Je suis vénère#4
« Monsieur comprend pas pourquoi je suis crevée. »
par Caroline R.
Le soir, une fois que j’ai fini ce que je me suis dit que je devais faire, souvent pour relâcher les mille pensées à la seconde que mon cerveau fournit – ouah ça sonne hautain mais honnêtement, ça a rien de bien glorieux –, je zone sur Facebook – tu vois, je t’avais dit c’était pas glorieux.
Oui t’as raison, je pourrais méditer, ce serait sûrement plus efficace et ça ferait une raison de moins de m’énerver. Parce que sur Facebook, j’ai plein d’amis qui partagent tout un tas de trucs sympas, ouais mais j’ai aussi plein de groupes qui partagent des choses qu’on dit pas trop d’habitude, qu’on cache, à moins d’utiliser une grosse dose de cynisme entre potes. Bref, parmi ces groupes, j’ai un groupe de « charge mentale » et je peux pas m’empêcher de lire ce que les gens partagent et comme les petits algorithmes de Facebook fonctionnent bien, plus je lis, plus j’en ai sur mon wall. En fait, attends non, pas les gens, les femmes, celles qui sont mères surtout. Bref, je lis et souvent, toujours en fait, j’en reviens juste pas. Je me dis que même dans un film ou une mauvaise série B, on n’oserait pas aller jusque-là. C’est parti.
Il y a cette femme qui explique qu’elle vit avec son mari mais gère toute seule ses enfants, la maison, les repas, qu’elle travaille, a souvent pas le temps de manger, et que monsieur se plaint que le repas n’est pas réchauffé alors qu’il est rentré deux heures en retard sans prévenir, lui glisse une remarque sur son poids, enchaîne le foot et les sorties avec ses amis le week-end et finit par lui glisser « de toute façon, tu te plains toujours que tu es fatiguée ». Et c’est pas le plus trash. Et j’en reviens pas.
Ouais, comme d’hab’. Vous avez raison, j’évolue pas beaucoup depuis le début, je n’arrive pas à comprendre comment c’est possible. Mais en fait, il y a rien à comprendre, Caro, c’est juste là, faut l’accepter. Et le pire, vous allez voir. Le pire, c’est que souvent, il y a une mini voix qui se glisse entre mes pensées vénères et qui se permet de balancer discretos l’air de rien « mais c’est pas possible, mais elle a qu’à l’envoyer bouler son mec, ou se casser tiens, c’est pas possible d’être avec un mec pareil », et allez, je vais même aller jusqu’à vous avouer – et j’en suis pas bien fière – « franchement, si c’est à ce point-là, elle a sa part de responsabilité, si elle lui disait stop aussi et blablibloublabla », oui je coupe l’argumentaire parce que ça vole pas haut en fait, et que ça me fout la gerbe ce genre de pensées surtout quand c’est moi qui les ai. Quiconque se permettrait de tenir ce genre de propos face à moi, je ferais tellement la maline à dire qu’iel « comprend pas, c’est tout le système qui est oppressif, que c’est facile quand on n’est pas dans la situation ». Je coupe aussi l’argumentaire, vous le connaissez sûrement, vous le tenez même j’imagine. Mon propos n’est pas là. Je crois que ce que j’essaie de dire, c’est que ces rapports-là sont tellement ancrés qu’ils s’immiscent hyper facilement entre chacune de mes pensées et que si je n’avais pas mes petits gardiens bien entraînés au garde-à-vous qui n’ont pas fait d’insomnie la nuit d’avant, eh bien mes pensées reviendraient au cliché du patriarcat. Ouais. Ce qui me vénère, c’est que des meufs qui dorment pas, qui sont à bout et qui semblent essayer d’en parler à leurs mecs se retrouvent devant un mur d’incompréhension et que moi, au lieu d’être en empathie avec elles, mon petit cerveau reptilien trouve rien de mieux à faire que de juger tour à tour lui, puis elle, puis finit par me comparer pour me réconforter. Pas fortiche.
En fait, je réalise chaque jour un peu plus le pouvoir de ce système qu’on croit appartenir au passé et ça me révolte (oui t’as vu, j’upgrade de vocabulaire des fois). Je me déçois. Tant pis pour moi.
Et tu sais quoi, je t’ai même pas parlé de ce qui me vénère le plus. C’est que ces mêmes meufs se demandent si c’est « normal », et qu’est-ce qu’elles peuvent faire pour que leur mec arrête de les réveiller la nuit parce qu’il a envie « de se faire plaisir ». Mais ça, peut-être qu’en fait on en reparlera une autre fois, sans forcément revenir sur le sujet de la sexualité, parce que ça n’en est pas, non, ça s’appelle du viol conjugal.
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