Changements concrets dans l'ère post-patriarcale
Changements concrets dans l’ère post-patriarcale de ma vie à moi (ou comment l’HSBC (1) se détend du slip)
par Ana Ciotto
Les choses changent. Pour de vrai, de façon palpable. Les choses changent et en bien. Je le vois tout autour de moi, alors je fais sûrement partie d’une niche, c’est vrai, mais la niche devient de plus en plus confortable. Elle devient cabane, on n’a pas encore l’eau courante et l’électricité, mais je la vois s’agrandir, s’enrichir, prendre racine.
Les choses changent, avec mes amies, et avec mes amis.
C’est d’eux dont j’ai envie de parler.
J’ai toujours eu plus d’amies filles que garçons. À première vue, on pourrait penser à une forme de sororité un peu inconsciente, d’une bande de filles comme il existe des bandes de garçons, un penchant pour aller voir du côté de son genre. Et puis je me suis aperçue que tous mes amis garçons avaient beaucoup d’amies filles, voire pour la plupart, plus d’amies que d’amis.
Quand j’en ai parlé avec eux, on faisait le même constat : on a en commun le besoin d’avoir de grandes et profondes discussions existentielles avec nos proches, et le patriarcat a bien appris aux filles à ouvrir leur cœur, et aux garçons à la boucler sévère question sentiments.
Alors mes amis ont bien des copains avec qui rigoler et sortir, mais préfèrent la compagnie des filles pour penser leur existence.
Les choses changent, et ces dernières années, de façon exponentielle, tout autour de moi. Peut-être que pour certaines cela semble dérisoire, mais pour moi c’est très précieux et ça amorce le début de grandes choses.
Je vais vous donner une liste d’exemples, parce que c’est incroyable, ces concepts post-patriarcaux qui prennent vie, qui prennent forme, qui deviennent peu à peu réalité :
J’ai de plus en plus d’amis garçons, comme si plus personne ne croyait en la thèse que l’amitié homme-femme est impossible, comme si de plus en plus d’hommes se permettaient d’ouvrir la trappe aux émotions, comme si plus personne ne pensait que les gonzesses ne parlent que de maquillage et de leur espoir insensé de trouver l’homme qui les sauvera. Et je suis tellement heureuse et pleine de gratitude de pouvoir partager une vraie relation avec eux. Les hommes qui m’entourent, désormais, s’ouvrent de plus en plus, assument leur besoin de parler et réfléchir ensemble, se confier et réussir à avoir des amies, sans que cela ne vienne nécessairement empiéter sur la question du désir. On sort donc bel et bien d’un modèle hétérocentré, où l’on devient ensemble simplement humain.e.s, et puis c’est tout ; c’est là toute l’universalité de notre espèce.
Alors ils me parlent de comment ils se sentent dans leur vie, dans leur couple, dans leur vie de père, dans les attentes impossibles qu’on leur a mis sur le dos depuis toujours, dans les concours de bites intenses auxquels ils ne veulent plus participer, dans les pièges et les conflits internes qui les emmêlent.
Leur posture a changé. Ils ne veulent pas être des mecs hétéros cis blancs de bas étage. Ça les emmerde, ils veulent être tellement mieux que ça. Alors souvent, au début, ça les a piqué quand même. Ça arrivait les réflexions du genre «oui mais moiiiii, j’ai jamais fait ça moi ! C’est pas moi, c’est les autres !» Là, fallait se la jouer pédago, et personnellement, je crois que j’ai un don en la matière : «Mais je sais bordel de cul !!! Sinon tu ne serais pas mon ami ! Mais écoute nom de Dieu, écoute pour de vrai, je ne suis pas en train de te faire un procès à toi. Et puis, ne pas le faire ça ne suffit pas, ça ne suffit plus. Tu participes en laissant faire les autres et tu jouis d’un nombre énorme de privilèges sans même le vouloir ; c’est ça le patriarcat.»
Ensuite, l’argument «coup de poing», comme je me plais à l’appeler, consiste à faire le parallèle entre privilège homme versus femme avec celui de privilège blanc versus noir. Personne n’a envie d’être raciste, ça non !
