LE BEC MAGAZINE

Commune Paris

On a déjà bien progressé!

12.05.2021

par Gilles Delalandre

Les “Pétroleuses” ! Les femmes qui ont combattu pendant la Commune de Paris, méritent-elles ce qualificatif ?

On les a accusées d’avoir utilisé du pétrole pour incendier de nombreux bâtiments officiels de Paris (Palais royal, Hôtel de Ville, Palais des Tuileries, etc.).

Méritaient-elles cette accusation ?

Revenons à cette époque par un petit cours d’histoire.

En 1870, l’empereur Napoléon III, pour des raisons de politique étrangère mais aussi pour revaloriser son image auprès des Français, déclare la guerre à la Prusse, alliée aux États allemands. La supériorité de cette coalition est écrasante, tant par le nombre de soldats impliqués que par la modernité de l’artillerie. La guerre est déclarée le 19 juillet 1870 et, six semaines plus tard, Napoléon III capitule à Sedan.

C’est la chute du régime impérial qui est remplacé par une république, la III République française. Un gouvernement provisoire est nommé. Il décide de poursuivre la guerre mais Paris est assiégée et un armistice est signé le 26 janvier 1871.

Cette guerre a duré six mois et a tué 190 000 personnes (principalement des soldats, donc des hommes). La France y perd l’Alsace et une partie de la Lorraine. Cette guerre et cette victoire donnent l’occasion à la Prusse et aux États allemands de fusionner pour donner naissance à l’Allemagne unifiée moderne (le II Reich).

Le 8 février 1871, des élections sont organisées en France pour élire la nouvelle Assemblée nationale. Les Français votent majoritairement pour les députés favorables à la paix. Les Français et pas les Françaises, car il s’agit du suffrage universel masculin. Les Françaises n’auront le droit de vote qu’en 1944(1).

La nouvelle Assemblée ratifie la convention de paix avec l’Allemagne mais de nombreux députés la rejettent, notamment les socialistes et tous les députés de Paris. L’extrême gauche radicale, socialiste et internationaliste, désavoue l’Assemblée et lui dénie toute légitimité.

Et les pétroleuses, alors ? On y vient ! Mais parlons d’abord un peu de la Commune de Paris.

La Commune de Paris est une période insurrectionnelle qui durera 71 jours, du 18 mars au 28 mai 1871. Les insurgés sont principalement des ouvriers, des employés et des petits commerçants. Elle se terminera par la “semaine sanglante”.

Cette révolte trouve son origine dans le refus de reconnaître le gouvernement issu de l’Assemblée nationale, à majorité monarchiste, tout juste élue. Elle est aussi une réaction à la défaite française et au douloureux et humiliant siège de Paris. Elle est enfin une manifestation de l’opposition entre le Paris républicain favorable à la démocratie directe (où les décisions sont prises par le peuple) et une Assemblée nationale acquise au régime représentatif (où le peuple est représenté par des députés et sénateurs élus).

Ses dirigeants décident d’ébaucher pour la ville une organisation de type libertaire, basée sur la démocratie directe. Simultanément, d’autres villes de France se révoltent : Lyon, Grenoble, Marseille, Saint-Étienne, etc. Mais ces insurrections durent moins longtemps.

La Commune est une étape importante de la construction de la République française. Depuis 1789, la France a connu 4 rois, 2 empereurs, 4 Républiques, le régime de Vichy, 3 guerres (sans compter les guerres coloniales) et la menace d’un coup d’État… pour aboutir à l’actuelle Ve République en 1958.

Et les pétroleuses, alors ? Un peu de patience !! Revenons un peu en arrière pour parler de la place des femmes en politique.

Pendant la révolution de 1789, les femmes participent activement aux mouvements de révolte.Elles mènent le cortège qui va à Versailles pour réclamer du pain. Elles créent des associations et des clubs de réflexion. Elles assistent aux séances de la Convention nationale et du Tribunal révolutionnaire. Elles exercent une influence sur les débats et, pour les dénigrer, on les surnomme “les tricoteuses”. 

Elles n’ont pas de revendications pour elles-mêmes, pensant que la priorité est à l’établissement d’un ordre social nouveau qui devrait résoudre leurs problèmes spécifiques en même temps que ceux des autres.

Mais quelles femmes ont joué un rôle majeur dans les organisations révolutionnaires et laissé leur nom dans l’histoire ?

