LE BEC MAGAZINE

Mon thérapeute s’appelle Google

23.09.2021

par Jiben

 

Bonjour. Je m’appelle Jiben. J’ai eu 2 enfants. Je pense que j’étais pas prêt à être père. Ma femme non plus n’était pas prête à être père. Apparemment, c’est normal puisqu’il existe des séances de préparation à l’accouchement. C’est vrai, j’ai accepté pour faire plaisir à ma meuf. Elle a plutôt été cool, elle nous a évité les ateliers de chant prénatal. C’est comme ça que j’ai découvert l’haptonomie.

 

    Dès la première grossesse, on a utilisé cette technique qui consiste à créer un échange entre les parents et le futur bébé, taille Carambar ou Twix si c’est des jumeaux. La sage-femme parle de communication, mais j’ai été pas mal déçu. Les débats sont assez limités. On n’a pas pu parler politique, ni futur boulot, ni du PSG. C’est peut-être pas plus mal. Imagine, si au bout de deux mois de grossesse, ton futur gamin t’annonce être de droite ou s’il veut rejoindre Daech ou carrément devenir chroniqueur chez Hanouna. Il te reste 15 jours pour avorter légalement sinon congélateur, aiguille à tricoter ou… 40 ans de repas de famille de merde. 

   

    À l’haptonomie, tu poses ta main sur le ventre de ta femme et parfois le bébé répond. Mais c’est quand il veut, un peu comme le service après vente de SFR, d’Orange ou de l’Élysée. Une fois, mon fils a suivi ma main, c’était magique, intense, y’avait un vrai début de relation, le début de l’éducation… du coup, j’ai lancé un bâton chez la sage-femme mais il l’a pas ramené. J’étais quand même touché, attendri… je suis sûr que c’est là qu’il a commencé son lobby pour la PlayStation 5. Mais j’ai des principes : pas de bâton, pas de jeux vidéo. Quand ma femme m’a annoncé vouloir accoucher sans péridurale, j’ai essayé d’imaginer la douleur et puis… j’ai repris une bière et un rendez-vous haptonomie. Pour le deuxième accouchement, on avait acquis de l’expérience. Perso, j’ai vraiment bien assuré ce jour-là, j’étais super réconfortant, enveloppant, je me suis juste évanoui. Sous le lit. Propre. L’arrivée des deux enfants était vraiment un des plus beaux moments de ma vie : j’ai eu trois jours tout seul chez moi. Deux fois.

 

    J’avais pas prévu de trop changer en devenant père, à part quelques couches. Mais avec deux enfants de quinze mois d’écart, quelques couches se transforment vite en quelques milliers de couches. C’est un détail, mais ça fait toute la différence. Par exemple, si t’es avec quelques connards, ça va. Mais si t’es avec des milliers de connards, tu peux vite rester bloqué au milieu de la Manif pour Tous, au Parc des Princes ou carrément sur Facebook. Pour les couches, c’est pareil. Tu prends rapidement autant de plaisir à changer une couche qu’à changer un pneu de bagnole. Pour peu que tu ajoutes une petite gastro par-dessus et tu te rapproches du plaisir de vider les toilettes sèches des Ferias de Bayonne. Et je parle juste de mes enfants… que j’aime. Je ne parle pas de changer des couches en Ehpad. (Parfois, je pense aux soignants de l’Ehpad de Bayonne et je retourne applaudir comme un con à ma fenêtre). 

 

    Un homme, quand il devient père, c’est autant de changement que pour une chenille qui devient papillon. Le problème, c’est qu’un papillon ne reste en vie que trois jours donc ça nous fait un peu hésiter à passer le cap. Perso, j’étais une jeune chenille, fraîche et virevoltante, certes sans abdos et avec un nez tordu, mais j’avais l’impression de voler. En devenant père, j’ai fait le chemin inverse du papillon : retour à l’état de larve, couché à 21 heures, petit filet de bave au coin des lèvres sur le canapé et ronflement sexy : un booster d’œstrogène, un dynamiteur de libido, une usine à multi-orgasmes. Finalement, y’a moins de changement entre un mec qui devient père qu’entre une chrysalide qui devient papillon. Sauf pour les pères qui s’envolent du domicile conjugal. 

 

    Les pères changent. Par rapport à 1920, ils restent beaucoup plus à la maison. Bon, c’est souvent à cause du chômage qui augmente. En cent ans, on a appris à faire tourner une machine à laver. Normalement, d’ici un siècle, on apprendra aussi à ne pas laisser le linge dedans ! Perso, je change beaucoup d’avis sur la parentalité, c’est vrai, mais moins que le gouvernement sur le port du masque. Franchement, j’évolue, j’avance. Je crois que même les scientifiques sur la Covid ont moins changé d’avis que moi sur la place de l’homme dans le couple. Les débats sur la Covid, c’est génial. Tu peux dire que c’est un complot mondial qui a créé la maladie pour tuer la moitié de l’humanité et asservir le reste via la 5G. Tu te feras plein de potes, certes avec un QI inférieur à 60 mais des potes quand même. Par contre, le complot mondial des bébés pour stopper la sexualité des jeunes parents, personne n’en parle. Du coup, je vais pas en parler non plus.

 

    Avec ma femme, au début de la parentalité, on parlait pas la même langue : un peu comme des CRS et des gilets jaunes sur un rond-point. Maintenant, ça va mieux, notamment sur la question de l’autorité sur les enfants. À table, lorsqu’elle dit de rester assis, d’arrêter de lancer de la nourriture ou de finir son assiette : je m’arrête direct de viser sa tête et je range mon couteau. Alors que les CRS, quand la manif est finie, c’est là qu’ils commencent à viser les yeux et sortent les fourchettes. En même temps, les gilets jaunes, niveau camouflage, ils auraient pu faire un effort. J’ai aussi compris l’importance de cuisiner des légumes, c’était dur au début, mais depuis que j’ai décidé que les pâtes au jambon étaient des légumes, c’est devenu super simple. 

 

    Je change et les enfants aussi. On dit souvent « ils vous le rendent bien ». Perso, à part deux ou trois cadeaux qu’ils n’ont pas aimé, ils ont tout gardé. C’est un peu injuste car comme je ne suis pas un grand fan de lapin en pâte à sel et de collier en coquillettes, de mon côté, j’ai rien gardé. Daniel Pennac a dit : « Les enfants sont des énigmes lumineuses. » OK, mais s’il pouvait aussi nous indiquer l’interrupteur, ça serait pas mal. 

 

    Inventer le père du XXIᵉ siècle c’est pas simple, même avec Google : j’ai tapé « comment devenir papa », et le premier truc qui est sorti, c’est « comment devenir papa… razzi » ! J’ai acheté un appareil photo, mais ça n’aide pas du tout. Alors, j’ai essayé « comment devenir père ». Cette fois, le premier truc qui est sorti, c’est : « comment devenir père… Noël ». Franchement, autant croire au père Noël que de tenter d’être élu « père de l’année 2021 ». C’est sûr, je suis bien imparfait, mais grâce à l’haptonomie, j’aurai commencé l’imperfection neuf mois avant tout le monde.

 

 

 

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