LE BEC MAGAZINE

Quand l'art se consomme

23.11.2021
guerilla girls poster boston2

Affiche originale des Guerilla Girls en 1985

par E. B. T.

 

Le marché de l’art, une consommation encore très patriarcale

 

Le monde de l’art a longtemps été une affaire d’hommes. En effet, les musées sont remplis d’œuvres d’hommes et personne, jusqu’à ces dernières années, ne se posait la question de l’absence des femmes (moi la première, et c’est dire combien la domination masculine est intériorisée dans nos esprits depuis notre naissance via le langage). Jusqu’à ce que les Guerrilla Girls, par leurs interventions musclées au cours de vernissages dans les grands musées, pointent quelques anomalies… C’était au début des années 1990 et pourtant c’est aujourd’hui qu’on en parle ! “Faut-il être nue pour entrer dans les musées ?”, placardent-elles sur les murs et les bus new-yorkais en 1989 alors que se tient au Metropolitan Museum une grande exposition d’art moderne. L’affiche subversive représente l’Olympia de Manet coiffée d’un masque de gorille. En dessous est précisé : moins de 4 % des artistes exposés sont des femmes, mais 76 % des nus sont féminins !

 

Aujourd’hui les pourcentages évoluent… De nombreuses expositions mettent les œuvres des femmes à l’honneur. Mais le marché de l’art, celui qui fait le buzz parce qu’il consacre quelques stars dont la valeur se compte en millions de dollars, reste le pré carré des hommes. Un effet du patriarcat ? Quels sont donc les freins à l’accès des artistes femmes au marché de l’art ?

“Le marché de l'art est une sorte de caricature de l'économie capitaliste caractérisée par des rapports de force que l'on retrouve tout naturellement et de façon presque exacerbée sur le marché de l'art.” précise Dominique Sagot Duvauroux. 

Nous parlerons ici de l’art contemporain le plus visible sur le marché, même s’il n'en représente qu’un tiers. L’autre partie constituant la majorité silencieuse ne doit souvent sa survie qu’à la nécessité d’un deuxième emploi. Nous ne parlerons pas non plus de ces innombrables “petites” galeries qui mettent tout leur talent (et leur argent) à faire découvrir les artistes. Bien que le rôle de ces galeries soit primordial, nous nous intéresserons ici à l’arbre qui cache la forêt, pour la représentation caricaturale d’un système encore trop vivace qu’il véhicule : le patriarcat.

 

Comment franchir les étapes qui conduisent à la reconnaissance internationale ?

Trois conditions pour sortir les artistes de l’oubli et les faire entrer dans les réseaux du marché de l’art : crédibilité, visibilité, notoriété. Regardons ce qui se passe du côté des artistes femmes.

 

Première condition : la crédibilité

Elle se fonde sur la professionnalisation des artistes et donc leur formation.

Après des décennies d’interdiction des écoles d’art aux femmes, les créatrices ont enfin pris leur revanche. Maintenant que les écoles d’art leur sont largement ouvertes, qu’en disent les chiffres ?

Les femmes représentent aujourd’hui près de 80 % des effectifs des écoles et, à la sortie de leur formation, ce chiffre chute à 30 %, voire 15 ou 10 % dans les expositions… Où sont-elles passées ?

 

“Comment le champ de la création artistique, où le bon sens voudrait que le talent prévale sur le genre, demeure affecté, plus durement encore que d’autres espaces professionnels, par d’importantes inégalités de genre”, se questionne Samuel Belfond qui a enquêté pendant une année pour écrire son article, “De l’école à la galerie, pourquoi les jeunes artistes s’évaporent-elles ?”, dans Manifesto XXI, jeune média queer.

 

Les résultats de son étude ne nous étonnent guère : c’est la plupart du temps à cause de la précarité de leur situation que les jeunes artistes, principalement les femmes, délaissent leur profession pour subvenir à leurs besoins, aux charges de la vie conjugale et parfois à celles de leur famille : “De nombreuses études ont montré comment les jeunes femmes subissent les poids spécifiques de la conjugalité et de la parentalité, [les obligeant à] s’orienter vers des carrières garantissant à la fois une forme de stabilité et de sécurité […].”

