LE BEC MAGAZINE

Je suis vénère #6 : Ragna

20.07.2022
ragna

 

 

par Caroline R.

Je vous avais promis qu’on en reparlerait, alors voilà, c’est le grand jour, on va parler des règles, pas celles qui régissent nos chères sociétés, pas celles que tu te mets dans la tête et qui parfois t’empêchent de faire ce dont tu rêves, non, celles qui sont dans mon corps et peut-être dans le tien, celles qu’une fois par mois, quand tu as un utérus, tu peux avoir. Des fois que tu souhaites avoir, des fois pas. (Hey, pssst, tu peux lire jusqu’au bout, même si tu as un pénis à la place…)

Hein ? Quoi ? Elle est plus vénère ? Tu crois que c’est sa résolution 2022 ? T’as raison, qu’est-ce qui lui arrive ? Peut-être qu’elle a enfin compris que ça servait à rien ? Qu’elle s’énervait pour rien ? Pis je vois pas c’est quoi son délire avec les règles là, ils sont pas censés parler du patriarcat dans Le Bec ?

CHUUUUUUUUUUUUUTTTTTTTTTTTT

J’y viens au rapport avec le patriarcat ! C’est pas contre les règles en elles-mêmes que je suis vénère, oui parce que je suis toujours en colère, vous croyez quoi, j’essayais juste de faire une introduction, pour faire durer le suspense. Bien sûr que je suis vénère ! Vraiment, vous voyez pas la les raisons ?

Les règles, les menstruations, les ragnagnas (non mais vraiment ?), les lunes, c’est le truc qui, au mieux, te fatigue et, au pire, te plie en deux chaque mois, mais dont il ne faut pas parler, ou alors en chuchotant, ou alors avec un air contrit, un peu gêné, avec une tonne de mimiques qu’on croirait que tu passes une audition pour reprendre le rôle de Charlie Chaplin. Du coup, t’as l’impression que c’est secret d’État et quand tu as le malheur d’en parler, il y aura toujours une personne reloue pour te glisser : « Ahhhh, mais c’est pour ça que tu es un peu [chiante] ces derniers temps ! » (adaptez l’adjectif entre crochets au contexte et au degré de proximité entre les deux protagonistes). 

Je ne suis pas chiante ! Je ne suis pas d’accord avec toi, c’est différent, et puis je suis fatiguée, j’ai mal et je porte le fardeau d’un héritage de honte, de tabou et de silence qu’il a fallu que je déconstruise tant bien que mal pour vivre bien ce cycle menstruel.

En général, la personne en face lève les yeux au ciel en te disant que « c’était une blaaaaague, qu’il faut pas se vexxxer comme ça ».

Bon, c’est pas vrai, tout le monde ne réagit pas de cette façon, mais je vous jure que ça arrive bien plus souvent que vous ne le pensez.

Elle veut en venir où, tu crois ?

Ok, ok, j’accélère. Je me lance dans le vif du sujet. Alors, c’est parti !

Dans le désordre, déjà, je suis vénère parce qu’il m’aura fallu attendre la trentaine pour apprendre que chaque mois, avant qu'arrivent tes règles, il y avait un syndrome qui expliquait que tu avais envie de pleurer, crier, balancer toute ta vie par-dessus bord sans bouée de sauvetage. Chaque mois. Ça s’appelle le SPM – le syndrôme prémenstruel (1) – et ça change la vie de le savoir.

Parce que c’est tellement tabou qu’on « oublie » d’en parler et qu’alors des jeunes femmes ont cru qu’elles allaient tout simplement mourir quand elles les ont eues pour la première fois. Imagine-toi à 10 ans… t’es une enfant, lalalala, et hop du sang sort de ton corps sans qu’on t’ait préparée. Je veux dire, si c’était « normal », on t’aurait prévenue, non?! Bah non.

Parce que je sens que j’ai encore honte quand mon sang a taché quelque chose et que t’imagines pas la charge mentale que c’est et le stress à gérer en plus quand tu dors chez des gens, par exemple.

Parce que souvent, les regards et raclements de gorges me rappellent que c’est pas très à propos d’en parler, mais que par contre Bobby a le droit de dire que ce matin il s’est réveillé et qu’il a vomi et tout le monde va être désolé pour lui.

Parce que c’est aussi à la trentaine que j’ai appris que c’était pas « sale » de faire l’amour pendant les règles, que de toute façon ton flux s’arrête pendant le rapport (ou presque) et que ça tombait bien parce que moi, à ce moment-là, ma libido elle est plutôt partante pour me rapprocher d’un autre corps nu. Oui, pis surtout, faire l’amour sans pénétration, ça s’appelle quand même faire l’amour.

Parce qu’on oublie qu’on n’est pas des machines et que tu peux pas avoir la même efficacité chaque jour de ton cycle, ni les mêmes envies, il n’y a pas de généralité, mais moi par exemple, je suis beaucoup moins sociable à une période et à la fois beaucoup plus créative, et que c’est ok.

Parce que j’ai des amies autour de moi qui ont souffert pendant 20 ans en multipliant les rendez-vous médicaux pour se faire diagnostiquer des dépressions alors qu’il s’agissait d’endométriose. 20 ans de silence, de douleurs, de fatigue !