Connaissez-vous Olympe de Gouges, femme de lettres et une des pionnières du féminisme ? Son nom est connu – il a été donné à de nombreux établissements publics –, mais son action politique l’est moins. Elle mérite que nous nous arrêtions quelques instants. 

Olympe de Gouges mène de nombreux combats. Féministe, elle plaide pour l’instauration du divorce, la suppression du mariage religieux et son remplacement par un contrat civil qui prendrait en compte les enfants naturels. Elle rédige une Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne et réclame la participation des femmes à la vie politique. Elle écrit aussi contre la pauvreté et l’emprisonnement pour dettes et réclame l’abaissement du prix du pain compensé par une taxe sur les riches. Elle s’engage pour l’abolition de l’esclavage. Pour son engagement contre la violence du Tribunal révolutionnaire et pour l’instauration d’un pluralisme politique, elle est condamnée à mort et guillotinée. 

Pierre-Gaspard Chaumette, procureur de Paris écrit alors : “[Cette] virago, la femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes… Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois. Et vous voudriez les imiter ? Non ! Vous sentirez que vous ne serez vraiment intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes.”

Vous pouvez citer d’autres femmes actives pendant la révolution de 1789 ? Pauline Léon ? Claire Lacombe ? Manon Roland ? Etta Palm d’Aelders ? Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt ? 

Par contre, vous connaissez certainement Charlotte Corday, cette révolutionnaire du camp girondin qui a assassiné Marat (dans sa baignoire) qu’elle voyait comme le symbole de la terreur jacobine ! C’est la femme la plus connue de cette période révolutionnaire. Étrange, non ?

En 1789, la condition des femmes n’est pas abordée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Leur cause n’est pas défendue par les philosophes des Lumières. La féminité est “signe de constitution délicate, tendresse excessive, raison limitée et nerfs fragiles” (Thucydide.com – 25 nov. 2019).

Enfin, en 1792, les femmes obtiennent le droit de demander le divorce. Elles sont désormais libres de se marier ou non, et d’épouser qui elles désirent. La femme mariée est délivrée de la tutelle de son mari.

Mais ces droits ne sont pas acquis pour longtemps. En 1804, Napoléon Bonaparte devient empereur des Français. Le nouveau Code Napoléon proclame l’incapacité juridique de la femme mariée. L’empereur déclare devant le Conseil d’État : “Ce qui n’est pas français, c’est de donner l’autorité aux femmes(2)”.

En 1816, le divorce est interdit. Retour à la case départ. Il ne sera rétabli qu’en 1884. 

Pendant le XIXe siècle, les femmes sont absentes de la vie politique. Des revendications féministes commencent à émerger, mais elles sont très marginales.

Mais que se passe-t-il pendant la Commune de Paris qui, nous l’avons vu, est un mouvement populaire, social et libertaire, qui naît spontanément et dure si peu de temps ? Les femmes (les communardes) y participent activement, avec les hommes.

Le premier mouvement féministe est créé : l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Même si elle ne regroupe que peu de militantes, l’Union obtient de nombreux progrès : la Commune reconnaît l’union libre, l’égalité salariale, l’accès à l’éducation pour tous et la facilitation du divorce. 

Les femmes mettent en application le décret de séparation de l’Église et de l’État dans les écoles et les hôpitaux ; elles prennent en charge le rôle caritatif à la place de l’Église. Elles se battent aussi avec les hommes sur les barricades contre les « versaillais ».

De nombreux clubs de femmes participent à cette émancipation : le Comité de vigilance de Montmartre, le Club de la délivrance, le Club des femmes patriotes, le Club des femmes de la Boule noire…

Mais elles ne demandent pas le droit de vote, qui leur aurait été refusé par leurs compagnons révolutionnaires. Elles ne sont donc pas non plus éligibles. Elles ne participent pas aux organes de décision, mais elles exercent une influence réelle et participent à l’émancipation sociale. 

Ces acquis seront éphémères et s’éteindront avec la fin de la Commune, mais un mouvement national est lancé qui va, progressivement, se développer et se structurer.

Cette insurrection et la violente répression qu’elle subit ont un retentissement international important, notamment au sein du mouvement ouvrier et des différents mouvements révolutionnaires naissants. La Commune est de ce fait encore aujourd’hui une référence historique importante pour les mouvements communistes et libertaires et plus largement pour les mouvements de gauche.

