« Qui a caché la vaginette de poche ? »

©Michel Pélo

par Jiben

- T’as le même slip depuis une ou deux semaines ?

- C’est ta femme qu’on voit là-bas partir avec le grand mec musclé? 

- Nan c’est ta reum !

- Ça sent toujours le prout à ma place dans le camion.

- Ouais, c’est toi.

- Pourquoi le godemiché est hype entre nanas alors que j’ai jamais vu une vaginette de poche dans notre camion ?

Je dis et entends ces boutades lourdhniaises dans mon cadre professionnel depuis près de vingt ans (une blague lourdhniaise étant par définition lourde et niaise avec une pointe de Michel Leeb dedans). La sortie du numéro “travail” du Bec Magazine ne serait-elle pas le moment idéal pour me remettre en question ? Est-ce que les 20 % d’écart de salaire, à travail égal, entre les deux sexes, n’aurait-il pas simplement rendu les hommes teubés ? Si on considère que le mot « teubé » vient du latin teubi, alors n’aurions-nous pas déjà répondu à la question ?  

Mon boulot principal consiste à jouer de la musique dans une quarantaine de festivals par an. J’aimerais analyser empiriquement le lien entre le patriarcat et mon travail, sans aucune méthode scientifique valable. Tout le monde fait comme ça aujourd’hui, alors pourquoi se faire chier ? Le seul but (comme le PSG contre Madrid l’autre jour) serait de comprendre d’une part pourquoi le retour à la vie de famille est parfois compliqué et pourquoi nous avons de temps en temps des discussions entre collègues  dignes des années 80. Rien qu’en y pensant, ne suis-je pas déjà en train de voir poindre quelques singularités professionnelles, comme des tétons de confrères pointant dans la moiteur du camion lors d’un bouchon de l’A6 en plein mois d’août ?

Entre camarades, on tente (parfois) de se déconstruire (un peu) mais souvent, ça ne vole pas haut – environ à l’altitude d’un manchot empereur. D’ailleurs, sur l’échelle Woke*, si le vautour de Rüppel est à 9, avec ses 11 300 mètres dans les airs, et le cochon d’Inde à 0**, alors nous obtenons la même note qu’un cormoran immergé dans les profondeurs aquatiques : un joli moins 4.

* L’échelle Woke permet de mesurer le degré de déconstruction d’une personne ainsi que sa sensibilité aux inégalités, aux injustices et aux blagues de Toto. 

** Oui, le cochon d’Inde n’est pas un oiseau, mais c’est l’animal qui possède le plus de chromosomes communs avec un membre du Ku Klux Klan, soit les plus ardents opposants au wokisme, avec Jean-Michel Blanquer.

Afin de remonter notre note, nous évoluons. Nous avons acheté six gourdes en aluminium bio pour éviter les bouteilles jetable. Mais on les a perdues. De toute façon, j’avais senti que ce n’était pas suffisant pour entrer dans le cercle fermé des mâles dominants déconstruits ! Alors appuyons-nous sur nos spécificités, afin de faire voler ce plafond de verre injuste ! Voyons voir :

Est-ce que notre - 4 pourrait en partie s’expliquer par la spécificité de nos contrats de travail ? Nous avons sûrement l’un des seuls emplois à exiger légalement de la picole dans notre activité (avec les sommeliers, les hôtesses de bar et les chasseurs). Tous les ans, nous organisons une réunion pour savoir quel alcool nous mettons dans nos contrats. Souvent deux élixirs remportent la mise, alors nous demandons les deux. Notre producteur envoie ensuite ce document officiel aux festivals qui nous accueillent. Apparemment, ils s’échangent d’autres documents officiels : cartes des vins de PACA en canette, meilleurs « Formule 1 » de Bretagne, guide des Flunch d’Île-de-France sachant correctement décongeler des haricots verts, etc. Le point positif dans cette spécificité est que nous demandons à être hébergés près du lieu de jeu pour ne pas avoir à prendre la route. Nous suivons les recommandations de la Haute Autorité du Rôle du Genre dans le comportement à risque accidentel (1) : nous remontons ainsi à 1 sur l’échelle Woke.