 

“La possibilité d’avoir un enfant est un handicap”, renchérit Marie Docher, photographe et autrice qui a fondé La Part des femmes et créé la plateforme Ce que le genre fait à l’art. “Des études ont montré que même lorsqu’une artiste clame qu’elle ne veut pas d’enfants elle reste quand même dans la case mère potentielle. Alors quand elles en ont un…” “Dans le regard de la société, les femmes enfantent, mais elles ne créent pas – c’est un tabou anthropologique”, écrit Fabienne Dumont.

 

“Entre présupposés machistes, discriminations directes et harcèlement, le milieu de l’art, des écoles à son marché, demeure embourbé dans un archipel d’archaïsmes qui jouent leur part conséquente dans ce phénomène. Comment renverser ces mécanismes, qui constituent le socle des inégalités dans la construction genrée ?” conclut Samuel Belfond.

“Comment rompre avec ces biais culturels et insuffler une diversité de genre et d’origine, et par conséquent de créations et de points de vue ? Quelles sont les conditions de féminisation des mondes de l’art ?” questionne Marie Buscatto sur son site Visuelles.art.

 

La question de la surreprésentation masculine est enfin médiatisée, ce qui a pour effet d’agiter les esprits.

 

Deuxième condition : la visibilité

Invisibilisées pendant des siècles, les artistes femmes commencent à surgir dans l’histoire de l’art. Épouses ou filles de peintres, elles ont eu accès à l’atelier et ont appris sur le tas, mais l’histoire n’a souvent retenu que le nom de leur époux ou père jusqu’à ce que des artistes et des féministes se battent pour leur donner le droit d’exister. Encore sous-représentées dans les collections des musées, dans les expositions en galeries, elles souffrent toujours d’invisibilité.

 

Il aura fallu l’engagement de militantes pour faire découvrir les œuvres des artistes femmes. Parmi lesquelles quelques audacieuses ci-dessous.

national museum women arts2

Ainsi, à Washington, Wilhelmina Cole Holladay (1922-2021), collectionneuse, fonde en 1981 le National Museum of Women in the Arts (musée national des femmes artistes). C’est un musée privé sans but lucratif, le premier du genre consacré à la production artistique féminine.

 

En 2007, Elizabeth Sackler, historienne de l'art, fonde le Centre Elizabeth A. Sackler pour l'art féministe au quatrième étage du musée de Brooklyn à New York.

 

Dans la même veine, Camille Morineau, historienne de l’art, autrice et commissaire d’exposition l'assure : pour pallier l’invisibilité des femmes artistes, et donc leur précarisation, il existe une arme ; “c’est l’information qui transforme les choses de façon pérenne. D’autant que le marché se nourrit d’information. Plus on parle des œuvres de femmes, plus elles prendront de la valeur […]”. Elle ajoute : “Aucune raison pour que les femmes artistes ne soient pas mues par la même pulsion créatrice que les hommes.”

Elle l’a prouvé ! Dès 2009, elle sort des réserves du Centre Pompidou 500 œuvres oubliées de 200 créatrices de tous les continents pour l’exposition elles@centrepompidou. C’est la première exposition consacrée entièrement aux artistes femmes. Et la critique lui reprochera son exclusivité ! Elle récidive en octobre 2017 en proposant à la Monnaie de Paris une exposition, Women House, pour laquelle elle convie 39 artistes femmes des XX et XXI siècles à réfléchir aux questions de genre (le féminin) et d’espace (le domestique).


En 2019 La Smithsonian Institution (Washington) a choisi 27 artistes femmes d’origine africaine dans sa collection permanente le temps de l’exposition I am... Contemporary Women Artists of Africa. À partir de 2012, le musée a lancé le Women’s Initiative Fund pour accroître le profil des femmes africaines dans les arts grâce à des expositions, des publications, des acquisitions et des partenariats stratégiques à l’échelle mondiale.

 

centre pompidou elles font abstraction

En 2021, Christine Macel, conservatrice en chef des collections du musée Pompidou consacre toute une exposition sur l’art abstrait aux femmes, Elles font l’abstraction. L’exposition propose une relecture inédite de l’histoire de l’abstraction depuis ses origines jusqu’aux années 1980, articulant les apports spécifiques de près de 110 artistes femmes jusqu’alors invisibles…

 

Poursuivant le même but, celui de rendre les artistes femmes plus visibles, l’association Aware (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) créée en 2014 par un collectif de 7 femmes, dont Camille Morineau, travaille à réparer l’histoire en établissant une base de données d’artistes femmes. C’est un outil formidable pour qui s’intéresse au rôle qu’ont joué les plasticiennes dans l’histoire des mouvements artistiques.

