LE BEC MAGAZINE

Parentalité : la fin d’une quête millénaire

23.09.2021

 

Tobu parentalite source Chris LeBoutillier

Crédit : Cris LeBoutiller

par Tobu

 

Les plus grands philosophes s’y sont cassé les dents. Définir l’essence de la parentalité a coûté une prémolaire à Platon, deux incisives à Kant et une carie à Voltaire. Afin de mettre un point final à cette quête millénaire, j’opterai pour la stratégie de la voyante : dis-moi ce que tu n’es pas et je te dirai ce que tu n’es pas.

 

Voilà bien des années que je passe le plus clair de mon temps à surveiller du nain, une sorte de Blanche-Neige barbue. La comparaison s’arrête là, car les miens grandissent, n’ont des poils que dans la main et ne rapportent pas le moindre diamant à la maison. Pire, Grincheux et Simplet sont entrés de plein fouet dans la phase « manèges de petits chevaux » et font plus d’équitation que Lucky Luke et Zorro réunis. Mon budget « Tournez manège ! » est ainsi passé de 0 à 85 % des dépenses mensuelles en quelques mois. Résultat des courses, quand l’animateur hurle aux moutards d’une voix stridente « On lève les bras bien haut ! », moi j’entends « Haut-les-mains ! ». 

 

La parentalité n’est décidément pas rentable. 

 

Voilà bien des années que les enfants nomment la verdure « Oussama Ben Légumes ». Le processus est invariablement le même et se répète suivant une cadence immuable. 

L’heure du repas sonne. Et tout se corse assez rapidement. 

– Papa, quesqu’il y a à manger ? me hurle Joe Dalton, depuis sa cellule, attendant une réponse qui s’adapte évidemment à son éventail de goût : nouilles ou nouilles. 

Je dégaine plus vite que mon ombre : 

– Des BONS épinards BIO ! 

Joe est au fond du couloir désormais, le colt à la main. Il est nerveux. Une petite boule de poussière (son frère) roule sur le sol dans un silence assourdissant. Ça sent déjà la poudre. 

– NOOOOOON pas des épinaaaaaards ! 

Première salve à 180 décibels. Personne n’est blessé, je maintiens le cap et cours me planquer derrière un biberon en lui rétorquant :

– Si, des épinards. Sors de ta tanière, tu es cerné par les légumes ! 

– NONNNNNNN JE NE ME RENDRAI JAMAIS ! 

La deuxième décharge est plus violente, elle inclut normalement le break dance au sol ou les spasmes contrôlés. Je réajuste ma cartouchière, chope ma Winchester Samsung, et suis le protocole du shérif parental aguerri : 

– Joe, tu as le droit de garder le silence, mais franchement, regarde l’image là, c’est Popeye, balèze le mec, pas vrai ? T’as vu le machin ? Gagné à coup d’épinards tout ça, mon gars ! 

Intérieurement, je pense à l’énormité de la fraude, les épinards n’ayant rendu fort que le compte en banque du malin qui a inventé Popeye. 

Mais Joe s’en contrefout, car il connaît ces vieilles ruses trop de fois employées. Il opte pour la roulade, le saut carpé, la double vrille et finit assis sur le sofa avec les orteils autour du cou. Impassible, je prends alors son assiette, m’assois à côté du gros nœud, et commence à bouffer son plat, comme d’habitude. 

– Quesque tu manges, papa ? 

– Bah, ton assiette d’épinards.

– C’est bien, me répond-il généralement tout en me tapotant la cuisse, tu vas être super fort !

Petite vermine de Dalton. 

 

La parentalité n’est décidément pas écologique.

Voilà bien des années que nous avons pris l’habitude de nous instruire en famille sur les thèmes brûlants du moment en regardant un petit documentaire après manger. Nous envisageons par ce biais d’offrir aux Canaris une ample vision du monde. Au menu hier, l’Homme de Cro-Magnon. Effectivement, un sujet on ne peut plus d’actualité. Suivi par un documentaire sur l’énergie atomique, proposé automatiquement par YouTube. De là à penser que le géant de la Silicon Valley adapte son algorithme et les propositions qui en découlent à la politique extérieure des USA, il n’y a qu’un pas : 

  1. Cro-Magnon = Barbus des cavernes
  2. Barbus des cavernes = Iran
  3. Iran = Bombe atomique
  4. Cro-Magnon = Bombe atomique

 

La parentalité n’est décidément pas géopolitique. 

 

Voilà bien des années que l’attention unidirectionnelle déployée par la maman envers ses petits rejetons remporte la mise : je me suis teint les cheveux en rose, j’ai une crête et un piercing avec un os de Diplodocus dans le nez depuis un an, mais il semble qu’elle ne s’en soit toujours pas rendu compte. Alors, j’ai pris le taureau par les cornes et j’ai fait trois liftings antirides. Mon visage est aussi tendu qu’un string porté par un éléphant d’Afrique. J’ai ensuite préparé les repas de toute la famille pour les dix prochaines années que j’ai stockés dans dix-huit congélos industriels. Pour qu’elle puisse souffler, j’ai emmené les nains à toutes les sorties possibles et imaginables, quitte à les oublier volontairement dans la soute d’un des catamarans en partance pour la Route du Rhum. Je la couvre d’attention, de baisers amoureux qui sentent le Colgate Ultra Fraîcheur Edelweiss. Enfin, j’ai placé des pièges à loup (bio) dans le couloir qui mène à la chambre conjugale, afin de limiter les intrusions inopinées. 

Hier soir, poussé par une montée d’adrénaline, les pygmées dormant, je m’approche doucement, entoure sa taille de mes bras et m’apprête à l’embrasser lascivement.

– Au fait, t’as réglé ton affaire de mycose aux pieds, parce que je crois que t’as refilé tes champis dégueu aux petits, tu fais chier. 

 

La parentalité n’est décidément pas aphrodisiaque.

 

La parentalité n’est donc ni rentable, ni écologique, ni géopolitique, ni aphrodisiaque : c’est par conséquent et sans le moindre doute une centrale à charbon. 

Voilà qui devrait redonner du cœur à l’ouvrage à mes amis du Nord encore sans descendance.

 

 

 

Cet article vous a plu ? Pour encourager la publication
des prochains numéros, inscrivez-vous simplement à notre newsletter !

Newsletter


Vous aimerez peut-être aussi :

Lire aussi sur la thématique :
   À LA UNE  |  OPINIONS