LE BEC MAGAZINE

On a déjà bien progressé !

12.02.2021

Balzac2

 

Par Gilles Delalandre

 

Romancier, dramaturge, essayiste, critique littéraire, journaliste, éditeur, imprimeur, homme aux activités multiples et à l’inépuisable énergie, Honoré de Balzac (1799-1850) est l’auteur d’une œuvre monumentale, La Comédie humaine, composée de quatre-vingt-dix romans et nouvelles mettant en scène plus de deux mille personnages. 

 

Très jeune, Balzac aime les femmes et les femmes l’aiment. Il se marie tardivement mais auparavant, il a eu de nombreuses conquêtes. En homme d’affaires raté qui cherche toujours à ménager ses intérêts, Balzac ne choisit les femmes qu’il aime que dans une catégorie sociale qui peut potentiellement lui apporter renommée et fortune.

 

Dans son essai, Physiologie du mariage, écrit en 1829, Balzac donne son avis sur cette institution. Il ne signera pas cet essai de son nom mais sous le pseudonyme  “Un jeune célibataire”. En voici un extrait :


La femme n’est-elle donc pas douée d'une âme ? N’a-t-elle pas comme nous des sensations ? De quel droit, au mépris de ses douleurs, de ses idées, de ses besoins, la travaille-t-on comme un vil métal duquel l’ouvrier fait un éteignoir ou un flambeau ? Serait-ce parce que ces pauvres créatures sont déjà faibles et malheureuses qu’un brutal s’arrogerait le pouvoir de les tourmenter exclusivement au profit de ses idées plus ou moins justes ? […]


Voici notre réponse : avez-vous jamais compté combien de formes diverses Arlequin et Pierrot donnent à leur petit chapeau blanc ? Ils le tournent et retournent si bien, que successivement ils en font une toupie, un bateau, un verre à boire, une demi-lune, un béret, une corbeille, un poisson, un fouet, un poignard, un enfant, une tête d'homme, etc. Image exacte du despotisme avec lequel vous devez manier et remanier votre femme.


La femme est une propriété que l’on acquiert par contrat, elle est mobilière, car la possession vaut titre ; enfin, la femme n’est, à proprement parler, qu’une annexe de l’homme ; or, tranchez, coupez, rognez, elle vous appartient à tous les titres. Ne vous inquiétez en rien de ses murmures, de ses cris, de ses douleurs ; la nature l’a faite à notre usage et pour tout porter : enfants, chagrins, coups et peines de l’homme.


Ne nous accusez pas de dureté. Dans tous les codes des nations soi-disant civilisées, l’homme a écrit les lois qui règlent le destin des femmes sous cette épigraphe sanglante : Væ victis ! Malheur aux faibles.


Enfin, songez à cette dernière observation, la plus prépondérante peut-être de toutes celles que nous avons faites jusqu’ici : si ce n’est pas vous, mari, qui brisez sous le fléau de votre volonté ce faible et charmant roseau ; ce sera, joug plus atroce encore, un célibataire capricieux et despote ; elle supportera deux fléaux au lieu d’un. Tout compensé, l’humanité vous engagera donc à suivre les principes de notre hygiène.

 

Vous pensiez connaître Balzac ? Ce texte ne le rend pas très sympathique. En réalité, l’écrivain ne partage pas ce point de vue sur les femmes, et il le dénonce avec sarcasme – et en exagérant le trait – afin de donner une caricature de son époque. “La Physiologie du mariage fut un livre entrepris dans le but de défendre les femmes. Ainsi, le sens de mon livre est l’attribution exclusive de toutes les fautes, commises par les femmes, à leurs maris.”

 

Balzac dénonce l’institution du mariage et le despotisme marital. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est qu’il exprime les idées partagées par tous au XIXe siècle. Quand Balzac écrit : “La femme est une propriété que l’on acquiert par contrat, elle est mobilière, car la possession vaut titre”, ce n’est pas une métaphore. Les lois de cette époque donnaient tout le pouvoir de décision aux hommes. Et les mariages étaient arrangés dans l’intérêt des hommes et des familles sans que la femme n’ait à donner son consentement.

 

Depuis 1829, deux siècles se sont écoulés. C’est peu au regard de l’histoire de l’humanité patriarcale. 

 

Quel homme oserait exprimer ces idées aujourd’hui ? Ne risquerait-il pas des problèmes avec la justice pour incitation à la violence ? Personne n’assumerait ceci actuellement en France ou dans un pays de culture occidentale. Mais ce n’est malheureusement pas vrai partout sur terre. 


Vous voyez, il reste du chemin à parcourir, mais on a déjà bien progressé !

 

 

 

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