L’équilibre famille / travail :

Mais ce qui m’intéresse le plus dans l’écriture de cette chronique, c’est, égoïstement, de tenter d’analyser pourquoi il est compliqué de switcher d’environnement. Passer d’une vie professionnelle enfermé dans un camion avec cinq autres mecs cis (le fameux « six pack » ou « 6X6 », à ne pas confondre avec les attributs du mec en 4X4) à une vie de famille de 2022 n’est pas toujours simple pour un homme, ni pour une femme, ni pour un cochon d’Inde, j’en conviens. Encore moins pour Jean-Michel Blanquer annonçant à quelques heures de la rentrée des classes de janvier le nouveau protocole sanitaire depuis… une plage d’Ibiza, et défendu sur i24News par la journaliste Anna Cabana, sa femme depuis… 15 jours. Au niveau mépris, c’est comme si Jeff Bezos défendait le commerce local, Bernard Arnault les impôts ou Vladimir Poutine la communication non violente.

En tentant d’analyser l’empreinte du travail des intermittents sur leurs familles, je sors Vladimir et Jeff de ma tête pour y faire entrer Annie Ernaux. Elle défend, dans L'Occupation, la puissance cathartique de l’écriture (au contraire de la cataracte, l’écriture permettrait d’avoir une vision claire de ses émotions). Tentons l'expérience : je vois un lien évident entre l’odeur des pets du camion et celle des couches des enfants. Je vois l’utilité de notre entraînement intensif à peu dormir la nuit en tournée afin de se préparer aux six réveils par nuit à la maison (même si c’est rare que les enfants aient reçu la bonne fiche technique). Oui, mes réunions de travail avec mes collègues ressemblent beaucoup à mes apéros avec mes potes. Oui, je peux faire des grasses matinées, mais seulement au travail. Oui, quand je répète trois fois les mêmes choses, je ne sais plus si je m’adresse à mon fils de 10 ans ou à mon batteur.

Malheureusement, je dois l’avouer, je ne me sens que peu cathartiquisé, plutôt un éléphant dans le grand jeu de quille de l’équilibre Cyril Hanouna / Yann Barthès, un ballon de rugby devant rouler droit sur la piste de bowling de l’équilibre des genres, une crevette oubliée au soleil du parking d’un Lidl tentant de cacher son odeur à grand coup de déodorant Axe « Plus t’en mets, plus t’en as » (ça existe).

En revanche, le décalage des tâches qui peut se créer dans un couple lié aux absences prolongées est problématique, tant sur l’équité de la répartition des tâches que sur le degré d’acceptation des défauts de l’autre. Damned, une connexion entre travail et patriarcat s’établirait aussi chez les adeptes des 507 heures. 

Comment y remédier ?

La semaine dernière, notre nouvelle chargée de production m’a annoncé être référente VHSS. Je l’imaginais un peu en retard avec les outils digitaux et référente de cassettes VHS avec un S en plus mais elle m’expliqua être référente « violence et harcèlement sexiste et sexuel » – condition sine qua none d’obtention de subventions pour les structures extérieures au ministère de la Culture. Victoire ! La société avance ! Deuxième bonne nouvelle : c’est Roselyne Bachelot qui a présenté ce plan en janvier 2021 : Roselyne a donc travaillé au moins un jour pendant son mandat.

D’un coup, un frisson me parcourt : comment va se passer le prochain trajet en camion avec une référente VHSS ? Déjà qu’on touche peu de subventions, c’en est sûrement fini de la viabilité financière de notre compagnie. À moins que l’on commence vraiment à chercher l’étymologie du mot « teubé », à saisir l’opportunité de devenir moins cons, plus inclusifs, moins genrés, plus wokes sans être dans la cancel culture, moins stupides, plus justes, moins lourds, plus féministes, moins machos mais quand même costauds. Et si on arrêtait de chercher la vaginette de poche puisqu’il n’y en a jamais eu ? 

(1) https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/des-hommes-et-des-bagnoles/