feu, jouant son personnage,
Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ?
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857)
Extraits du livre
Il nous faut maintenant citer ici des extraits de ce livre, pour détailler l’action de Théroigne de Méricourt pendant la période révolutionnaire.
Élisabeth Roudinesco nous révèle que Théroigne de Méricourt n’est pas son vrai nom. En réalité, elle s’appelait Anne-Josèphe Terwagne et était née à Marcourt, près de Liège en Belgique. Ce surnom lui a été donné par les journaux royalistes (il en existe de nombreux jusqu’à la mort de Louis XVI : Les Amis du Roi, La Gazette de Paris, Les Actes des apôtres) qui cherchent ainsi à la ridiculiser « en lui donnant un nom de mascarade aux allures nobiliaires ».
Son nom, Terwagne, devient alors son prénom, et son village d’origine, Marcourt, son nom, Méricourt. Devenant son nom de révolutionnaire officiel, il est également utilisé par la presse révolutionnaire, notamment Les Révolutions de Paris, journal de Louis Marie Prudhomme, qui mènera de nombreuses campagnes anti-féministes.
Voici quelques extraits de ce livre :
La participation des femmes à la Révolution fut collective ou individuelle.
« D’un côté, les femmes interviennent de façon massive, en commun avec les hommes, et avec l’espoir de fonder un système global qui abolira les inégalités d’Ancien Régime. Dans ce type d’action, les femmes ne combattent pas pour des objectifs propres. L’infériorité de leur condition leur paraît un problème secondaire : soit parce qu’elles n’ont pas une conscience claire de la spécificité de leur condition, soit parce que la solution à cette infériorité leur semble dépendre de celle apportée par la Révolution au problème général de l’inégalité et de la liberté.
D’autre part, se développe chez une élite composée de quelques femmes, de philosophes et d’hommes politiques, une prise de conscience des formes spécifiques de l’inégalité féminine, qui autorise une lutte en faveur de l’égalité des droits. Cette lutte est d’autant plus activée par les débuts de la Révolution que celle-ci conduit à la chute de l’Ancien Régime et au projet de refonte globale de la société. »
Le féminisme originel
« On peut appeler féminisme originel ou premier féminisme cette pratique qui associe une lutte en faveur de l’égalité des droits pour les deux sexes à un projet révolutionnaire de transformation générale de la société […]. Malheureusement, ce féminisme est minoritaire et récusé par la plupart des factions patriotiques. Il se maintiendra sous des formes variables jusqu’à l’interdiction des organisations féminines à l’automne 1793.
Trois phases sont à distinguer dans l’évolution de ce féminisme originel :
- Jusqu’en janvier 1792, il s’agit d’un féminisme théorique, qui donne naissance à un combat légaliste en faveur des droits civiques et politiques. Ce combat utilise les moyens de l’éloquence parlementaire, du pamphlet et de la rhétorique des clubs. Il est plutôt élégant et d’allure élitiste.
- Avec le débat sur la guerre s’amorce la deuxième phase de ce mouvement. Il s’agit alors d’un féminisme guerrier, qui propose de lever des légions d’amazones contre l’ennemi de l’extérieur. Dans cette lutte où la parole descend dans la rue et encourage le sabre, l’action de Théroigne aux côtés des Girondins est à son apogée.
« Françaises, je vous le répète encore, élevons-nous à la hauteur de nos destinées, brisons nos fers. Il est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité où l’ignorance, l’orgueil et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ! »
Discours prononcé à la Société fraternelle des minimes, le 25 mars 1792.
- Enfin, après l’insurrection du 10 août 1792 (chute de la monarchie constitutionnelle), l’histoire du féminisme originel entre dans sa troisième phase avec l’entrée en scène de Claire Lacombe et du Club des citoyennes républicaines révolutionnaires. Cette phase prolonge la seconde mais conduit au surgissement d’une sans-culotterie féminine (mouvement populaire proche de Robespierre et s’opposant à la période de la Monarchie constitutionnelle) qui propose d’armer les femmes contre l’ennemi intérieur (les contre-révolutionnaires).
Le féminisme originel se distingue du féminisme radical qui se développera après la Révolution quand le mot aura été inventé par Fourier en 1837 [...]. Le féminisme radical se pense comme une lutte des sexes et n’admet pas au préalable à ses exigences [...] une revendication égalitaire générale. »
Les droits civiques des femmes
En juillet 1790, commence à l’Assemblée le grand débat sur l’admission des femmes au droit de cité (droit de vote et d’être élue). Condorcet prend la parole et son discours est un vrai manifeste en faveur du féminisme. Il part de l’idée que la Déclaration des droits de l’homme a privé la moitié du genre humain du droit de concourir à la formation des lois.
Pendant toute l’année 1791, le combat amorcé en faveur de l’égalité se poursuit à travers la discussion des thèses de Condorcet, l’action des clubs et le militantisme d’Etta Palm, qui fonde la Société des Amies de la vérité, premier club exclusivement féminin de la période révolutionnaire.
Parallèlement, le discours patriotique, d’inspiration rousseauiste (1), prend pour cible ce premier féminisme.
Louis Prudhomme, fondateur du journal Les Révolutions de Paris, mène une croisade contre le féminisme. Il demande aux femmes « d’être des meurtrières contre l’ennemi s’il envahit la France mais surtout de rester chez elles pour s’occuper du foyer des braves patriotes. »
En novembre 1791, il écrit : « De tout se qui se passe hors de chez elle, une femme ne doit savoir que ce que ses parents ou son mari jugent à propos de lui apprendre. Nous ne nous avisons pas de venir vous donner des leçons pour apprendre à aimer vos enfants, épargnez-nous la peine de venir dans nos clubs nous tracer les devoirs des citoyens. »
Pendant cet automne, l’évènement féminin le plus spectaculaire est la publication par Olympe de Gouges de la fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Olympe de Gouges fait là un acte militant. Elle s’adresse à la reine et aux femmes en leur demandant de prendre en main leur destinée.