 

Autre moyen pour booster sa crédibilité d’artiste : les prix et résidences légitiment les plasticien·ne·s. Il en existe de nombreux partout dans le monde. Mais certains sont plus significatifs que d’autres.

 

En France, le prix Marcel Duchamp, créé en 2000, est unique en son genre parce que décerné par des collectionneurs. Son ambition est de distinguer un·e artiste français·e, ou résidant en France, le·la plus emblématique de sa génération (en général entre 35 et 45 ans). Il encourage les artistes les plus avant-gardistes travaillant dans le domaine des arts plastiques et visuels : installation, vidéo, peinture, photographie, sculpture… À regarder de près, sur la décennie 2010-2020, bien que le nombre de nominées soit croissant par rapport à la décennie précédente, le prix a été décerné à 3 femmes et 8 hommes, alors que pour la même décennie, le prix Turner a récompensé 6 femmes et 4 hommes… dont une Française, Laure Prouvost.

 

Partant du constat que les femmes représentent à peine 30 % des lauréats des grands prix mixtes et qu’il n’existe pas en France de prix dédié aux plasticiennes, à l’inverse de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne, Aware a créé le prix Aware en 2018. Il récompense et met en avant deux catégories d’artistes : des jeunes plasticiennes d’une part et des artistes confirmées avec un prix d’honneur Aware.

 

Les résidences d’artistes de certaines institutions telle l’Académie de France à Rome, la fameuse Villa Médicis, facilitent aussi l’intégration dans la cour des grands. La Villa accueille chaque année 14 pensionnaires de toutes catégories comprenant aujourd’hui 50 % de femmes. Prise de conscience réparatrice très récente quand on sait que la promotion 2017-2018 ne comportait que 4 femmes sur les 14 artistes sélectionnés.

Pourquoi cette lenteur dans le système français ? Le patriarcat resterait-il une exception française ?

 

Troisième condition : la notoriété

La notoriété est la condition sine qua non pour passer à l’étape supérieure : participer au grand marché de l’art qui défie souvent les médias. S’il ne représente environ qu’un tiers du marché de l’art contemporain et consacre une poignée d’artistes, c’est celui qui décide de la valeur de l’œuvre, de sa cote. En valorisant les œuvres, les galeries de renom, foires internationales, biennales, triennales et maisons de ventes aux enchères en sont les principaux rouages.

 

Dans ce marché très prospère malgré la crise sanitaire, l’invisibilisation des femmes pendant des décennies se répercute encore aujourd’hui sur les ventes d’œuvres : seulement 20 % des artistes qui vivent de leur art sont des femmes et parmi ces 500 artistes les mieux cotés au monde, il n’y a que 19 plasticiennes…

 

Le rôle des grandes foires internationales est essentiel. Comme les galeries occidentales, elles se sont multipliées sur tous les continents à commencer par l’Asie puis l’Afrique, faisant découvrir des artistes du monde entier au monde entier et valorisant ainsi des artistes jusque-là inconnu·e·s en dehors de leur pays. 


Mais les chiffres du Rapport sur le marché de l’art contemporain en 2021 restent conformes aux préjugés sexistes. Dans le Top 500 des plus gros chiffres d’affaires, les ventes d’œuvres placent en tête des records principalement des hommes tels Basquiat (1960-1988) avec 385 millions de dollars et Banksy (1974, G-B) avec 171 millions de dollars. La première femme arrive au 20ème rang, c’est Cecily Brown (1969, Londres) dont les tableaux érotiques produisent 23 millions de dollars, (soit 7 fois moins que Banksy), la 2e est au 52e rang, c’est Amy Sherald (1973, US) qui a peint le portrait de Michelle Obama en 2018, avec 7,8 millions de dollars et la 3e, Mickalene Thomas (1971, US), au 58e rang avec 7 millions de dollars. Déception sur le classement des femmes ? Pour autant, deux des trois artistes sont afro-américaines, ce qui montre une évolution du regard sur les personnes racisées.

 

Comment sortir des préjugés de genre ?

