Julien, homme trans tranquille
propos recueillis par Ana Ciotto
Il est beau Julien.
Quand je lui propose de faire son portrait pour exposer son histoire d’homme trans, il répond gentiment qu’il est d’accord mais qu’il ne voit pas trop ce qu’il pourrait bien raconter…
Bah oui, Julien, c’est un mec normal, il a sa petite famille, son travail, parfois il va bien et parfois il va mal… Ni mieux ni moins bien, il suit son train-train, se pose des questions sur l’éducation de ses enfants, il est amoureux, adore son chat, il vit sa petite vie, comme nous toutes et tous, du mieux qu’il le peut.
Je lui ai posé quelques questions, il a été comme à son habitude : super sympa, super ouvert, authentique. Cette authenticité, je me dis que c’est ce qui lui a permis de braver toutes les difficultés, de faire en sorte d’être bien dans sa peau, dans son corps, dans son genre ; et de voir dans le regard des autres le reflet de ce qu’il a toujours su qu’il était : lui.
Julien, c’est un chouette type, ni mieux ni moins bien ? Ou peut-être bien qu’il est mieux : plus sensible, plus empathique, plus humain. Il est beau, Julien.
En quelques mots, quelle est ton histoire, les grandes étapes concernant ton identité trans ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours su que j’étais trans.
Je n’ai jamais espéré me réveiller dans le bon corps, et n’ai jamais été dans l’ignorance de celui-ci : je savais que j’étais un garçon dans un corps de fille. Vers 6-7 ans, j’ai demandé à ma mère, médecin de formation et documentée sur la question, comment transitionner. Elle a répondu de façon très claire au niveau médical, le tout teinté de bienveillance et de tolérance. Ça m’a permis de savoir que c’était possible.
Ensuite, je n’ai plus trop de souvenirs, ni de mon enfance ni même de ma vie avant la transition. Je crois que j’ai beaucoup enfoui, j’étais cet enfant asexué, c’était un non-sujet pour tout le monde.
Pour autant, aux prémices de la puberté, j’ai mis ce mal-être de côté pour “rentrer dans le moule” tant bien que (surtout) mal.
Mon adolescence a été compliquée, avec un rapport à mon corps conflictuel. Je suis passé par une dépression, de l’automutilation, une consommation d’alcool et de médicaments inappropriée…
Attiré par les filles, mes relations étaient elles aussi difficiles. Je ne me sentais pas à ma place. J’ai d’abord fait un premier coming-out, à propos de mon attirance pour les filles : j’étais donc perçu comme homosexuelle.
À l’âge de 21 ans, j’ai rencontré celle qui deviendra mon épouse. Même avant mon coming-out trans, elle ne me mettait pas dans une case “fille”, je n’avais pas à jouer un rôle pour être convenable et présentable. Cependant, plus le temps passait et moins je tenais ce qui me semblait être, malgré tout, un mensonge.
Je lui ai fait mon coming-out au bout de deux ans de relation. Elle m’a répondu : “Il y a des solutions, on va se renseigner.”
Le processus était lancé : tout d’abord un second coming-out à la famille (je n’étais donc pas homosexuelle, mais un homme trans hétéro), qui a été désastreux. J’ai subi un rejet familial. Certaines paroles m’ont été dites, que je n’oublierai pas et ne pardonnerai pas. Mes parents étaient pourtant très ouverts sur la question, mais c’est toujours mieux si la situation se présente chez les autres ! Malgré cela, le lien n’a jamais été rompu avec eux, on se voyait quitte à s’engueuler, et puis le temps a fait les choses… Aujourd’hui, je pense que mon père sera toujours et éternellement déçu, mais c’est son histoire, pas la mienne. Je crois qu’il est, comme beaucoup d’hommes de sa génération, prisonnier des diktats patriarcaux.
Puis j’ai commencé ma transition sociale (se présenter sous son identité d’homme, changer de coupe de cheveux, de prénom…) et enfin médicale (prise d’hormones et opérations). J’allais sur mes 23 ans.