Et comme je ris vraiment de bon cœur (2) quand je vois des personnes racisées faire des blagues pour critiquer le racisme ordinaire, je leur propose de faire pareil, de venir rigoler avec nous, et de se moquer du mâle alpha de l’extrême qu’ils ne sont pas.
Le champ des possibles s’est élargi. Je peux leur parler de mes douleurs menstruelles, de mes poils et de mes soutien-gorges. Eh oui. Parce que tout à coup, c’est devenu de vrais sujets, et pas des trucs de bonne femme. Parce que je parle de mes conflits internes, de mes contradictions, de là où j’en suis entre tout ce qu’on m’a appris depuis toute petite et tout ce qui se déconstruit aujourd’hui.
Et même s’ils ne sont pas concernés directement par ces sujets, ils sont très à l’écoute, ils me disent d’être indulgente envers moi-même et que, quoi que je fasse, ils seront de mon côté. Ils comparent à leur propre problématique concernant leur prétendue virilité. On est dans la même équipe.
On accepte ensemble nos fragilités. Je peux leur parler de mes questionnements concernant mes enfants et mon rôle de parent célibataire, et qu’ils soient séparés ou non, parent ou non, ils sont là, ils écoutent avec leur cœur, ils me regardent franchement même quand je pleure et ne cherchent pas désespérement une femme qui pourrait prendre le relais et me consoler. Ils n’ont plus peur de mes émotions. Ils me posent des questions très intimes et attendent une réponse authentique.
Ils vont vouloir m’aider comme des amis qu’ils sont et plus comme des sauveurs d’une femme en détresse. Ils vont se perdre un peu parfois de peur d’être maladroit («je peux te proposer de porter ta valise bien lourde, je sais que tu peux le faire bien sûr, c’est juste de l’aide, hein»), et ça me fait rire, les pauvres, je vois bien comme ils sont en galère. À quel point ils veulent être gentils et pas galants, présents mais pas dépendants. Merde, ils n’ont aucun modèle, va falloir tout inventer ensemble.
Ils vont me dire qu’ils m’aiment, qu’ils pensent à moi, qu’ils ont envie qu’on se voie, en arrêtant d’avoir peur de passer pour des dragueurs ou juste des mecs fragiles.
Ils vont pleurer dans mes bras quand la vie leur joue un sale tour, se questionner sur le rapport au corps, au sexe, à l’amour, à l’amitié, à l’argent, à la responsabilité… Et tant pis pour les concours de bite.
On sort des sentiers genrés archi battus. Ils vont me laisser faire le feu en bivouac, putain ils l’auraient pas allumé comme ça mais ils se mordent la langue, je peux conduire la voiture sans avoir droit à des blagues bien lourdes, et je peux demander de l’aide pour toutes les choses soi-disant masculines que je ne sais pas faire sans aucune remarque sur ma condition de vieille femme seule. Ils vont me donner leurs petits trucs et astuces d’humain écolo hygiéniste et dégénéré dont je fais partie («Haaaaa, tu fais comme ça, toi, pour enlever le tartre !»), ils vont me parler chiffons et mode, ils vont trouver mes enfants magiques (en même temps, c’est tellement objectif) et démontrer toute la tendresse dont ils sont capables. Ils arrêtent de laisser dire quand un type se met à commenter le corps d’une femme comme si c’était une chose (qu’elle soit trop bonne ou trop moche). Ils sont consternés par tant de bêtise ; et moi ravie d’être si bien entourée.
Je les aime, tous ces hétéro cis blancs qui quittent l’armure, même s’ils n’avaient jamais demandé à l’endosser.
Je vous aime, les gars. Merci, vous avez déjà changé ma vie. Alors on continue.
Notes :
(1) HSBC : acronyme pour parler de l’homme hétéro cis blanc qu’on déteste, bien sûr, évidemment. Alors vous remarquerez que c’est pas HHBC, et qu’au lieu de mettre un deuxième H pour hétéro, on l’a laissé en anglais (S pour straight). Moi je pense que c’est en lien avec la banque américaine, pour faire le parallèle entre capitalisme et patriarcat. #bourdieu
(2) La dernière en date où j’ai bien ri : la photo d’une femme noire avec des enfants blancs tout sourire avec pour légende : «Moi en safari en Europe, ils sont trop mignons j’avais envie de tous les adopter !»
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