LE BEC MAGAZINE

La naissance du papa

24.01.2021
Alexandre Marcel Latelier de Marcel

Alexandre Marcel ©L'Atelier de Marcel

 

Propos recueillis par Marion Salort 

 

 

Rencontre avec Alexandre Marcel, Papa Plume

 

« Les pouvoirs publics doivent comprendre que plus le congé paternité se rapprochera de celui de la mère, plus on se rapprochera de l’égalité entre les hommes et les femmes… » 

C’est après le tsunami généré par la naissance de sa fille en 2018 qu’Alexandre Marcel a décidé de créer un blog pour raconter son quotidien de père, Papa Plume. Engagé publiquement pour une parentalité plus égalitaire où les rôles seraient adéquatement partagés, il œuvre avec d’autres parents pour un allongement du congé paternité. La publication d’une tribune adressée au gouvernement et dont il est coauteur a d’ailleurs permis de réformer cette loi.

À l’occasion de la sortie de son livre Je ne m’attendais pas à ça ! (Larousse), un témoignage touchant, sensible, teinté d’humour et essentiel, Alexandre se confie sur son aventure familiale tout en offrant un merveilleux outil pour aider les deux partenaires à trouver leur place et à partager au mieux le travail lié à l’arrivée d’un enfant. Rencontre avec un papa poule à la plume militante et à la bienveillance contagieuse.

 

> En tant que jeune papa du XXIe siècle, comment vis-tu ta paternité ?
Autant que je peux. À fond. Dans les limites du système français actuel et des mentalités qui ne font pas tout pour aider les pères à trouver leur place dans la famille. Certes, le congé paternité vient d’être allongé (et prendra effet en juillet 2021, ndlr), mais les habitudes au sein des entreprises sont encore patriarcales. C’est la fameuse phrase qu’on entend au boulot quand on part à 17 heures chercher son enfant chez la nounou : « T’as pris ton aprèm’ ? » Si ce sont souvent les pères qui l’entendent, ce sont surtout les mères qui sont pénalisées, car elles doivent davantage prendre le relais.

À ce sujet, je recommande la lecture du livre de Sylviane Giampino, Pourquoi les pères travaillent-ils trop ?, qui évoque le rapport des hommes à leur travail et par conséquent à leurs enfants. Ils se mettent une pression qui minimise leur rôle auprès d’eux. C’est un frein professionnel qu’il faut briser pour rendre la parentalité plus égalitaire. Donc dans la mesure de mes possibilités, je fais en sorte de partir plus tôt du boulot, et de m’occuper un maximum de ma fille : être là dès que possible, le matin, le soir, en faisant fi des jugements qui mettent à mal les progrès.

C’est sûr, avant, j’avais de multiples centres d’intérêt dont j’étais le seul décideur. Aujourd’hui, ma famille est devenue une étoile autour de laquelle toute ma vie orbite. Je ne prends plus de décision sans penser à elle…

 

> Tu évoques le « sentiment d’impuissance » du père. Qu’est-ce que cela signifie pour toi ? Comment l’as-tu traversé ?
Dans mon livre, je l’évoque surtout pendant la grossesse. Durant cette période, la mère a une relation intime, fusionnelle, organique et biologique avec le bébé. Le père est extérieur, il est biologiquement mis à l’écart. Du coup, cette impuissance est difficile à vivre (je voulais prendre les nausées de Marianne !). Et puis j’ai découvert l’haptonomie, qui m’a permis de réduire ce sentiment d’impuissance : à travers le toucher et la parole intime, j’ai pu entrer en communication avec ma fille. Je peux dire que l’haptonomie m’a sauvé ! Cette pratique a permis de réduire la distance avec notre bébé pendant la grossesse de Marianne.

 

> Penses-tu que ce sentiment d’impuissance participe à un possible détachement du père vis-à-vis de son enfant après sa naissance ?
Oui, entre autres. Depuis la nuit des temps, on parle d’« instinct maternel ». Mais parle-t-on d’instinct paternel ? C’est la femme qui met au monde, qui porte le bébé, c’est elle qui « doit » s’en occuper. C’est la grande histoire du patriarcat. Mais des études récentes montrent que le père aussi, quand il s’occupe de son bébé, sécrète de l’ocytocine, l’hormone du bien-être et de l’attachement. Donc certes, on ne porte pas le bébé, mais on peut s’impliquer de mille façons. Je dirais même qu’il faut s’impliquer ! On peut le faire dès la grossesse en assistant aux cours de préparation à l’accouchement, en faisant de l’haptonomie, etc. Bref, il faut prendre sa place avant la naissance du bébé et arrêter de dire que la grossesse et l’accouchement, c’est une affaire de femme !

 

> N’est-ce pas une affaire de connaissance ?
Peut-être. Et en même temps, tu peux te préparer à l’infini, lire tous les livres possibles sur le sujet, au moment de la naissance, tu te renouvelles complètement : tu peux oublier tout ce que tu as appris, tu es dans l’instant présent. Tout ce que tu avais prévu et imaginé est bouleversé.
Pour autant, il est utile de se mettre dans un certain état d’esprit, de se préparer à la suite… Peu importe si tes connaissances te serviront ou non, cette préparation t’engage et montre que tu t’intéresses à ton bébé.