J’ai commencé les hormones un mois après avoir pris un nouveau boulot.
Mes collègues étaient au courant mais pas ma cheffe. J’ai fait la mammectomie et l’hystérectomie sans être out [sans avoir annoncé sa transition, ndlr] : il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir !
Mon coming-out a eu lieu un an et demi après mon embauche, lorsque j’allais lancer mon changement d’état civil. Mes collègues et ma cheffe me soutenaient.
Au niveau administratif, un acte de notoriété (qui n’est pas un changement d’état civil mais un document permettant d’ajouter un alias sur sa carte d’identité) a suffi pour que mon nom soit changé sur tous les documents de mon employeur. Je n’ai rencontré aucune discrimination au travail. J’ai même obtenu le financement d’une formation diplomante.
Quatorze ans après mon embauche, je travaille toujours dans le même établissement.
En quoi penses-tu que ton parcours de vie influence ton rapport aux autres ?
J’ai été élevé en tant que fille. J’ai forcément été influencé par notre société patriarcale, et je pense donc avoir une approche plutôt féministe de l’éducation que nous inculquons à nos enfants.
J’ai sans doute une sensibilité particulière sur ces questions, en sachant que tout allié que je suis, j’ai quand même accès à des avantages systémiques. À moi d’en faire quelque chose de bien.
Justement, en ayant été vu dans ton passé comme une personne de sexe féminin, et étant aujourd’hui vu comme masculin, quelles différences de traitement as-tu pu remarquer ?
Clairement, on est plus vu et plus écouté en étant perçu homme, notamment au travail, dans une réunion, par exemple.
Dans la sphère privée, les gens ont tendance à vouloir s’adresser à moi plutôt qu’à ma femme pour certaines choses, et à ma femme pour d’autres. Typiquement, on s’adresse à elle pour ce qui est du quotidien, des enfants…
L’exemple que je cite toujours c’est que quand ma femme paie le restaurant, c’est à moi qu’on rend sa CB…
Le pire souvenir que j’ai concernant cette question est le suivant : une collègue de ma femme m’a demandé si je l’autorisais à sortir pour une soirée… J’ai compris ce jour-là encore plus qu’avant que j’étais perçu comme un potentiel oppresseur.
Depuis, je fais toujours attention à ne pas m’asseoir à côté d’une femme seule à 23 heures dans le métro, à la façon dont je vais aborder une femme pour lui demander mon chemin, par exemple, etc…
Et donc, dans ton couple, comment se passe la répartition de la charge mentale?
J’ai été élevé dans une famille où les hommes et les femmes ont chacun leur rôle, la charge mentale étant supportée par la mère.
J’ai été élevé dans l’optique où j’étais une fille, et que je devrais donc supporter cette charge mentale. C’est donc tout naturellement qu’au sein de mon couple la charge est partagée : plus au moins, suivant les périodes de nos vies (reprise des études, congé parental, etc…) et suivant le planning de nos boulots pour la semaine.
Le but étant de trouver un équilibre entre la vie extérieure et la vie familiale de chacun, de passer le plus de temps possible en famille parce qu’on aime ça, et faciliter la vie de l’autre quand on le peut.
Ta famille, c’est notamment le parcours PMA avec deux grossesses portées par ton épouse…
Ayant toujours été attiré par les femmes, je savais que si un jour j’avais des enfants, il me faudrait passer par la case PMA. Et j’ai toujours su que je ne voudrais pas porter d’enfant.
Le “parcours” PMA était donc une évidence pour moi comme pour mon épouse, qui à la base ne sortait qu’avec des femmes : pas de deuil à faire, en somme, ni pour elle ni pour moi.
Pour nous, cela s’est effectué à l’étranger, et de façon simple et rapide : première grossesse quatre mois après le premier rendez-vous, deuxième grossesse au bout de deux inséminations.
Aujourd’hui, nous gardons de très bons souvenirs de nos petits périples en voiture.
