Il est des jours...
par Tobu
Il est des jours où je consomme patriarcalement. Inconsciemment, bien évidemment, et je suspecte qu’il s’agisse d’un héritage génétique. Une programmation ancestrale de mon ADN qui me pousse vers le rayon viande du super, tel un président français vers le salon de l’agriculture. À défaut de tapoter le cul d’une vache, je m’extasie devant des joues de porc, je rugis devant une langue de bœuf et je dois avouer que j’ai déjà dû faire face à plus d’une érection inopinée devant une barquette d’escalopes. C’est gênant car la rumeur se répand : un dindophile rôde dans le quartier. Les poulets me pistent. J’eus aimé les avoir en bouche avant de les avoir au cul. Ah, la viande ! L’imaginaire collectif à son sujet a des relents de sang et de sueur. Elle évoque la chasse, la force, la domination masculine. Pour les plus terre-à-terre, la barbaque nous parle plus d’amitié qui sent le rot de bière autour d’une grillade. Mais ayant dû m’informer pour rédiger cet article ma déposition, je dois faire face à la triste réalité. Je me fourvoie depuis des décennies. Ni ketchup-mayo, ni réunions entre ami·e·s autour de trois brochettes cramées : la viande est au patriarcat ce que Milou est à Tintin. Merde. Il va m’en falloir du Viagra pour bander devant des blettes.
Il est des nuits où je consomme patriarcalement. En un clic, pas plus. Peut-être deux, lorsque Youporn ne comprend pas ma requête. J’ai l’esprit libre, mais de là à fantasmer sur deux individus déguisés en champignons s’enfilant allégrement dans un sous-bois, c’est trop de liberté pour moi. Alors, sur un troisième et dernier clic, je reviens sur les bases traditionnelles de l’industrie du X : passé le classique moment de suspense indescriptible (seront-ils déjà à poil quand j’appuierai sur play ?), une grosse teub avec un mec à son extrémité vient rapidement pourfendre dans des positions inconnues du Cirque du Soleil une collègue de travail qui, semble-t-il, a l’euphorique tendance d’apprécier tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi d’ailleurs, puisque j’ai tenté d’appliquer certaines recettes qui paraissaient gagnantes, sans obtenir l’effet escompté. La dame en question avait pourtant l’air d’affectionner les petits coups de gland sur le front.
Il est des matins où je consomme patriarcalement. L’œil embué et l’esprit encore troublé par ce rêve dans lequel je survole un sous-bois chevauchant une merguez volante, j’opte pour adoucir les mœurs. Musique Maestro ! Le grand Georges vient alors accompagner mes premiers gestes matinaux. Ainsi, et pour mon plus grand bonheur, une “misérable salope” se glisse entre ma tartine et ma première gorgée de café. Je remarque au passage que la susdite salope trompe notre troubadour pour une escalope. Une camarade du rayon boucherie ? Puis une petite cumbia vient égayer le brossage de dents. Pendant que mes molaires se déchaussent lascivement au rythme des percussions, le chanteur et moi fredonnons à l’unisson que nous sommes “bien contents d’être nés machos, parce que les femmes aiment les machos”. Je devrais assurément me récurer la langue après avoir entonné en chœur de telles conneries, mais la réalité est tout autre : je renvoie illico cette pépite à tout mon répertoire, copines incluses, qui elles aussi, demain matin, chanteront à pleins poumons “Je suis vraiment ravie d’être née macho, repasser tes slips, y a rien de plus beau oh oh oh oh.” Si señor.
Il est des après-midi où je consomme patriarcalement. Pourtant, comme 95 % des personnes habitant sur cette planète, je ne suis pas un acheteur compulsif. Certes, notre pouvoir d’achat de crotale soudanais nous facilite cet état d’esprit, mais je dois avouer que de temps à autre, je lâche les chiens. J’ouvre les vannes. Je jette alors mon dévolu sur la technologie de pointe, sans la moindre pensée pour les 64 heures de travail quotidien du petit Bangladais de 6 ans qui a construit le machin pour une croquette. Je piétine au passage les tresses de Greta Thunberg, en rajoutant un peu plus de plastique dans la soupe. Hier, le machin en question était un drone. Je vous parle d’une avancée majeure dans le processus d’émancipation de l’être humain. Le feu, la roue, l’agriculture, l’écriture, les Droits de l’homme, le drone. Bravo ! Mon gamin a empoigné la télécommande, dirigé le joystick vers “très haut” et le drone a disparu de notre champ de vision. Pour toujours. J’espère seulement qu’il est arrivé tout seul au Bangladesh, ça serait un juste retour des choses.
Il est des soirées où je consomme patriarcalement. L’heure de coucher les nains sonne et je mise sur la comptine du soir pour les mener dans les bras de Morphée. J’entonne alors “le petit cordonnier”, un hymne au respect, le texte fondateur du féminisme, la berceuse de l’enfance de Simone Veil. Je monte dans les aigus pour le couplet dans lequel notre gentil petit cordonnier met une vilaine rouste à sa femme après s’être pinté la face à la taverne et j’improvise quelques hurlements pour donner de la crédibilité à ma prestation. Mais quelle interprétation ! Quel coffre ! Je salue mon public, que j’espère écouter ronfler, mais malheureusement un enfant terrorisé ne trouve pas le sommeil si facilement. Alors survient à pas feutrés le conte du Prince avec la grosse épée. Afin de rompre la monotonie, il m’arrive d’enjoliver et le blondinet couronné se retrouve aux commandes d’un char Leclerc qui, soit dit en passant, est bien plus pratique pour défoncer du dragon en écoutant Iron Maiden. L’animal pulvérisé et la Princesse Clémentine conquise et bavant littéralement comme un escargot sur ses souliers de verre à la vue de Rambo, je m’assure alors d’un coup d’œil que la descendance pionce. Et je souris béatement en pensant à cette nouvelle société égalitaire que demain ils construiront...
Voilà donc un bref aperçu de mon quotidien. Le reste du temps, je travaille. Je suis technicien de surface chez Capitalism Corporation & Son. 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Comme vous.
Il est des jours où l’on devrait démissionner.
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