Donc plus qu’une affaire de connaissance, je conseillerais plutôt de se mettre dans un état d’esprit. Au final, c’est une histoire d’amour qui doit se créer dès avant la naissance de son enfant. Je me souviens de ma première rencontre avec Ambre : je l’ai regardée, elle m’a regardé, nos neurones miroirs se sont activés, et ce fut le début de notre histoire d’amour…

 

> Tu parles également de l’importance de la « répartition de la charge mentale ». Quelles sont les actions que ta conjointe et toi avez mises en place pour vivre une parentalité partagée ?
Comme pour de nombreuses familles, nous avons été contraints par le congé paternité (3 jours à l’accouchement, puis 11 jours calendaires à poser dans les quatre mois qui suivent la naissance de l’enfant, ndlr). Donc je me suis retrouvé au bureau alors que ma fille n’avait même pas deux semaines ! Ensuite, j’ai rapidement pris trois semaines de congés, mais ça reste peu…

Sur les tâches domestiques, notre organisation était assez simple, car elles étaient déjà bien partagées avant l’arrivée d’Ambre : je m’occupe du ménage et des repas, et Marianne prend en charge l’administratif. Sur les soins du bébé, quand j’étais en congé, je les faisais au maximum pour que Marianne se repose. Sinon, on faisait les choses à deux. Quand j’ai repris le travail, j’essayais de partir plus tard et de rentrer plus tôt. Quand j’étais là, je m’en occupais à fond. Heureusement, on a eu beaucoup de soutien de la part de nos familles.

 

> Quel est ton lien à ton entreprise, que tu remercies au passage dans ton livre ? Est-ce qu’elle te laisse vivre ta paternité ?
Oui. Mon entreprise, qui appartient à un grand groupe, est composée en majorité de femmes, et est très sensible à tous les sujets qui touchent à la parentalité. Donc ce serait malvenu qu’elle ait une démarche patriarcale. Cela fait deux ans que je quitte le boulot à 18 heures au plus tard, je dois être le premier à partir ! Mais de ma hiérarchie, je n’ai jamais eu aucune remarque. Je mesure ma chance, car je sais que ce n’est pas le cas partout, loin de là.

 

> À quel moment tu t’es dit que le congé paternité était trop court et devenait un vrai combat à mener pour atteindre l’égalité dans le couple ?
Un an après la naissance d’Ambre, en octobre 2019. Sans expliquer pourquoi, j’ai soudainement eu un énorme sentiment d’injustice. Et j’ai eu envie de le partager. Je tenais mon blog Papa plume depuis six mois, et j’écrivais régulièrement des articles sur la paternité. Ce jour-là, j’étais chez mes parents et d’un coup, j’ai quitté la table pour écrire ce post sur le congé paternité que j’ai également publié sur Facebook. Trois heures plus tard, près de trois cents mille personnes l’avaient déjà lu, commenté et relayé. Cet article a pris une telle ampleur que j’ai compris que j’avais mis un pied dans la porte !

Ce qui m’a le plus surpris, ce sont les commentaires : beaucoup de parents, hommes et femmes, confiaient leur solitude et partageaient mon sentiment, mais d’autres écrivaient : « Feignasse, va bosser ! » Là, je me suis dit : il est temps de changer les mentalités.

Dans cet article, qui est plutôt une lettre, je questionne uniquement les ressentis d’un papa. Ensuite, je me suis vraiment interrogé sur l’importance de l’allongement du congé paternité (bon, déjà, ce mot « congé », m’énerve !). C’est un moyen de lutte pour l’égalité homme-femme en général, à l’embauche, dans l’entreprise, c’est un moyen de répartir les tâches plus équitablement au sein du foyer, mais aussi de donner le bon exemple aux enfants. Sans parler du lien d’attachement entre le père et l’enfant qui devient plus important…

 

> Comment la rencontre s’est faite entre toi et les neuf autres papas coauteurs de la tribune adressée au gouvernement, et réclamant un allongement du congé paternité ?
Suite à mon article, Konbini m’a interviewé, et la vidéo a été partagée par deux millions de personnes. J’ai ensuite été contacté par trois papas blogueurs qui prônaient les mêmes idées ; ils cherchaient d’autres pères pour rallier leur cause et publier un texte sur le sujet en partenariat avec le HuffPost. Nous avons finalement rédigé cette tribune à dix mains, puis contacté tous les médias que nous connaissions, qui ont publié l’article à leur tour. Pour finir, Adrien Taquet, le secrétaire d’Etat en charge de l’enfance et des familles, a souhaité nous rencontrer pour qu’on lui fasse part de nos arguments. Le projet de loi sur l’allongement du congé paternité a ensuite été discuté à l’Assemblée, puis voté favorablement.