Au cours de la semaine sanglante où les troupes versaillaises entrent dans Paris, le sort des femmes n’est pas différent de celui des hommes : exécutions immédiates ou jugements sommaires. 4000 femmes auraient été tuées pour un total de 20 000 victimes. 1051 femmes sont emprisonnées et jugées. Aucune n’est condamnée à mort mais nombre d’entre elles sont emprisonnées, déportées ou condamnées aux travaux forcés.

Bien souvent, les tribunaux militaires cherchent à les dévaloriser – voire les humilier – en cherchant à prouver leur immoralité sexuelle (concubine, prostituée, lesbienne) ou sociale (voleuse, hystérique ou criminelle). C’est leur activité révolutionnaire et idéologique qui inquiète le Conseil de guerre, c’est-à-dire leur participation à la vie politique.

Petroleuses

C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’expression de “pétroleuse” utilisée par les hommes politiques versaillais pour qualifier ces combattantes qui auraient incendié Paris. Pourtant, des historiens de la Commune, comme Robert Tombs et Gay Gullickson, ont révélé qu’il n’y eut aucun incendie avéré volontaire commis par des femmes et qu’aucune femme n’a été condamnée comme incendiaire. Ils suggèrent que le mythe de la pétroleuse faisait en réalité partie d’une campagne de propagande orchestrée par les dirigeants politiques versaillais visant à dépeindre les communardes comme destructrices et barbares, pour donner la victoire morale aux forces loyalistes contre les communards.

 

La postérité n’a pas retenu le nom de ces combattantes. Aucun monument aux morts ne célèbre leur courage. Citons, pour leur rendre hommage, certaines d’entre celles qui ont dirigé l’Union des femmes et les clubs de quartier :

- Élisabeth Dmitrieff : intellectuelle russe proche de Karl Marx, qu’elle informe du déroulement des événements.

- Nathalie Lemel : ouvrière relieuse – militante socialiste.

- Blanche Lefebvre : blanchisseuse – tuée sur les barricades.

- Béatrix Excoffon : femme au foyer – ambulancière. 

- Malvina Poulain : institutrice – ambulancière.

- Victorine Eudes : laborantine en pharmacie – assistante de Louise Michel.

 

Et citons Louise Michel, dont le nom est plus familier parce qu’elle a milité toute sa vie, comme socialiste puis anarchiste. Son nom a été donné à 190 écoles, collèges et lycées, une station du métro parisien, de nombreuses rues, une promotion de l’ENA et un navire de sauvetage en Méditerranée. 

Depuis 1871, 150 ans se sont écoulés. C’est peu au regard de l’histoire de l’humanité patriarcale, mais ce sont 150 ans de combat des femmes pour obtenir les mêmes droits civiques que les hommes, une liberté sociale et politique, le droit au divorce et à l’avortement, la libération du corps… Mais ces droits restent fragiles et sont en péril dans certains pays, même en Europe. En France, de nombreux élus du Rassemblement national souhaitent remettre en cause le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. Que se passera-t-il après 2022 ?

Aujourd’hui, il y a seulement 3 femmes parmi les personnes les plus puissantes du monde politique européen  : Ursula von der Leyen, Christine Lagarde et Angela Merkel. 

De nombreuses femmes sont présentes dans les ministères et les partis politiques, mais la parité n’est pas encore établie. En France et dans les pays du sud de l’Europe, elles sont absentes des postes de Première(3) Ministre ou de Présidente. 

Dans les entreprises, il a fallu une loi pour imposer des quotas de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, et un projet de loi est à l’étude pour imposer des quotas de femmes dans les équipes dirigeantes. 

Ce retour sur cette histoire récente nous permet de mesurer les progrès accomplis et le combat qu’il reste à mener, par les femmes et les hommes qui souhaitent sortir du patriarcat. 

Vous voyez, on a déjà bien progressé…  mais il reste du chemin à parcourir.  Continuons !



(1) Tous les hommes ont le droit de vote depuis 1848. Auparavant, seuls les citoyens suffisamment riches pour payer des impôts pouvaient participer aux élections.

(2) Napoleonica, la revue, 2012/2.

(3) Le correcteur d’orthographe de Word me signale une erreur : il n’accepte pas Première Ministre et me suggère Premier Ministre…

 

 

 

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