Liliane Charrier, journaliste pour Terriennes, le magazine d’actualité sur la condition des femmes dans le monde, a interviewé en avril 2019 une Guerrilla Girl répondant au pseudonyme de Frida Kahlo. La première chose à faire, dit-elle, c’est de s’attaquer aux conflits d’intérêts qui minent l’administration des musées aux États-Unis. La plupart sont privés ou gérés par des fonds privés appartenant à des hommes. Ce sont eux qui donnent le “la” dans les milieux versatiles de l’art. “Pour un collectionneur d’art, explique la Guerrilla Girl, faire partie du conseil d’administration d’un musée ou financer un musée permet d’agir sur les prix pour faire fructifier ses investissements et accroître son influence. Car ce sont ces mêmes musées qui contribuent à faire monter la cote d’une collection d’art.” Ce que confirme l’étude des économistes Nathalie Moureau et Dominique Sagot Duvauroux.

 

Quel est le rôle des collectionneurs ?

Les hommes représentent entre 71 % et 76 % des collectionneurs, pour la plupart des hommes d’affaires pour qui la collection représente, entre autres, un marqueur social.

Pour Cyril Mercier, sociologue, il existe 6 profils de collectionneurs. Le premier est celui du collectionneur qui fonctionne sur un mode spéculatif ; la vente de l’œuvre de Banksy en est un bel exemple : l’art, une affaire de fric dans un monde patriarcal ! Étonnant ? Banksy s’est hissé en quelques années au firmament du marché de l’art contemporain, tout juste après Jean-Michel Basquiat, rapportant en 2021 un chiffre d’affaires semestriel de 123 millions de dollars.

 

 

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La Petite Fille au ballon sur le pont de Waterloo à South Bank en 2007, © wikipedia.org

 

Voici l’histoire. Lors de la vente de son œuvre La Fille au ballon, en 2018, le facétieux Banksy avait caché dans le cadre de l’œuvre un broyeur à papier. Celui-ci avait été actionné au moment de l’adjudication, pour le prix de 1,2 million de dollars. Jeudi 14 octobre 2021, l’œuvre s’est revendue pour un prix de 21,8 millions d’euros ! Un record pour la cote de l’artiste. À qui profite le crime ? Banksy qui dénonce la marchandisation de l’art ? La maison de ventes aux enchères ? Le revendeur ? Les trois assurément !

 

Comment ne pas voir l’intérêt de la spéculation pour les collectionneurs quand un gain peut être multiplié par 18 en moins de 3 ans !!

 

“Je peux revendre des œuvres, soit par spéculation, soit par désintérêt pour l’œuvre. […] Il peut, en effet, y avoir une démarche spéculative. Il peut m’arriver d’acheter à New York et de revendre à Paris. L’art contemporain répond à un contexte social. Il ne faut donc pas voir l’art spéculatif comme péjoratif. Il reflète notre société actuelle”, précise un des collectionneurs en parlant de ce système capitaliste dont le premier objectif est de faire de l’argent et de gagner toujours plus.

Cyril Mercier conclut cependant que “l’aspect spéculatif découle d’une loi de marché incontournable à laquelle sont soumis les collectionneurs (les pauvres !). Toutefois, le gain financier ne semble pas jouer un rôle exclusif dans leur engagement vis-à-vis de l’Art contemporain.” On voudrait pouvoir y croire…

 

Mais qu’en est-il de la cote des femmes ?

Quand elles ne sont pas ignorées, les œuvres des artistes femmes restent sous-estimées par rapport à celles de leurs homologues masculins. “Le prix est la seule façon de voir les différences entre les sexes dans le domaine de l’art”, estimait Anjali Purohit, artiste indienne. “La différence de prix n’est pas une division consciente entre les sexes, ajoutait sa compatriote, la critique d’art Deepanjana Pal. En Inde, malgré le fait que nous ayons un grand nombre de galeristes et d’artistes femmes, ce sont les hommes qui sont le plus pris au sérieux”, précise-t-elle.

Spécificité indienne ?

Pour preuve du contraire, l’exposition proposée par la maison de ventes Christie’s à Paris au mois de juin dernier intitulée Women in Art. Pour la première fois, la vente est entièrement consacrée aux œuvres de femmes artistes. Idée généreuse ! Cinq siècles de création et un large panel de médiums : des tableaux anciens et modernes, des sculptures, des livres, des photographies, du design… Et des noms prestigieux parmi lesquels Niki de Saint Phalle, Lavinia Fontana, Élisabeth Vigée Le Brun, Dorothea Tanning, Sheila Hicks, Leonor Fini, Dora Maar, Carole Benzaken, Claude Cahun, Berthe Morisot… toutes périodes confondues. Et, cerise sur le gâteau, une bonne nouvelle : il sera permis de rêver puisque l’œuvre la moins chère démarre à 200 euros, pour atteindre 300 000 euros d’estimation pour la plus chère. Des noms fabuleux mais des valeurs très en dessous de leurs alter (in)ego masculins ! Quelle aubaine ! De l’art à prix réduit, parce que créé par des femmes !