Beaucoup de personnes me demandent si je regrette de ne pas avoir de lien génétique avec mes enfants. Non seulement je ne m’estime pas extraordinaire au point de devoir absolument transmettre mes gènes, mais en plus si j’étais leur géniteur, mes enfants ne seraient pas les mêmes. Et en aucun cas je ne voudrais qu’ils soient différents, je les aime tellement tels qu’ils sont !
Du coup, pour moi, regretter de ne pas être leur géniteur reviendrait à regretter qu’ils soient qui ils sont…
Mon histoire est aussi le point de départ de la leur. La transphobie est une réalité mais malgré celle-ci, je n’interdirai jamais à mes enfants de parler de ma transition. Je ne veux pas en faire un secret à cacher à tout prix. Par contre, je vais leur apprendre les risques qu’ils encourent s’ils en parlent à des personnes potentiellement transphobes, afin qu’ils puissent se protéger et s’ouvrir auprès des bonnes personnes.
Ça vient d’où, selon toi, la transphobie ?
Je pense que la transphobie vient de l’ignorance et de la peur homophobe d’être “trompé sur la marchandise”, comme si les trans étaient dans l’usurpation d’identité, comme si faire l’amour à une mtf(1) revenait à avoir fait l’amour avec un homme…
Il y a aussi un rapport avec la place de l’homme et de la femme dans notre société patriarcale. J’ai l’impression que les mtf sont plus victimes que les ftm(2) déjà ce sont des femmes, donc elles subissent à ce titre beaucoup plus de violence systémique. Ensuite, pour l’hétéro cis(3) de base, une mtf sacrifie son statut de mâle viril afin de dégringoler dans l’échelle sociale…
Pour ma part, les situations transphobes que je vis sont pour la plupart générées par des hommes cis. Il n’y a qu’eux qui, sans vergogne, me demandent de leur montrer mon sexe ! Ah ! La sacro-sainte bite ! Je réponds systématiquement de me montrer d’abord la leur, en général, ça suffit à les calmer… !
Quel est pour toi le stéréotype insupportable sur la communauté trans ?
Que nous sommes et serons forcément et systématiquement tristes et en souffrance. Comme si un corps trans ne pouvait jamais être satisfaisant, bloqué dans un entre-eux, loin d’un idéal corporel cis. Comme si les corps trans étaient fatalement imparfaits et créateurs de déceptions et d’émotions négatives…
Alors, c’est super sympa de s’inquiéter et de penser à ma place, mais je vais bien, merci !
Qu’aurais-tu envie de dire à une personne qui se pose des questions sur son genre ?
Que personne ne peut la/le définir ni l’aider à le faire. Que c’est personnel et qu’il n’y a pas de norme. Que oui, c’est dur. Mais que le plus dur n’est pas de transitionner, c’est de décider de le faire.
Un jour, ça ira mieux, promis. Pour ma part, c’est le plus beau cadeau que je me suis fait, qui me permet d’être en accord avec moi-même et de kiffer la vie !
Aujourd’hui, je vis ma vie d’homme, de mari, de père. Ma transition fait partie de mon passé. Je ne l’oublie pas, mais ne vis pas spécialement avec non plus.
Pour aller plus loin…
Champ lexical de la transidentité :
https://outrans.org/ressources/lexique-outransien/
Être trans, ce n’est pas une maladie :
Être trans, ce n’est pas un choix :
http://www.slate.fr/story/169302/transgenre-etat-pas-choix-dysphorie-genre
Le risque suicidaire chez les personnes trans :
Genre et sexualité :
https://infotransgenre.be/m/identite/concepts/preference-sexuelle/
https://lavieenqueer.wordpress.com/2018/07/01/peut-on-devenir-cis-ou-hetero/
(1) male to female : C’est-à-dire une personne trans passant du genre masculin au genre féminin.
(2) female to male
(3) cisgenre : Être en accord avec son sexe biologique de naissance et son genre.
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De la difficulté de se penser PD
Pendant longtemps, j’ai été seul. Seul dans le monde et seul dans mon corps. Qu’est-ce que mon corps ? Un espace en lutte que j’ai habité tant bien que mal à partir de l’adolescence.