Le male gaze, suite et fin
par E. B. T.
Vous avez découvert dans le dernier numéro du Bec, l'article "La nudité et le sexe dans l'art", qui évoque dans une première partie le regard masculin. À l'occasion de l'exposition intitulée L’empire des sens au Musée Cognacq-Jay à Paris, approfondissons le sujet dans cet article consacré à ce fameux male gaze, au 18e siècle.
La représentation du corps et du sexe dans l’art :
Le regard masculin
2e partie : Le 18e sicècle
Si j’ai fait l’impasse sur le 18e siècle dans mon article sur la représentation de la nudité et du sexe dans l’art, c’est pour mieux vous en parler aujourd’hui, grâce à l’actualité.
Le 18e siècle, c’est celui qui « s’avance en dansant vers l’abîme qui va l’engloutir », nous serinait notre professeur de Lettres. C’est le siècle des Lumières et l’apogée du libertinage des mœurs.
Actuellement, une exposition intitulée L’empire des sens, a lieu au Musée Cognacq-Jay à Paris. Elle fait une large place au peintre François Boucher : « le peintre de Louis XV s’impose comme une figure centrale du développement de l’art érotique au XVIIIe siècle. Une centaine de peintures, dessins et estampes, qui traitent du désir autant qu’ils le suscitent, sont exceptionnellement réunis.» précise Annick Lemoine, directrice du musée Cognacq-Jay, dans la présentation de l’exposition.
Et de rajouter :
« "Peintre des Grâces", François Boucher est également l’auteur de compositions secrètes, à la charge érotique saisissante. Ses œuvres célèbrent le corps nu de la femme qui s’abandonne, hypnotise les regards et éveille les sens. Au sommet de sa gloire, sa notoriété s’accompagne d’une réputation sulfureuse, habilement alimentée par ses détracteurs. Ses très lascives Odalisques — représentées nues, alanguies sur un sopha, le fessier comme offert au spectateur — ont largement contribué à nourrir les rumeurs. »
« Dans l’œuvre de Boucher, un motif s’impose plus que tout autre : le fessier, célébré à l’envi. » insiste Annick Lemoine. Vous y retrouverez le regard « mâle », ce fameux male gaze, celui de ces peintres qui ont su détourner les légendes mythologiques pour assouvir leur soif de chair fraîche, avant d’oser peindre des Odalisques plus contemporaines...
Jetez déjà un œil sur le parcours proposé de l’exposition :
L’objet du désir, Les Amours des dieux, Le modèle désiré, Le nu offert « Jambes deçà, jambes delà », Des caresses au baiser, L’entrelacs des corps…. Jusque-là, tout est conforme à la promesse du titre de l’exposition : de la chair magnifiée par le désir du peintre et sublimée par la peinture…
« Le male gaze, auquel le spectateur est invité à s’identifier, regarde la femme à son insu comme un objet sexuel, un corps morcelé et fétichisé, offert en spectacle au désir masculin, comme dans les films d’Abdelatif Kechiche, regorgeant de gros plans sur les fesses de ses héroïnes. » précise Iris Brey dans son entretien avec Juliette Cerf pour Télérama.
« Toute la grammaire érotique du male gaze est fondée sur le fait qu’on prenne du plaisir sans le consentement de la femme. » C’est souvent le cas sauf si le regard du modèle de certaines Odalisques invite clairement le regardeur, la faisant passer du statut d’objet convoité à celui de sujet agissant. Regard qui a été considéré comme scandaleux, car bouleversant les codes patriarcaux !
La partie suivante de l’exposition, intitulée Violence et trauma, revient sur une réalité moins jouissive. Car peut-on témoigner de ces « divertissements libertins » où, semble-t-il, le désir et le plaisir des hommes seraient recherchés — car il n’est que très rarement proposé de nus masculins — sans évoquer la condition de ces jeunes servantes abusées par leur maître (ou celle de ces jeunes modèles parfois abusées par le peintre) ? En voici un exemple : cette peinture de J.-B. Greuze, La cruche cassée, 1771, que l’on peut lire autrement qu’une « bêtise » regrettable qui fait craindre un châtiment, ou qu’une « petite grue » ayant perdu sa virginité… comme j’ai pu le lire dans certaines interprétations simplistes de l’œuvre.
Découvrez la présentation très intéressante que fait Annick Lemoine qui nous guide dans l'exposition.
Finissons notre exploration du male gaze dans la peinture par ce que dit Iris Brey d’un regard différent qui se développe dans les arts, un regard féminin :
« Oui, un regard qui permet de passer du statut d’objet au statut de sujet, en adoptant le point de vue d’un personnage féminin pour épouser, ressentir véritablement son expérience. Un tel regard féminin (female gaze, en anglais) se démarque ainsi du male gaze, ce regard masculin dominant, théorisé par la critique féministe britannique Laura Mulvey, dans "Plaisir visuel et cinéma narratif" — un texte capital paru en 1975, dans lequel elle montre que tout l’érotisme des films classiques hollywoodiens a été codé selon le langage de l’ordre patriarcal dominant : l’homme, actif, et la femme, passive. »
Les femmes artistes comme sujets de leurs œuvres ; leurs corps comme medium. C’est ce que je vous propose de découvrir dans un prochain numéro.
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