Je suis fatigué d’être le con de ma voisine
par Jiben
L’universalisme est censé s’opposer au communautarisme, la jeunesse se doit d’emmerder le Front national et les antivax de ne pas aimer les piqûres. Bref, nous sommes habitués à voir des points de vue s’affronter. Chacun se bat pour ses idées et pour faire reculer celles qu’il juge néfastes pour la société. C’est bon, c’est simple, comme les surgelés Picard. Que nenni mon petit cuistot en herbe de Provence. Direction l’Autogrill pour décongélation express et chimérique, quoiqu’un peu en rapport avec la réalité :
Pourquoi j’ai l’impression que les gens qui pensent presque comme moi, s’en prennent surtout à ceux qui pensent presque comme eux ?
Les fans de foot détestent les supporters des autres équipes, on rapporte sa réussite écologique au temps économisé sous la douche et les utilisateurs Android n’aiment pas Apple. Pourquoi suis-je si souvent le con de mon voisin et non pas plus souvent dans celui de ma voisine ? Est-ce qu’une boutade sexiste un peu lourde dans un magazine féministe peut donner envie au lecteur de voir la suite ? Je suis fatigué de me sentir du mauvais côté des idées. Des idées moquées, des idées minoritaires et des Idéfix (*Astérix : double vanne). C’est même carrément énervant de voir qu’à l’intérieur de cette minorité, on se bat entre nous.
Trois actualités, trois petits cailloux pour retrouver son chemin dans la forêt sombre des idées noires :
- Marguerite Stern, initiatrice de collages urbains contres les féminicides, est aujourd’hui menacée de mort par… des féministes (!). Un peu comme si Wolinski avait mis une fatwa sur Cabu. Comme si Tintin abandonnait Milou sur l’autoroute pour profiter peinard de la Grande Motte. Comme si Michel Drucker changeait la couleur de son canapé : impensable ! Et bien si, réalité. Pourquoi des féministes s’en prennent surtout aux féministes qui pensent presque comme elles ?
- Christiane Taubira, 9ᵉ candidate déclarée à gauche, fait trembler les réactionnaires de tous bords qui voient monter une synergie des idées de gauche. Que dis-je, une vague des idées progressistes avoisinant les 3% d’intention de vote. Et merde, après avoir cru à une percée des belles idées derrière ma championne du rassemblement, j’entends déjà claquer les genoux les bottes de Zemmour et consorts. Le raz de marée est annoncé. Le tsunami va tout emporter. Marine a sorti son plus beau maillot de bain : jetez des verrues dans le pédiluve. Pourquoi les gens de gauche s’en prennent surtout à ceux qui pensent presque comme eux ?
- Dans ma ville de 7000 habitants en Drôme (Crest), nous sommes deux petits journaux à parler de féminisme. L’autre journal a ouvert son dernier numéro par trois pages qui dénigrent le nôtre. Notre maire ultra réactionnaire, fer de lance de la manif pour tous, rigole si fort qu’il s’est fait pipi dessus (ah non, c’est juste parce qu’il a confondu ses canalisations en plomb et son fauteuil doré). Pourquoi un journal féministe s’en prend à un autre journal féministe qui pense presque la même chose ?
S’étriper entre progressistes laisse le champ libre à Papacito et ses copains. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Papacito est un influenceur d’extrême droite. De base, un influenceur respire rarement le cerveau élevé en plein air. Mais là on est sur de l’élevage intensif en batterie, nourri aux OGM, version Tchernobyl : les blagues à la Bigard avec l’apparence de Nabilla, sans les cheveux… ni le shampoing. Vraiment aucun intérêt. C’est un bûcheron canadien avec un cerveau de caribou, suivi par des milliers de castors followers. Plus besoin de GIEC, de Pablo Servigne ou de Vladimir Poutine pour comprendre que c’est bientôt la fin de l’humanité, il suffit d’ouvrir Instagram.
Ne pas focaliser le débat contradictoire sur les vraies idées nauséabondes est une des raisons qui pourraient expliquer les près de 40 % d’intention de vote pour l’extrême droite au premier tour de l’élection présidentielle française. Pas sûr que ça soit le meilleur moyen de combattre le patriarcat. Voyons voir.
Quand Le Bec Magazine, journal “féministe” m’a proposé de collaborer en août 2019, j’ai d’abord dû chercher ma définition du patriarcat. Triste réalité. En tant que mec, je n’avais jamais souffert de ses injonctions. Après m’être renseigné et donc dorénavant en tant que mec blanc cis hétéro néo rural de 40 ans père de 2 enfants, musicien, intermittent du spectacle, procrastinateur, victime du syndrome de l’imposture ou imposteur latent, je prends conscience que le patriarcat m’a favorisé et me favorise énormément.
Mise à jour #1: après être allé à la bibliothèque, je découvre que le patriarcat est un système social injuste qui renforce les inégalités pour tous les sexes (même les petits apparemment). Il m’impose aussi des normes qui me nuisent (conduites à risque, compétitivité exacerbée, mépris des émotions, obligation de réussir le barbecue, etc.) : on est d’accord, rien à voir avec ce que le patriarcat fait subir aux femmes. Néanmoins, j’ai envie de croire que le féminisme est humaniste.
Mise à jour #2 : après être allé sur internet, je découvre que je me suis trompé. Pour certaines féministes, les mecs qui écrivent sur ce sujet se réapproprient leurs combats. Il faudrait donc être, avoir fait ou avoir été pour donner un avis ou une envie : seuls Sarkozy et Hollande pourraient parler du travail de Macron. Il faudrait être un Apache pour dire que Bison Futé est moins fort que Waze. Être accro à l’héroïne pour affirmer “la drogue, c’est mal”. Non, je le dis : “se tromper de chemin avec Waze, c’est mal”.
J’ai essayé de comprendre le wokisme (rien à voir avec la cuisson au wok). Mais là, ça me dépasse un peu. Je pensais qu’être éveillé et sensible aux questions d’injustice en tout genre pouvait suffire à créer une base de cause commune. Force est de constater qu’une certaine gauche identitaire prend plus de temps à exclure des sympathisants qu’à faire avancer positivement la société. Je me permets juste de constater empiriquement que pas mal de militants qui pensent presque pareil, se déchirent et perdent de vue leurs vrais ennemis. Ça fait mal, plus que le Covid. Alors peut-être pourrions-nous faire l’économie de quelques querelles internes pour avancer sans GPS vers un monde plus juste, humaniste et drôle ?
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Mon thérapeute s’appelle Google
Bonjour. Je m’appelle Jiben. J’ai eu 2 enfants. Je pense que j’étais pas prêt à être père. Ma femme non plus n’était pas prête à être père. Apparemment, c’est normal puisqu’il existe des séances de préparation à l’accouchement. C’est comme ça que j’ai découvert l’haptonomie.