Guide de survie du jeune parent séparé

© Caroline R.

par Ana Ciotto

Tu es séparé.e depuis peu de la personne avec qui tu as fait des enfants ? 

Tu as le blues de la rentrée ?

Tu penses que ta vie, c’est de la merde, et que c’est beaucoup trop dur d’être seul.e ?

Pas de panique ! Tout est normal !

Suis ces quelques étapes sans te poser trop de questions, et tu verras, d’ici le mois de novembre, de toute façon, TOUT LE MONDE sera déprimé !

Mais, c’est quoi, le blues de la rentrée ? 

Le BDLRDJPS (1), comme on l’appelle parce que ça va beaucoup plus vite même si c’est imprononçable, c’est un peu comme Noël mais sans les cadeaux. 

C’est un moment symbolique fort dans la vie de ton enfant, où tu le vois grandir, franchir des étapes. Et… une étape de plus, qui vient rappeler que finalement, Cendrillon a décidé que la fin n’était pas « ils vécurent heureux et eurent deux (c’est déjà pas mal) enfants », mais qu’il y avait une suite. Tome 2 : Cendrillon en a plein le cul, elle fait encore beaucoup le ménage mine de rien, elle se casse, propose la garde partagée pour les mômes et les souris. (Dans ce remake, on sait très bien que Cendrillon peut être un homme, ou ce qu’elle veut d’ailleurs, moi je m’en fous).

Cendrillon, tout feu tout flamme, part à la conquête de sa liberté, veut retrouver son moi propre (lol), a plein de temps pour prendre ce fameux cours de céramique qui l’a toujours fait rêver, se dit que c’est le bon moment pour se remettre au sport et bien sûr, sortir avec ses copines pour aller chiner du prince séparé. 

Mais Cendrillon n’avait pas bien pris la mesure du truc. 

Finies les vacances. Donc rentrée. Débordement émotionnel. Salutations et organisations avec son ancienne moitié. Eeeeet… BLUES DE LA RENTRÉE.

Finalement, Cendrillon n’en a plus rien à foutre d’avoir le temps de lire et de faire du sport, de toute façon, y a rien à chiner et ses copines sont toutes casées. Elle veut juste voir ses bébés, elle ne veut plus du prince du passé, mais, ah, cette douleur de la famille perdue. Du conte de fées terminé.

Ça y est, Cendrillon s’allume une clope sur le canapé, elle fume à l’intérieur, qui va l’en empêcher ? 

Se sentant totalement perdue et inconsolable, un souvenir la réanime soudain : 

LE GUIDE DE SURVIE ! Mais c’est bien sûr ! Cendrillon jette un œil sur ce site féministe dont sa copine qui s’épile pas lui avait parlé.

C’est parti. Tout suivre à la lettre. Et attendre le mois de novembre :

1- Accepte délicieusement ta déchéance :

Allez, tu vas voir, c’est pas si compliqué. Les confinements successifs t’ont bien entraîné.e. Tu restes en jogging, tu te laveras plus tard, tu larves dans ton canapé, tu fixes un écran et tu te laisses divaguer sur un contenu sans fond. Tu ne te fais pas vraiment à manger, tu grignotes un truc qui traîne, et tu pètes un coup sans aucune retenue. Seul.e, tu ne déranges personne. 

2- Procrastine sans culpabilité :

Bon, tu sais bien, y a encore une machine à étendre, il faut que tu gères de la paperasse et franchement, ce serait pas du luxe de changer tes draps. Mais, tu as le temps. On est en semaine B, tu récupères ta descendance dans quatre jours, c’est le moment de vivre comme un.e étudiant.e précaire. Il faut bien des bénéfices secondaires à avoir perdu le conte de fées. Alors la fée du logis est indisponible, pour le moment t’es la fée-qui-fera-plus-tard.

3- Pense à tes ami.e.s à la vie bien rangée et délecte-toi de ne plus en faire partie : 

Son mec n’en fout pas une, sa meuf lui donne des ordres, le petit dernier fait un caprice, la grande doit aller chez l’ophtalmo, ils ne font plus l’amour depuis des mois, ils s’engueulent pour le papier toilette, il faut aller se taper le repas chez la belle-famille dimanche midi, ils ont eu un débat de trente minutes pour savoir s’ils feraient mieux de faire d’abord les courses ou commencer par la sieste du bébé, il en a marre de faire tout le temps à manger, elle n’en peut plus de baisser la lunette des toilettes.