Sans commentaire...

 

Mais ne désespérons pas, il y a des avancées. Ces deux dernières années, les mentalités sont bousculées par de nombreuses attaques menées contre la domination masculine et le sexisme. Les regards s’ouvrent avec les prises de conscience. La scène internationale se fait plus présente. Aujourd’hui, de très nombreuses femmes accèdent à des postes stratégiques dans le milieu des galeries comme dans les grandes institutions muséales et créent des fonds d’acquisition dédiés aux œuvres de créatrices. Ainsi les femmes sont de plus en plus présentes dans les expositions, dans les prix et dans les foires internationales. Visibilité et légitimisation sur la scène internationale.

 

Évolution du marché vers une plus grande diversité

Avec l’entrée dans le XXI siècle, la question de la diversité est au cœur des débats, comme des grandes évolutions du marché de l’art. Les femmes issues des continents africain, asiatique, sud-américain ou de la diaspora sont de plus en plus présentes dans les circuits de l’art.


Selon une étude menée en 2019, seulement 1,2 % des œuvres conservées dans les musées américains étaient le fait d’artistes afro-américains. Face à la réalité de cette sous-représentation, plusieurs musées américains ont révisé leurs stratégies de recrutement pour inclure des hommes et des femmes noir·e·s dans leurs conseils d’administration. 

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Njideka Akunyili Crosby, Nwantinti, 2012, Acrylic, pastel, mixed media. Studio Museum in Harlem, licence creative commom

 

Outre la montée en flèche des artistes asiatiques, le désir de nouveautés s’accroît avec la passion que suscitent ces jeunes novatrices africaines. Pour exemple, Njideka Akunyili Crosby (1983), jeune plasticienne d’origine nigériane a vu le prix de ses toiles flamber après son exposition à Londres en octobre 2016. En 2017, elle galvanise les enchères avec The Beautiful Ones. Cette toile représentant sa sœur est emportée pour 3 millions de dollars chez Christie’s par une militante en faveur de l’égalité de traitement entre les Américains, raconte Martine Robert dans Les Échos.

Kudzanai-Violet Hwami (1993), sélectionnée parmi les artistes représentant le Zimbabwe à la 58e biennale de Venise en 2019. L’artiste, installée aujourd’hui à Londres, monte en puissance sur le marché international. Le 19 avril 2021, son odalisque noire, Skye waNehanda, a fait monter les enchères en emportant 487 000 dollars, soit plus de 10 fois l’estimation initiale. Achetée quatre ans plus tôt auprès de la galerie Tyburn, cette toile en est déjà à son quatrième changement de propriétaire... “Derrière l’urgence à légitimer un travail engagé dans la déconstruction des stéréotypes et des rapports de domination, ces reventes très rapides illustrent l’emballement du marché pour les tenants de la « Renaissance noire ».”

Une autre artiste de cette génération à enflammer le marché est une femme : Jadé Fadojutimi, artiste britannique née en 1993. Ses œuvres ont déjà bien intégré les musées et grandes collections privées. À seulement 27 ans, elle est la plus jeune artiste à entrer dans la collection de la Tate Modern et le marché de ses œuvres s’en ressent. Parmi les 13 œuvres proposées en salles de vente depuis, l’une d’elles a dépassé 730 000 dollars à Hong Kong en juin.

À Londres, la foire Frieze se place sous le signe des femmes et des Noirs. Les problématiques contemporaines sont présentes dans un nombre important d’œuvres. Ainsi Mounira Al Solh évoque la violence faite aux femmes et a recueilli les mots et les pleurs de femmes maltraitées, puis les a brodés, raconte Roxana Azimi dans Le Monde du 15 octobre 2021.

Quant à Toyin Ojih Odutola, nigériane, elle a reçu le prix Jean-François Prat 2020, du nom d’un collectionneur. Elle est 4e dans le Top 10 des artistes contemporains nés en Afrique en produit de vente aux enchères. Ses recherches, qui s’inspirent de son vécu de femme noire au cœur d’une société américaine complexe et ambiguë, portent sur les questions de race, d’identité, et plus spécifiquement sur la “construction sociopolitique de la couleur de la peau”. 