La publication du Rapport des mille premiers jours change à nouveau la donne, car il évoque la nécessité d’allonger significativement ce congé. Nous avons obtenu 28 jours, donc on ne va pas cracher dans la soupe, mais le combat n’est pas terminé… Les pouvoirs publics doivent comprendre que plus le congé paternité se rapprochera de celui de la mère, plus on se rapprochera de l’égalité entre les hommes et les femmes…

 

> Quels conseils souhaites-tu donner à tout futur ou jeune papa ?
Avoir un enfant, ce n’est pas simple. Je comprends leurs freins, leurs peurs, leurs doutes, et il ne faut pas les minimiser. Mais dans ce contexte-là, il faut essayer de s’impliquer au maximum.
Certes, chaque homme, individuellement, ne va pas changer la loi ou les habitudes de son entreprise du jour au lendemain. Mais peut-être que tous ensemble, collectivement, petit à petit, nous réussirons à faire évoluer la place du père au sein de la société. Si un papa a la chance de partir plus tôt du boulot pour s’occuper de son enfant, il faut qu’il le fasse. Pour lui, déjà. Pour son enfant, qui a besoin de ses deux ports d’attache. Pour sa femme, car elle n’a pas à tout porter.

Durant les débats sur la loi à l’Assemblée, la sénatrice Chantal Deseyne, pour contrer les arguments pro-allongement, a dit : « Tous les pères n’ont pas forcément envie de s’investir. » Ça m’a révolté ! Une mère a-t-elle le choix, elle ? Chaque année, 100 000 femmes souffrent de dépression dans les mois qui suivent l’accouchement, cet argument ne suffit-il pas pour se dire qu’il est temps que le père prenne une place entière au sein de la famille ?

Au-delà de la durée du congé, cette loi engage de nombreux débats de fond. C’est selon moi une marche essentielle pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes.

 

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couv papa plumes

©Éditions Larousse

 

Je ne m’attendais pas à ça ! Confidences tendres et décomplexées d’un papa engagé, Larousse (janvier 2021).

Si vous voulez lire la tribune adressée au gouvernement pour l’allongement du congé paternité, c’est par ici

Pour lire l’article publié sur le HuffPost :

Pour retrouver toutes les chroniques de Papa Plume, rendez-vous sur http://www.papaplume.com

 

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Extraits

« C’est important de devenir autonome le plus rapidement possible. […] Observer puis imiter. Ne pas compter sur ma femme pour tout faire et tout savoir. Coudre moi-même mon costume de nouveau papa, et répéter les bons gestes jusqu’à les maîtriser parfaitement. » (p. 75)

[…] Un nouveau-né n’a besoin de rien d’autre que de l’amour et la prévenance de ses parents. Il n’a pas besoin de la dernière veilleuse Google capable de créer un soleil artificiel dans sa chambre (je te vois déjà foncer sur Internet : non, elle n’existe pas encore !), ni des couches Iron-Baby développées par Tony Stark qui transforment son caca en poudre d’arc-en-ciel (dois-je préciser qu’elles n’existent pas non plus ?), ni de toutes ces choses que tu vas te précipiter d’acheter sentant le grand moment venir. Des bras pour le porter, des seins ou des mains pour le nourrir, des lèvres pour lui parler et l’embrasser : vous avez déjà à disposition l’essentiel pour bien accueillir votre enfant dans le monde. (p. 84 )

« Faire peser toute la charge mentale, physique et sociale liée à l’arrivée de bébé sur les seules épaules de la maman est injuste, et relève d’une vision patriarcale de la société. Quand on sait que, chaque année, plus de 100 000 femmes souffrent de dépression dans les mois suivants leur accouchement, la présence du père devient un sujet de santé publique. » (p. 88)

« Quand on sait, selon l’Insee (étude de 2010), que les femmes consacrent en moyenne 3 heures et 26 minutes par jour aux tâches domestiques, contre seulement 2 heures pour les hommes, il est urgent d’agir. Sans compter l’exemple donné aux enfants, qui sont l’avenir de notre société ! Grandir avec l’image d’un père présent, qui fait autant la cuisine et le ménage que la mère, c’est grandir dans un bain d’égalité et de respect. » (p. 89)

 

« Être papa, ce n’est pas être le meilleur. Réussir ou échouer. Vaincre ou perdre. C’est faire de son mieux, dans un monde qui n’y aide pas forcément. » (p. 167)

 

« L’héritage patriarcal est là, en toile de fond. Bien que les choses évoluent, il est souvent mal vu d’être un homme de 30 ou 40 ans qui fait passer sa vie familiale avant sa carrière. Ce n’est pas le cas de toutes les entreprises (la mienne est par exemple investie sur ces sujets), mais nombre d’entre elles ont encore des attentes supérieures à l’égard des hommes que des femmes – attentes que rien ne vient d’ailleurs justifier, sinon de vieilles habitudes forgées au cours des siècles. Cette dichotomie est souvent dénoncée par les tenants de la cause féministe (et à raison), mais rarement par les hommes eux-mêmes, qui sont pourtant de plus en plus nombreux à en souffrir. Comme si, être au centre des attentes était nécessairement un privilège, imposant le silence à ceux qui en profitent. Je crois qu’il est temps de rompre ce silence, et de dire en tant qu’homme : “Non, je ne veux pas que l’on attende plus de moi, sous prétexte que j’ai des testicules.” » (p. 167)

 

 

 

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