LE BEC MAGAZINE

On croyait avoir gagné !

12.01.2021

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par Patricia Di Scala

 

On croyait avoir gagné !

La pilule, le droit d’avorter, l’autorité parentale. On croyait la trilogie gagnante. A nous la liberté et tout le monde suivra ! 

Nos grand-mères avaient subi la domination de leurs pères, puis de leurs maris. 

Nos mères avaient montré la voie, en avortant clandestinement, en prenant les premières pilules contraceptives, sans savoir quelles en seraient les conséquences pour leur santé. 

Elles nous avaient appris l’alpha et l’oméga de notre futur de femme, le dogme incontournable, l’indépendance financière, aidées par le miracle socio-économique des Trente Glorieuses. Faire des études, gagner sa vie, voilà qui devait nous préserver de tous les carcans.

Et nous nous croyions libres de vivre notre vie pour de bon, de jouir sans entrave, comme l’écrivaient sur les murs parisiens les étudiants en révolte en mai 68.

Mais pendant que les féministes brûlaient leurs soutiens-gorges, que les 343 célèbres salopes signaient le manifeste pour le droit à l’avortement, pendant que Simone Weil affrontait seule l’assemblée hostile des hommes pour imposer enfin ce droit, que faisaient-ils les hommes ? Avaient-ils changé leur regard sur nous ? Accomplissaient-ils les tâches ménagères ? Changeaient-ils les couches de leurs bébés ? Avaient-ils renoncé à violer leurs compagnes ?

Et nous ? Avions-nous cessé de penser que l’homme fait l’amour comme un animal quand nous, les femmes, ne pouvions jouir que de l’amour partagé ? Les autres femmes étaient-elles devenues nos complices ou bien restaient-elles nos rivales ?

Questions éludées, évacuées par la trilogie victorieuse, obligatoirement victorieuse.

Et lorsque nos filles sont nées, nous les avons naturellement éduquées pour devenir des femmes libres. Pas de vaisselle, pas de ménage, défends-toi des mauvais regards, ne te conduis pas comme un gibier et tu ne seras pas un gibier. Travaille bien à l’école, sois une gagnante, c’est ainsi que tu t’affirmeras l’égale des hommes.

Nous nous sommes réveillées de ce rêve d’émancipation accomplie avec le mouvement « me too ». Soudain nous avons entendu ces femmes, qui pour certaines avaient l’âge de nos filles, décrire ce qu’elles avaient subi : viol, agression sexuelle, discrimination, plafond de verre, mépris, domination.

Et nous avons compris que la trilogie, mantra de nos jeunes années, avait masqué ce qu’il fallait encore accomplir pour que nos filles vivent en femmes libres.

Nos compagnons, pères soixante-huitards, n’avaient-ils pas assisté sans broncher, ou pire encore, participé à la sexualité naissante de leurs filles avec parfois des adultes beaucoup trop âgés à qui l’on donne aujourd’hui le nom qu’il mérite, des pédophiles. 

Et nous, mères éclairées mais encore empreintes d’une éducation patriarcale, n’avions-nous pas laissé entendre à nos filles que l’acte sexuel non consenti était dans l’ordre naturel des choses. Fallait-il en faire une histoire ? 

Réveil brutal. 

Le long chemin de l’émancipation est encore devant nous. Nous avons certes accompli quelques kilomètres depuis nos grand-mères, mais d’autres sont encore à parcourir, inlassablement, parfois douloureusement lorsqu’il faut aller extirper au fond de nous les stigmates de cette longue histoire de domination. Voir ce qui n’est pas juste, sentir ce qui nous entrave, dépoussiérer les habitudes, les réflexes, les préjugés. 

Long et passionnant travail qui peut nous conduire vers des relations enfin apaisées, en tous cas plus saines, avec nous-mêmes, les femmes, et avec nos compagnons, compagnes, amis, amies..

Voilà pourquoi je me suis engagée dans ce journal.

Voilà pourquoi j’espère que nous nous aiderons, lecteurs.trices et contributeurs.trices, à nous émanciper de la prison patriarcale.

 

 

 

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BabouDom
Rien n’est gagné, on avance à petits pas... en tant que mère et maintenant grand-mère je me sens investie de la responsabilité de faire en sorte que la mixité ne soit pas un vain mot. Je suis fière de voir beaucoup de jeunes femmes et jeunes hommes vivre ensemble sans le fardeau du patriarcat sur les épaules. We shall overcome?
01/04/2021 - 10:00
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