Caniche is the new Wolf
par Ana Ciotto
J’ai coupé mes cheveux.
Je ressemble à un caniche.
Mais un caniche libre, la langue qui pend, le regard vif, le poil brillant.
Déjà, j’avais commencé à prendre la tangente, petit à petit.
Je ne porte presque plus de soutien-gorge, je peux bientôt faire des tresses avec mes poils sous les bras. Un petit look de goudou qui s’installe l’air de ne pas y toucher. Mais je me maquille toujours, je choisis mes vêtements féminins, je peux pas dire non plus que je sème le doute. Je prends mes aises quoi. Je fais ce que je veux et j’adore ça.
Passer des cheveux longs aux cheveux courts, c’est aller directement casser le mythe de la princesse. Vous en connaissez beaucoup des princesses aux cheveux courts ? D’ailleurs, on ne peut pas se tromper, on appelle ça encore une coupe à la “garçonne”. C’est pas vraiment une fille, une fille aux cheveux courts.
Et la princesse, elle fait quoi au juste ?
Elle attend qu’un jour, son putain de prince arrive, elle regarde sa montre. Tic.Tac. Mais elle a bon espoir, alors elle chante avec sa voix fragile “un jour mon prince viendra”. Et elle attend.
Moi, je suis fatiguée d’attendre. Je ne veux plus attendre qui que ce soit. Ni quoi que ce soit de qui que ce soit.
En plus, c’est un vrai nid à emmerdes cette histoire. Parce qu’une fois que Princesse croit avoir trouvé son prince, ne croyez pas qu’elle arrête d’attendre. Non. C’est bien pire. Ses attentes concernant le prince sont infinies. Il ne fait pas assez ci, il fait trop ça, il est trop proche, trop distant. Pourquoi il ne lui parle pas de ce qu’il ressent ? Mais enfin, c’est pas non plus un réservoir à merde, pourquoi il lui parle de tout sans se censurer comme ça, c’est pas à elle de régler tous ses problèmes. Est-ce qu’elle ne se serait pas trompé de prince finalement ?
Tic, tac. Le temps presse.
Vite. Se faire belle. Attendre qu’un chouette prince la trouve. Elle est au rayon de la bonne meuf. Elle a mis ses bijoux, elle a fait péter ses talons. Ça fait mal aux pieds mais quand on attend et qu’on n’avance pas, c’est pas tellement grave. Il faut souffrir pour être choisie dans l’étalage.
Donc j’ai coupé mes cheveux.
Je ressemble à un caniche.
Un caniche libre.
Sortir du marché de la bonne meuf. De toute façon, je serai bientôt licenciée pour faute grave : je suis née en 1986.
Quand le patriarcat fait l’amour avec le capitalisme, ça donne que prendre du temps pour soi, quand on est une femme, revient à s’épiler, acheter de beaux vêtements tendance, se crémer la gueule à l’acide hyaluronique, regarder ses seins tomber et laisser couler les larmes.
Tic, tac. Quand le capitalisme fait l’amour au patriarcat, madame a une date de péremption. On avait bien dit à madame qu’elle était le produit. Le produit qui achetait plein de produits qui coûtent plus cher que les mêmes produits conçus pour monsieur(1). Avant que Tic. Tac. L’horloge, qu’on nous vend comme un fait biologique, s’arrête. On se dépêche madame ! Va falloir se caser vite vite et sortir, soulagée, la tête haute, du marché des corps à prendre.
Nous les femmes, c’est naturel, nous avons un tic, un tac, qu’on nous chuchote à l’oreille depuis l’enfance. On nous explique que notre fertilité dure un battement de cil. Il faut arrêter avec cette pression sociale insupportable. Et puis, ce n’est pas scientifique. Ça, c’est quand le patriarcat fait l’amour avec la médecine : la fertilité humaine entière est très fragile. Alors oui, dans popol on trouve deux, trois nageurs qui peuvent se défendre jusqu’à un âge avancé(2). Mais. Juste. On va arrêter les conneries ? Moi, dame trentenaire qui fait l’amour avec des hommes de mon âge et plus vieux, je peux vous assurer qu’il y a un paquet de popols altérés, plus si fringants, plus si doués(3), pétrifiés à l’idée de s’exposer, de performer, vieillis et stressés, tout rabougris. Ou alors c’est de ma faute ? C’est que déjà, je suis sortie sans m’en rendre compte du marché de la bonne meuf. Les seins qui tombent, ça fait pas assez bander popol. Je vais aller me badigeonner les rides, j’arrive.
Je ne veux pas être un produit. Un produit qui ne correspond pas toujours aux attentes de monsieur. Il faudrait un peu plus de douceur et qu’elle ferme un peu plus sa gueule. Moins de blagues et plus de cheveux.
Je suis un caniche. Un caniche libre, sauvage, je voudrais être une louve, mais tant pis, je suis un caniche. Un caniche qui ne veut pas de maître, qui a jeté la laisse. Un caniche qui veut aimer et être aimé au-delà des apparences, des attentes, des tic, des tac, des performances de popol et du nombre de crayons qui tiennent sous les nibards.
J’ai détalé l’étalage, avant qu’on me licencie pour faute grave : je suis née en 1986 et je suis célibataire. Je suis une intermittente de l’amour, je suis précaire, je suis dans un endroit qui est censé être temporaire. Au lieu de ça je m’y prélasse, j’y prends goût, et ça, c’est quand Ana fait l’amour avec le féminisme.
(2) https://www.doctissimo.fr/html/hommes/articles/10280-homme-horloge-biologique.htm
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