Parce qu’il faut pas en parler et que c’est la honte, mais quand même, quand « tu les as », ça veut dire que tu es une « vraie » femme. Sérieux ? Tu le vois le bug cérébral que ça crée chez toutes les jeunes personnes ayant un utérus ? Allez hop, tu rajoutes à ça le poids de la ménopause passé la quarantaine en moyenne, mais ça Patricia en parle mieux que moi...

Je suis vénère parce qu’il a fallu attendre 2013 pour que les protections périodiques entrent dans la catégorie « produits de première nécessité » et ne soient plus taxées à 19,5 %. Et qu’en une vie, une femme dépensera plusieurs milliers d’euros (2)(ils sont pas d’accord sur les chiffres).

Parce que des jeunes (ou plus vieilles d’ailleurs, mais on en parle pas) n’ont parfois pas les moyens de se les acheter, ces protections, et se débrouillent avec du papier toilette entre les jambes et que je comprends pas qu’il y ait si peu de lieux de gratuité pour cela (bravo à toutes les structures qui portent ces initiatives et qui ont permis de lancer enfin le programme de lutte contre la précarité menstruelles (3)). Non mais sérieux, tu te vois payer ton papier toilette dans les lieux publics (4)?

Parce que les entreprises de tampons refusent de te dire ce qu’elles mettent dans ce petit bout de coton, alors qu’il va être, une fois introduit, en lien étroit avec tes muqueuses les plus sensibles et poreuses (5) ?

Parce que dans certaines cultures, les filles et femmes sont considérées comme « impures » (Aaaaaaaaaah !) quand elles ont leurs règles. Mais tu crois que tu viens d’où, mec ?

Oulala, mais c’est qu’elle s’est mise à faire des recherches avec des vraies sources, en plus !

Ah oui, pis je t’ai pas parlé des injonctions qui existent, non… existaient, ah je suis pas sûre de la conjugaison. Ne pas se baigner, ne pas monter aux arbres, ne pas, ne pas… Ni de l’angoisse qu’elles n’arrivent pas quand une grossesse est non désirée et de tout le poids, stress, honte qu’il faudra gérer seule trop souvent.

Ah ouais, quand même… Bon, elle est toujours vénère, mais c’est vrai que quand même, oulala…

Et j’imagine que je ne mentionne pas tout un tas de situations et je m’en excuse d’avance.

Alors voilà, c’est un petit résumé, chaque point mériterait un article de fond comme savent si bien le faire mes collègues. Et j’ai même pas parlé de la question des pubs sur les protections. Moi, ce que j’ai envie de rappeler, c’est que les règles, c’est un processus sain et naturel. Que si tu les as pas alors que tu les veux, je suis de tout cœur avec toi. Qu’on a pas le droit de balayer ta souffrance psychologique et physique avec l’argument que c’est « normal ». Que dans certains pays, les personnes ayant un utérus ont le droit à des jours de congé pour cette période. Que tu n’as pas à te cacher ou à te transformer en pantomime pour demander une protection à une personne devant tes collègues. Et que surtout, tu as le droit d’être fatiguée, vulnérable, irritable, insociable, et que ce que tu devrais recevoir à ce moment-là, c’est juste de l’empathie.

J’ai envie de finir sur une note positive (Ahhhh, positive !! Sortez vos cotons-tiges ! Tou.te.s aux abris masqués). Non, sans blague, il y a des super-gens qui travaillent fort à démocratiser tout ça, que les choses bougent, parfois dans le bon sens et moi, ça me fait vachement du bien de le savoir. Je vous file quelques infos.

Parce que oui, vous avez compris, on nous apprend à haïr les règles autant qu’à les attendre, alors qu’on pourrait apprendre à les accueillir, les gérer et qui sait… les aimer. Socialement et intimement. Parce qu’aujourd’hui, ces cycles, je les aime, ils me donnent une énergie et un recul qui me permettent d’équilibrer régulièrement ma vie.

 

(1)  https://www.yourperiod.ca/fr/abnormal-pain-and-menstrual-bleeding/premenstrual-syndrome-pms/ (même si je suis pas fan de l’approche médicamenteuse répétée moult fois, il y a quelques infos par ici) et pour équilibrer plein d’infos par ici avec une appli gratuite qui moi m’aide bien : https://helloclue.com/fr/articles/spm-et-tdpm/top-3-des-mythes-sur-le-spm

(2) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/07/02/precarite-menstruelle-combien-coutent-ses-regles-dans-la-vie-d-une-femme_5484140_4355770.html

(3) https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/lutte-contre-la-precarite-menstruelle-un-acces-gratuit-aux-protections-periodiques-pour-les-49201

(4)https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/07/02/precarite-menstruelle-combien-coutent-ses-regles-dans-la-vie-d-une-femme_5484140_4355770.html

(5) https://www.60millions-mag.com/2019/02/21/tampons-et-serviettes-connaitre-la-composition-c-est-coton-12464

 

> Une bd à mettre entre toutes les mains des plus jeunes : Les Règles de l’amitié (écrite par Karen Schneemann, Lily Williams et illustrée par Karen Schneemann, Jungle, 2020)

> Les newsletters de « Kiffe ton cycle » : https://www.kiffetoncycle.fr/ (les accompagnements étant payants, je n’ai pas d’avis là-dessus)

> https://www.regleselementaires.com : première association française de lutte contre la précarité menstruelle.

 

 

 

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