La rédaction de cette œuvre est comme un pastiche construit point par point sur le modèle de la fameuse Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : même nombre d’articles, même vocabulaire, etc., sauf à l’article X où est énoncée cette phrase étonnamment prophétique : « Une femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à La Tribune. »
Olympe de Gouges est guillotinée le 3 novembre 1793 pour avoir proposé dans une de ses brochures que le peuple, par référendum, choisisse la forme du régime politique qui convient à la France : gouvernement républicain centralisé, fédératif ou monarchique. Les révolutionnaires ne tolèrent pas qu’elle puisse remettre en cause la République. Ils la font interpeller et arrêter : le prétexte est ainsi trouvé par ses puissants ennemis pour la réduire au silence. Le 19 novembre 1793, le journal Le Moniteur avertit toutes les femmes qui manifesteraient la prétention de s’immiscer dans la sphère politique : « Elle voulut être homme d’État, et il semble que la loi ait puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe. » Ainsi, cette tentative d’affirmation de son identité féminine et la légitime revendication de l’égalité des droits civils et politiques des deux sexes, se solde par un échec.
Élisabeth Roudinesco nous donne un exemple de l’œuvre de dénigrement des femmes menée par la presse royaliste : « La palme de l’horreur revient au journaliste François Suleau pour qui la femme entrée en révolution porte les stigmates d’une maladie honteuse : “J’ai soigneusement vérifié que de toutes les femmes qui se sont attelées au char de la Révolution, il n’en est pas une qui ne soit à ranger dans cette dégoûtante catégorie (les vieilles, les laides, les infirmes). Quelques vieilles douairières cacochymes et édentées se sont follement persuadées que c’était un talisman pour se rajeunir, que de se jeter à corps perdu dans le torrent de la nouveauté, pensant follement que ce fameux système de l’égalité [...] aurait nécessairement la vertu d’effacer leurs rides et de recrépir leurs appâts surannés.” »
Une amazone
Théroigne de Méricourt a revendiqué pour les femmes le droit de participer à la lutte armée en créant des bataillons d’amazones. Elle s’est elle-même habillée en amazone pendant toute la Révolution. Élisabeth Roudinesco la décrit ainsi lors de la journée du 10 août 1792, pendant laquelle plusieurs royalistes furent massacrés par la foule en colère : « À ce moment surgit Théroigne de Méricourt, vêtue d’une amazone de drap bleu et coiffée d’un feutre à la Henri IV, surmonté de plumes noires. À la ceinture, elle porte une paire de pistolets et un poignard. Dans trois jours, elle aura trente ans. »
On trouve la description de ce vêtement dans Wikipédia : l’amazone est une tenue de cheval féminine composée d’une longue jupe ou d’une robe étroite très longue et large, boutonnée par-devant avec une veste très cintrée.
La santé mentale de Théroigne de Méricourt
À partir de 1794, Théroigne perd son aura auprès des dirigeants de la Révolution et se voit aussi rejetée par le peuple. Un jour, elle est prise à partie par un groupe de femmes du peuple, des sans-culottes, qui soulèvent ses robes et la fessent en public. Elle ressort humiliée et traumatisée par cette agression.
Sa santé mentale se dégrade rapidement. Élisabeth Roudinesco nous donne alors la description très détaillée de la vie dans les asiles.
« Enfermées pour toujours à l’asile, les folles exhibent des vêtements sales et déchirés. Elles vivent au milieu des immondices, sont maltraitées par leurs gardiennes qui les enchaînent à des loges, sortes de cabanons séparés des visiteurs par un couloir de grilles. Les plus furieuses mangent leurs excréments tandis que d’autres les repoussent vers des râteaux qui servent à les ramasser. Nourries comme des animaux, elles reçoivent à travers des barreaux le pain, la soupe et la paille dont elles font leur pitance et leur litière. Certaines sont étreintes à un anneau, rivé à la muraille du cabanon et empêchant tout mouvement des mains et des pieds. En hiver, lors des crues de la Seine, les loges deviennent des réduits malsains, infestés de rats et de vermine… »
Théroigne de Méricourt vivra de nombreuses années dans ces asiles qui ne peuvent que provoquer une augmentation de la démence.
La Révolution française a eu lieu il y a 230 ans ! C’est peu au regard de l’histoire de l’humanité. Pourtant, notre société et la place des femmes ont beaucoup changé depuis cette époque.
Vous voyez, il reste du chemin à parcourir pour sortir du patriarcat mais on a déjà bien progressé !
(1) Discours d’inspiration « rousseauiste » : « Issu de l’ancienne théorie des tempéraments, ce discours prend pour référence majeure les positions exprimées par Jean-Jacques Rousseau dans l’Émile et dans La Nouvelle Héloïse.
Renversant la perspective chrétienne, Rousseau affirme que la femme est le modèle primordial de l’humain. Mais ayant perdu l’état de nature, elle est devenue un être artificiel, factice et mondain. Pour se régénérer, elle doit donc apprendre à vivre selon sa véritable origine.
La régénération va de pair avec le retour à un langage d’avant les mots et la pensée, capable de traduire l’amour conjugal et maternel. Celui-ci s’apparente à une naissance physiologique de la féminité, selon laquelle la femme serait un être corporel instinctif, sensible, faible dans ses organes et surtout inapte à la logique de la raison. Sa nature l’oblige à une activité de complétude à l’égard de l’homme, qui incarne les sens de la puissance intellectuelle. »
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