Libérééees ! Délivrééees !
par Patricia Di Scala
C’est arrivé tout doucement, comme une grippe qui ne dit pas son nom, mais un jour, je me suis aperçu, en marchant dans la rue, que j’étais devenue un hologramme.
Je veux dire que même si le regard des gens était manifestement dirigé vers moi, rien dans leurs yeux ne me disait qu’ils voyaient quelqu’un, ces regards, ni même quelque chose d’ailleurs.
Transparente. Diluée dans l’espace, pffuit ! Manière la plus efficace d’éviter de regarder ces rides, de sentir ce je ne sais quoi qui indique l’approche de la date de péremption…
Je crois bien que cet hologramme est apparu en même temps que ma ménopause.
En même temps que mes premières bouffées de chaleur, comme un rideau qui tombe….
À sa décharge, il faut dire qu’il est élégant mon radiateur intérieur. Il ne se met en action que la nuit, me laisse parler en public ou assister à une réunion sans qu’apparaisse sur mes joues en surchauffe la maudite rougeur brillante de sueur impossible à dissimuler. Bref, l’honneur est sauf, je ne porte pas ma ménopause en étendard, je me la garde pour moi, bien au chaud au fond de mon lit. Enfin, pas seulement pour moi… Mais ça, c’est une autre histoire.
Je questionne autour de moi mes copines, ma mère, tout le monde quoi, pour savoir si je suis la seule au monde à trimballer cet affligeant handicap. Que dis-je ? Cette maladie même, si j’en crois ce que je trouve sur Internet : chute des cheveux, baisse de la libido, prise de poids, dépression...
Non, je ne suis pas la seule, me disent-elles. Je m’en doutais un peu… Et chacune d’y aller de son conseil : les fans de médicaments me vantent les hormones. Pas envie d’essayer, jouer avec ces bestioles invisibles qui ont l’air de tout régenter dans mon intérieur me fait peur. Les adeptes des graines germées et des médecines alternatives me parlent acupuncture et compléments alimentaires. J’entrevois le temps qui me reste à vivre jalonné de gélules, d’huiles essentielles et de séances de piqûres à intervalles plus ou moins réguliers…
Fatiguée d’avance, je rends les armes : mon radiateur devra rester discret. Un point, c’est tout.
La vie est bien faite : au moment même où l'hologramme vient subrepticement envelopper mon corps tombé dans les oubliettes, un livre* me donne une nouvelle clé. Il vient me dire, ni plus ni moins, que la ménopause n’est pas la même pour toutes sous toutes les latitudes, et surtout dans toutes les cultures. Dans certaines régions du monde, elle est vécue tout autrement. Le sang menstruel ayant cessé de les rendre « impures », les femmes indiennes, par exemple, accèdent à un statut dominant qui les dispense des corvées au profit (!) des plus jeunes. Quelque part en Océanie, les femmes ménopausées, enfin libérées de la peur d’enfanter, se jettent sur leurs hommes avec un appétit qu’elles ne connaissent qu’à cette période de leur vie.
Ce passage brutal du statut de « consommable » à celui d’invisible serait donc un fait culturel, et non un événement biologique aux conséquences inéluctables, comme la pousse des dents ou l’arrivée des règles ?
Alors mes sœurs, ne rêvons pas, nous ne parviendrons pas, d’un claquement de doigts, à inverser la vapeur de nos bouffées de chaleur. En attendant que les conséquences pourries de ce fait culturel nous abandonnent enfin, mettons en pratique, nous qui sommes arrivées à cette échéance, quelques bons usages : cessons de marcher dans la rue telles des fantômes sous leurs draps blancs. Au lieu d’accepter cette « maladie » dont tous (et toutes) nous disent que nous sommes atteintes, savourons chaque mois les jours de galère auxquels nous échappons, ainsi que toutes les heures gagnées sur la chasse aux poils. Vivons sans nous soucier du désir des hommes comme s’il était notre unique raison d’être au monde. Peut-être serons-nous vues comme nous sommes, je veux dire comme les personnes que nous sommes, et les regards deviendront-ils – comment dire ? – simplement humains…
Et vous qui êtes encore sur le marché des « consommables », je vous souhaite d’envisager autrement ce passage de la vie. D’accord, « la vieillesse est un naufrage », comme disait De Gaulle, il faut bien reconnaître qu’il n’avait pas entièrement tort. Mais de tous les outrages qu’elle nous fait subir, la ménopause n’est pas le pire : elle nous libère, alors célébrons au moins cette victoire et ne regrettons pas nos chaînes…
*La Maladie a-t-elle un sens ? Enquête au-delà des croyances, Thierry Janssen, Fayard, 2008.
Pour aller plus loin, 4 épisodes de la série documentaire LSD, « Ménopause pour tout le monde » (France Culture, Perrine Kervran, mars 2021) à écouter en podcast.
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