Homoparentalité
par Éric Verdier
L’homoparentalité, ou comment l’homophobie rime avec le politiquement correct…
Le terme « homoparentalité » est apparu à la fin des années 1990, en tout cas dans les médias et sous l’impulsion de l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (l’APGL, dont j’ai été coprésident avec Martine Gross). Wikipédia définit ce mot comme « une structure familiale dans laquelle un couple de même sexe élève un ou des enfants, ou bien l’ensemble des situations dans lesquelles l’enfant a au moins l’un de ses deux parents qui se définit comme gay ou lesbienne ».
Ce néologisme, utilisé en premier lieu par les personnes concernées et leurs représentants associatifs, et très majoritairement repris depuis par les médias et la population générale, a des relents d’homophobie.
Il s’agit d’une forme d’homophobie de détournement (1), plus qu’active ou passive (2) (suivant la caractérisation de Flora Leroy-Forgeot (3)), impliquant une tolérance des réalités que ce terme englobe plus que d’une véritable acceptation respectueuse de la place de l’enfant et de celle de chacun des parents et coparents.
En premier lieu, si on adhère à cette désignation, cela sous-entend qu’il existerait une spécificité reliant toutes ces familles, ce qui les distinguerait des toutes les autres familles (hétéroparentales ?). Pourtant, quelle que soit la préférence sexuelle de chaque parent (et même si ces termes sont aussi parfois ressentis comme réducteurs), rien n’est plus proche d’une famille adoptive qu’une autre famille adoptive, d’une famille recomposée qu’une autre famille recomposée (sans parler de la « décomposition » initiale que cela suppose), d’une famille monoparentale qu’une autre famille monoparentale, d’une famille ayant eu recours à l’IAD (4) – ou à la GPA (5) – qu’une autre famille ayant eu recours à l’IAD – ou à la GPA, etc.
Deuxièmement, l’emploi du terme a pour conséquence de (dé)nier la préférence hétérosexuelle d’un autre parent le cas échéant, et donc son existence même. De la même façon, un parent qui se considérerait comme bisexuel, pansexuel, transexuel, asexuel… devrait-il se contraindre à gommer sa spécificité identitaire pour être inclus dans ce néologisme, ou bien en inventer un autre dans lequel il se sentirait moins nié ?
Enfin, lorsqu’on parle des difficultés d’un couple homoparental, et la reconnaissance de ses droits par notre société, on est incité à penser que la situation est uniforme et qu’ils·elles subissent tous et toutes les mêmes difficultés, et qu’ils·elles bénéficient des mêmes avancées lorsque les lois progressent. Il n’en est rien. L’écart est considérable entre les hommes et les femmes, qu’il s’agisse du mode de résidence de l’enfant en cas de séparation (particulièrement lorsqu’il est en bas âge), de la possibilité d’adopter, ou de l’accès à la GPA versus IAD. Le fossé s’est même agrandi depuis l’autorisation pour toutes les femmes à accéder à l’IAD, quand le simple débat sur la GPA reste impensable.
En réalité, le seul intérêt de ce terme est d’avoir réveillé les consciences au siècle dernier sur la réalité des discriminations que subissent les parents qui ne sont pas hétérosexuels et monogames, et de leurs enfants bien entendu, à l’instar de ce que les enfants de parents divorcés subissaient auparavant. Il ne s’agit pas de dire qu’aujourd’hui les stigmatisations qui frappent ces familles ont disparu, mais que les effets pervers de cette catégorisation arbitraire se font de plus en plus sentir, et jusque dans nos lois.
Pour ma part, je préfère parler de coparentalité, y compris quand l’enfant est élevé par un seul parent, car génétiquement et socialement, le terme de « monoparent » est aussi enfermant. Il suffit de nommer la spécificité de chacun·e le cas échéant, si la société le·la discrimine, ou si un enfant en subit les conséquences. Cela permet d’une part d’englober toutes les familles dans une même réflexion, sans jugement aucun sur le sexe, le genre ou la sexualité d’un des parents, et d’autre part de distinguer l’enfant de la sexualité (parfois fluctuante) de chacun de ces trois protagonistes que sont ses géniteurs, ses parents et ses coparents (6).
(1) L’homophobie de détournement véhicule des stéréotypes censés offrir un rôle social aux personnes qui s’y conforment afin d’être tolérées – mais en aucun cas acceptées. Ceci, à l’inverse de l’acceptation, génère une asymétrie et un rapport de domination potentiel entre le tolérant et le toléré.
(2) L’homophobie active s’apparente à la stigmatisation, alors que la forme passive est liée au déni d’existence de l’homosexualité.
(3) Elle est docteure en droit et a été chargée d’enseignements aux universités Paris XIII et de Reims.
(4) Insémination Artificielle avec Donneur.
(5) Gestation Pour Autrui.
(6) E. Verdier, Laissez-moi tous mes parents, pour une reconnaissance de la coparentalité, H&O Editions, 2007.
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