 

Avec l’accroissement de la présence des femmes dans le monde de l’art, de nouveaux champs de réflexion s’ouvrent, comme la vulnérabilité, la fragilité…

L’art sera gagnant en revenant à l’essentiel, ainsi que l’exprime Carole Benzaken (prix Marcel Duchamp en 2004) : “La cotation du marché international me laisse totalement indifférente. Ce sont les œuvres et la trajectoire d’une ou d’un artiste qui comptent pour moi.”

 

Pour conclure

La quête de parité a gagné le monde de l’art. Et ce n’est pas trop tôt !

Restent encore des combats à mener contre le sexisme, le racisme, l’intolérance, le mépris… qui construisent le plafond de verre. Reine Prat, l’autrice du rapport des États généraux de l’égalité homme/femme dans les arts et la culture en octobre 2016, à Lyon, le prouve dans son dernier ouvrage, Exploser le plafond. Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture, qui constate encore de fortes distorsions.

 

“En donnant du poids aux artistes afro-américains, les collections muséales (et privées) renouvellent les pistes de lecture de l’histoire et de l’iconographie contemporaine, et nous invitent à reconsidérer les codes occidentaux qui ont façonné l’Histoire de l’Art et du Marché”, conclut Artprice. Parions que ces “codes occidentaux”, nourris de préjugés raciaux et de stéréotypes de genres, laisseront, une fois démantelés, la place à des rapports plus égalitaires et à des mondes plus enchantés.

 

Références

Nathalie Moureau, Dominique Sagot-Duvauroux, Le Marché de l’art contemporain, Éd. La Découverte, 3e édition, 2016

 

Artprice, Rapport sur le marché de l’art contemporain 2021

 

Publications du ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes

Rapport des États généraux de l’égalité homme/femme dans les arts et la culture le 17 octobre 2016, à Lyon

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/initiative/etats-generaux-de-legalite-ege-dans-les-arts-et-la-culture/

https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/publications/droits-des-femmes/egalite-entre-les-femmes-et-les-hommes/vers-legalite-reelle-entre-les-femmes-et-les-hommes-chiffres-cles-edition-2018/

https://soundcloud.com/user-711413844-962934411/reine-prat-avec-si-siles-femmes-existent-au-palais-du-travail-de-villeurbanne

 

Samuel Belfond, pour Manifesto XXI, le 15 décembre 2018 

 

Fabienne Dumont, Des sorcières comme les autres. Artistes et féministes dans la France des années 1970, PUR, 2014

 

Liliane Charrier, journaliste pour Terriennes, le magazine sur la condition des femmes dans le monde pour TV5monde, 6 avril 2019, Sur le marché de l’art les femmes peinent encore à émerger https://information.tv5monde.com/terriennes/sur-le-marche-de-l-art-les-femmes-peinent-encore-emerger-293891

https://information.tv5monde.com/terriennes/les-guerrilla-girls-l-assaut-d-un-art-sexiste-et-domine-par-les-hommes-blancs-153082

https://information.tv5monde.com/terriennes/guerrilla-girls-vengeuses-masquees-des-femmes-artistes-occultees-332010

 

Yves Deloison pour l’Express 23 décembre 2019

 

Cyril Mercier : auteur d’une thèse de doctorat soutenue en 2012 : “Les collectionneurs d’art contemporain : analyse sociologique d’un groupe social et de son influence sur le monde de l’art”

 

Ma Padioleau, juin 2018, dans son article “Sous-représentation des femmes artistes dans le monde de l’art contemporain”, in www.creationcontemporaine-asie.com

 

Le Monde

https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/10/14/la-fille-au-ballon-de-banksy-vendue-21-8-millions-d-euros-trois-ans-apres-son-autodestruction-lors-d-une-premiere-enchere_6098426_3246.html

 

https://www.gazette-drouot.com/article/les-femmes-artistes-ont-elles-la-cote%25C2%25A0%253F/5096

 

Cédric Lépine, Mediapart, sur l’ouvrage de Reine Prat Exploser le plafond. Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture, 24 octobre 2021, Éd. Rue de l’échiquier, coll. « Les Incisives », 2021.

 

http://www.slate.fr/story/188433/culture-art-musees-femmes-sous-representees-parite

 

 

 

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