Tout ça, c’est terminé. Alors oui, bien sûr, c’est très mal de jouir des petits malheurs des autres. Mais t’es en mode survie, et dans ce lieu sombre, la morale n’a pas sa place.

4- Kiffe avec toi-même :

L’étape 4 ne peut pas arriver avant les trois premières. Sinon, tu n’aurais pas eu besoin du guide, et t’aurais juste kiffé ta vie. Maintenant que t’es allé.e au fond de la déchéance sans culpabilité, et que t’as compris de façon très concrète que la vie des autres n’était pas franchement plus enviable que la tienne, c’est le moment de rentabiliser le temps de solitude en activité de plaisir solitaire. Alors, oui, bien sûr, tu peux te masturber. Mais tu peux aussi faire un paquet d’autres trucs que tu aimes particulièrement faire seul.e : une balade, du sport, lire, jouer ou écouter de la musique, regarder un film, bricoler… 

Et cette étape étant survenue après les trois premières, le sentiment d’accomplissement sera incommensurable. Bravo ! Tu peux être fier.e de toi ! Après avoir passé 24 heures sur ton canapé avec une hygiène plus que douteuse, tu as réussi à faire… (complète avec ton activité choisie). Tu es envahi.e par un tas d’endorphines et de dopamines ! Tu es prêt.e pour l’étape 5.

5- Va voir des gens :

Grâce à l’étape 4, tu vas pouvoir te la péter sévère en disant comme tu as pris tant de plaisir à faire… (complète avec l’activité choisie. Conseil : si l’activité choisie était la masturbation, choisis-en une en plus, celle que tu raconteras).

Va boire un verre avec tes ami.e.s, kiffe avec eux cette fois. Ça fait toujours du bien de voir des humain.e.s, même quand on croit ne pas en avoir la force. Sors-toi les doigts du cul, et rappelle-toi que leur vie peut être tout aussi compliquée que la tienne. Choisis bien les personnes dont tu t’entoures. Raconte-leur tes malheurs, ou évade-toi avec elles.

6- Planifie des trucs cools à faire avec tes enfants :

Grâce au fait que tu n’es pas dans le rush 24/24 par la garde partagée, tu as plus de temps pour organiser des choses un peu spéciales avec ta progéniture. Imagine une activité cool à faire avec eux, une sortie, un goûter avec des ami.e.s… Invente des rituels qui te font te sentir être une famille ensemble. Déguisez-vous, allez faire une super randonnée, une soirée plateau-télé, faites un herbier… Bref, fais un truc qui vous amuse tous et qui te semble parfois compliqué à mettre en place faute de temps. 

Tu as réussi à déprimer, dépérir, jouir du malheur des autres, te branler et même voir des ami.e.s ; tu as maintenant l’énergie disponible pour te projeter de façon heureuse dans leur retour à la maison.

7- Avant le départ des enfants avec leur autre parent :

Le cercle infini d’une semaine sur deux perdure. Mais l’expérience ne cesse de croître. Si tu veux directement passer à l’étape 4 sans te taper les précédentes, tu peux commencer à planifier ta semaine de célibataire. Quand tes enfants partiront, projette-toi d’ores et déjà dans la chose que tu rêves de faire à leur départ (voir des ami.e.s, faire du sport, te branler…). Le vide appelle la déprime, alors si tu ne veux pas te retrouver dans ton canapé en PLS, commence à anticiper les moments que tu sais propices à la descente aux enfers.

8- N’oublie pas que tout ça, c’est que des conneries :

Non, ce guide ne te sauvera pas de tes états d’âme. Ils sont légitimes, humains et inévitables. Tu as le droit de perdre patience, de chialer un bon coup et de ne plus vouloir de cette vie-là. C’est comme ça. C’est ça aussi, la vie. Mais tu n’es pas tout.e seul.e, même quand tu sembles persuadé.e du contraire. On est au moins deux, et j’en connais d’autres aussi. Si tu veux, on peut lancer L’amicale du Jeune Parent Séparé ? On va faire en sorte de ne pas y rester trop longtemps ; que ce club, très vite, on n’en ait plus besoin.

Courage Cendrillon, novembre arrive bientôt.

(1) BDLRDJPS : Blues De La Rentrée Du Jeune Parent Séparé.