Les oubliées de l'histoire du féminisme
par Catherine Le Magnen
Fondatrice d’un journal féministe en 1897, elle est l’une des pionnières qui ouvre la voie vers une vie nouvelle pour les femmes dès le XIXe siècle, pendant les périodes que l’on a nommées la “belle époque” et “les années folles”.
Qui est Marguerite Durand (1864-1936) ?
Fondatrice d’un journal féministe en 1897, elle est l’une des pionnières qui ouvre la voie vers une vie nouvelle pour les femmes dès le XIXe siècle, pendant les périodes que l’on a nommées la “belle époque” et “les années folles”.
D’abord comédienne à la Comédie française dans sa jeunesse, puis journaliste féministe et militante, elle donne à la postérité la documentation qu’elle a accumulée. Elle crée ainsi en 1931 la bibliothèque spécialisée sur l’histoire des femmes, du féminisme et du genre, installée dans un premier temps à la mairie du 5e arrondissement de Paris. Aujourd’hui, l’importante bibliothèque Marguerite Durand occupe un étage au sein de la médiathèque du 13e arrondissement, tout près de l’université de Tolbiac (Paris Panthéon-Sorbonne).
Elle écrit en 1932 : “On ne sait rien de l’admirable activité des femmes, et même les féministes ignorent les trois quarts de ce qu’ont fait, dans tous les ordres des préoccupations humaines, leurs aïeules, leurs mères ou leurs contemporaines.” Encore vrai, me semble-t-il !
Comédienne dans sa jeunesse
Née d’une mère très lettrée élevée en Russie et d’un père militaire royaliste qui ne la reconnaît pas, elle reçoit une éducation religieuse traditionnelle de la bourgeoisie de l’époque (les lycées ne sont pas encore ouverts aux femmes).
À 15 ans, elle entre au Conservatoire de théâtre et devient comédienne à la Comédie française de 1881 à 1888. Elle joue des rôles d’ingénues dont Henriette dans Les Femmes savantes, Élise dans l’Avare, Junie dans Britannicus.
À 24 ans, elle abandonne sa carrière pour se marier avec un avocat – dont elle divorcera rapidement, partisan du général Boulanger. Il fonde un journal que Marguerite Durand dirige à ses côtés : c’est en tant que « muse du Boulangisme » qu’elle fait ses premiers pas dans le journalisme.
Journaliste féministe militante
Elle entre au Figaro en 1896, où elle rencontre Antonin Périvier, alors directeur littéraire dont elle a un fils “naturel”. Elle se rend pour le journal à un congrès féministe international la même année, et c’est la révélation ! Elle conçoit l’idée “d’un grand journal féministe où, quotidiennement, des femmes défendraient les intérêts des femmes”. Ainsi naît l’aventure de La Fronde, un quotidien fait de A à Z par des femmes, de 1897 à 1903.
La belle affiche de lancement est réalisée par une artiste, Clémentine-Hélène Dufau, encore une oubliée de l’Histoire !
Le comité de rédaction est entièrement féminin et composé de quelques féministes militantes :
Séverine, journaliste au Cri du peuple alors dirigé par Jules Vallès, rédige chaque jour “les notes d’une frondeuse” ;
Maria Pognon journaliste, fait une chronique sur “les conseillères municipales” ;
Nelly Roussel, femme de lettres, défend “la libre maternité” ;
Maria Vérone, avocate, dirige la chronique juridique ;
Avril de Sainte-Croix est spécialiste des questions sociales et philanthropiques ; Clémence Royer, philosophe et scientifique, fait des articles sur l’actualité ; Pauline Kergomard, pédagogue, traite de l’éducation ; Hélène Sée, journaliste, rédige des comptes-rendus des séances du Parlement ; enfin, Jane Misme, journaliste, s’occupe de la critique littéraire et théâtrale.
En 1902, La Fronde devient la propriété de ses rédactrices réunies en coopérative. Les principaux thèmes du journal portent sur l’éducation et les conditions de travail des femmes, sur leurs droits politiques et le soutien à la création de syndicats féminins – quatre seront créés, dont celui des typographes.
La Fronde défend le féminisme républicain laïque et prend parti pour Dreyfus.
Et pour financer en partie son journal, elle a l’idée originale de créer en 1901 le cimetière des animaux d’Asnières qui existe encore aujourd’hui. Elle y a laissé aussi ses bijoux…
Le journal devient un mensuel en 1903 puis disparaît en 1905. Marguerite Durand interrompt pour un long moment sa carrière de journaliste féministe pour se tourner vers d’autres activités militantes.
Actions militantes féministes et création de la bibliothèque sur la mémoire des femmes
En 1904, elle organise avec Nelly Roussel un meeting de protestation contre la célébration du centenaire du Code Napoléon. Ce Code consacre l’infériorité des femmes devant la loi dans le mariage, la famille et la société. L’un des articles les plus iniques concerne la femme adultère, qui est passible de prison, si toutefois son mari ne l’a pas encore tuée ! L’homme adultère n’est passible, lui, que d’une amende…
En 1910, Marguerite Durand se présente aux élections municipales. Bien qu’inéligible, elle obtient 4 % des voix.
En 1914 elle soutient le vote blanc auquel 500 000 femmes participent (le droit de vote des femmes ne leur sera acquis qu’en 1946), ainsi que la manifestation à la mémoire de Condorcet à l’initiative de Séverine (photo ci-contre M.Durand 1er rang à gauche).
Après la guerre, les femmes, bien qu’ayant participé massivement à l’effort de guerre, n’obtiennent pas le droit de vote.
En 1922, elle réalise une exposition des femmes célèbres, parmi lesquelles Flora Tristan, femme de lettres et militante socialiste, et Louise Michel, l’une des figures majeures de la Commune de paris.
En 1927, enfin, elle est admise avec Séverine à la Maison des femmes journalistes, ce qui leur avait été refusé jusqu’alors.
Au siège social de la Fronde, dans l’hôtel particulier de la rue Saint-Georges, elle crée une bibliothèque d’ouvrages scientifiques, historiques, économiques sur la condition des femmes et la production littéraire féminine. S’y ajoutent des livres de bibliophilie qu’elle collectionne depuis toujours et ceux de la bibliothèque de sa famille cultivée et aisée dont elle a héritée.
En 1931, elle fait don de cet ensemble de livres à la Ville de Paris. Elle devient la première bibliothécaire bénévole et directrice, jusqu’à sa mort en 1936, de la bibliothèque à laquelle elle a donné son nom.
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Toutes les illustrations de cet article proviennent de la Bibliothèque Marguerite Durand de la Ville de Paris.
Annie Metz, La bibliothèque Marguerite Durand. Histoire d’une femme, mémoire des femmes, éditions Agence culturelle de Paris, 1992, 83 p., ill. en noir et en couleur (épuisé).
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On a déjà bien progressé !
Quand Honoré de Balzac écrit “La femme est une propriété que l’on acquiert par contrat, elle est mobilière, car la possession vaut titre”, ce n’est pas une métaphore.