LE BEC MAGAZINE

Patriarcat ombre

Le patriarcat tire plus vite que son ombre !

26.11.2021

par Jiben

 

Quelle est l’influence du patriarcat sur nos façons de consommer ? La perceuse reçue de ma femme à la fête des pères est-elle une réponse à peine déguisée à l’aspirateur flambant neuf que je lui ai offert pour son anniversaire ? Est-ce que je veux des abdos avant mes 40 ans pour être en bonne santé, pour booster ma cote sur adopteunmec.com ou pour être accepté dans la grande confrérie des mâles alphas ? Pourquoi ai-je besoin d’un pass sanitaire pour aller au spectacle de Tchoupi mais pas pour flâner chez “Viens, goûte mon nougat”, le meilleur sex shop de Montélimar ? Autant de questions pour lesquelles Le Bec Magazine m’a encore obligé à écouter des podcasts de gauche, à emprunter des livres compliqués et à me poser des questions dont le Zemmouristan se moque comme de l’an 40 (avant Pétain).

 

Tentons une hypothèse : si on envisage le patriarcat comme un système social injuste, nuisible non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes (reproduction des inégalités, oppression des minorités, épilation obligatoire du SIF – sillon inter-fessier – pour tous.tes…) ; et si on considère qu’une émeute de Nutella dans un supermarché (1) nous apprend que le pouvoir d’achat est un marqueur social d’intégration ou d’exclusion de la société, alors on peut en déduire que notre capacité à nous débattre sans ciller dans ce système est égale à notre propre faculté à nous délecter de publier des photos de nos enfants sur les réseaux sociaux avec frénésie.

 

Armé de questions face à ce postulat, j’essayai de trouver un lien entre morale, consommation et patriarcat. Je décidai de partir boire un coup à la recherche de sociologues ayant étudié le sujet. Une soirée “cocktail/tee-shirt mouillé” en présence de Jean Baudrillard dans la bibliothèque de ma ville tomba à pic : il m’expliqua, entre deux mojitos, qu’à l’époque médiévale, la morale se situait entre Dieu (nous trouverons notre Port-Salut dans l’au-delà et l’eau-de-vie) et le Diable (je t’échange ma fourche en or massif contre ton âme en toque de chef). Jean m’asséna qu’aujourd’hui, la morale ne repose plus uniquement sur la consommton(!) de masse. Voyant que ce cher Jean avait laissé quelques voyelles entre les glaçons et le fond de son verre, mon voisin m’expliqua que la société de consommation provoque des désirs supérieurs à nos besoins, invente des hiérarchies sociales nouvelles. Ainsi, elle remplace les anciennes différences de classes par des concours de Tequila Paf, entraînant avec elle le capitalisme qui se nourrit avec gourmandise du patriarcat et de ses poils de SIF.

 

Deux, trois pintes plus tard, roulant dorénavant sous la table en écrasant béatement quelques Curly et des consonnes (Ding Dong : entrez donc !), Jean me fit remarquer que “les meubles qui ornementent les foyers français [...] permettent au maître de maison de produire un message à destination de ses hôtes [...] et concourent à la quête de prestige (2)”. Fini Ikea, Gifi et autres vendeurs de tapis en ligne. Dorénavant, pour appuyer sur le bon bouton de l’ascenseur social, il faudra se procurer une table en plastique recyclé, un vélo électrosensible ou des kilos de graines de chia en vrac. Passeport rural, me voilà. 

 

Un peu perdu, je tentai de relire Baudrillard. Autant le dire, j’eus parfois l’impression que l’auteur avait juste mis des mots côte à côte sans aucun désir que cela ait du sens, voire qu’il se moquait de moi. Sans m’arrêter sur le passage où les objets auraient un langage entre eux, et après trois nuits sur la première page, je compris vaguement que les objets dépasseraient leur fonction matérielle pour donner du prestige à son possédant et donc une appartenance à une certaine classe sociale. Belle occasion de m’acheter des chaussures de running afin d’intégrer sans effort la secte des trailers fous.

 

Toucherait-on du bout du clavier un lien entre consommation et patriarcat ? En tout cas, faire une BD de vulgarisation des bouquins de Baudrillard ou de Deleuze me semble aussi simple que de rendre le concept de patriarcat sexy ou d’avoir la parité sur un plateau de CNews. Je suis donc retourné à Lucky Luke pour calmer mes neurones incandescents. A priori, peu de lien entre consommation et patriarcat à trouver chez le copain de Jolly Jumper. Que Nenni, pour Mélanie Lallet : “La trajectoire des figures féminines incarnées par les personnages de Calamity Jane et Ma Dalton illustre particulièrement bien la tension inhérente entre un conformisme provisoire et la nécessité d’un renouvellement permanent des représentations proposées (3).” Damned, le patriarcat tire plus vite que son ombre !

 

Pour tenter de conclure cette recherche non aboutie, je me rends compte que le patriarcat se cache malheureusement partout. Quitte à le traquer maladroitement pour les autres, m’intéresser à ces liens m’aura permis égoïstement de me poser de nouvelles questions à la veille des fêtes de fin d’année et de leur lot d’achats compulsifs (le SIF est vraiment partout). Écrire en effleurant un concept n’est pas aisé. Sans faire avancer grand-chose, j’aurai au moins fait quelques pas dans mon coin. Dans la bonne direction ?

 

 

(1) https://www.leparisien.fr/faits-divers/intermarche-une-promotion-sur-le-nutella-vire-presque-a-l-emeute-dans-plusieurs-magasins-25-01-2018-7522050.php

(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Syst%C3%A8me_des_objets

(3) Les hors-la-loi ne sont pas des femmes : Ma Dalton et Calamity Jane dans les séries animées adaptées de Lucky Luke des années 1980 à 2010, Mélanie Lallet.

https://frenchjournalformediaresearch.com/lodel-1.0/main/index.php?id=1796

 

 

 

 

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