Je suis vénère #5
par Caroline R.
Ce ne sont pas les livres qui m’énervent, enfin si, mais ce n’est pas contre eux que je suis énervée. Eux, je les trouve puissants, réconfortants, nourrissants, déstabilisants. Ce n’est pas contre eux, mais c’est à cause de… je n’en sais rien, en fait. Attends, je suis sûre que si, je sais, mais ça me demande de me poser, de respirer et de ne pas juger ma naïveté à ne pas comprendre le monde.
(Respire.)
Je crois que je suis vénère contre les inégalités, les trop lentes évolutions, les manques de prises de conscience, les souffrances, les rires gras, les peurs, les violences, les meurtres, les chemins barrés. Et tout ça sous prétexte, juste à cause d’un simple fait, qu’entre nos jambes, on a une vulve ! Une techa. Une pomme. Une foufoune. Et là, mon cerveau bugue complètement.
Ouais, voilà, je suis en colère parce que je ne comprends pas, je ne comprends juste pas. Je dois avoir une synapse qui refuse de faire son travail, de créer le lien entre deux neurones qui permettrait alors à cette idée de se conceptualiser. En fait, je ne comprends pas, un peu comme ces enfants qui ne comprennent pas pourquoi il peut y avoir des nombres à l’infini, que ça ne s’arrête pas. C’est arrivé à mon cousin Charly : j’ai vu le vide s’ouvrir sous ses pieds, enfin dans sa tête, bref, bug intersidéral. Ben là, c’est pareil. Attends, non, lui il paniquait, alors que moi, non, je ne panique pas. Non, voilà, plutôt comme un enfant que tu punis alors qu’il n’a rien fait. Tu sais, il te regarde avec ce mélange de peur, de sentiment d’injustice, de colère.
Tu vois, quand je lis que les corps des femmes leur appartiennent, qu’il faut éduquer les garçons et les filles en leur donnant les mêmes droits (de chialer quand iels ont mal et de crier “non” quand iels ne sont pas d’accord, par exemple) et les mêmes jouets, ben ça me semble tellement évident que ça me révolte, ça me révolte qu’on en soit encore là. Et encore, on n’en est pas toujours là. Eh oui, à Noël j’ai pas encore le réflexe d’aller voir les tractopelles pour mes filles alors que je suis sûre qu’elles tripperaient tout autant de faire de la construction.
Je suis fâchée qu’en tant que société on ne soit pas allé·e·s plus loin et que toute cette énergie, on ne la mette pas ailleurs. Et c’est peut-être ça que les gens qui me répondent “Oh, ça va, y’a plus grave” ressentent eux aussi. Qu’il y ait autant de personnes qui en souffrent, qui se cachent, qui étouffent, qu’il y ait autant de personnes qui ne voient pas le problème, ça me vénère.
Bon, et là tu te demandes il est où le lien avec la consommation, ben il est partout. Réponse facile. Du coup, je vais juste te dire celui qui a été l’élan de cet article.
À la base, donc, le lien à la consommation, il était avec le fait qu’il y a toujours une part de moi qui s’énerve à dépenser des sous, des insomnies et du temps sur des livres féministes ; et hop lien à la consommation. Parce que moi je passerais bien toute cette énergie sur autre chose en fait. “Mais on t’a rien demandé”, me direz-vous ; et ben détrompez-vous, “on” m’a demandé beaucoup de choses, “on” m’a demandé d’accepter toutes ces différences de traitement, de les intégrer et de suivre les chemins bien tracés tout en m’affligeant de “c’est bien ça les filles”, “c’est chiant”, “oh bah, de toute façon, on peut plus rien dire”, “aaaah, les feeemmeees” pour finir avec un bon “ça va, on est pas en Afghanistan”. Et comme j’ai un peu de mal à accepter tout ça, vous comprendrez que j’ai plus ou moins le choix d’aller m’outiller, me nourrir auprès de celles et ceux qui ont dépassé ce stade de la colère.
CQFD !
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