LE BEC MAGAZINE

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La chambre à côté

07.10.2021

par Caroline R.

 

Août 2021. À table. Ça fait des années que j’ai envie d’accueillir des personnes chez nous, des personnes migrantes, des gens en galère, de passage, qui sont sur la route. Pour la rencontre, la solidarité, le lien au monde. Ça a l’air un peu con comme ça, mais ça résonne vraiment en moi. Alors le sujet revient régulièrement. 

 

Alors voilà, on est en août 2021, il se passe ce qui se passe en Afghanistan, on a une petite chambre en rab’ dont on ne se sert pas, peu. Donc le sujet revient, sur cette table de fin d’été. C’est une discussion entre deux parents, une discussion qui semble anodine mais qui témoigne d’un vide d’outils quand on a deux filles, parce que oui ça change tout, une discussion entre ma peur et mon envie, entre mes valeurs et mes constructions, une discussion qui se perd dans la culture du viol et celle des agressions sexuelles :

- Tu sais, j’aimerais bien qu’on mette la chambre qu’on n’utilise pas à disposition pour des gens qui en auraient besoin. Ça fait des années qu’on en parle. On pourrait enfin offrir de l’accueil à une personne migrante par exemple ou quelqu’un.e qui galère à trouver un logement ou qui passe là de temps en temps pour une formation.

- Faudrait qu’on l’arrange, qu’on achète un vrai lit, etc., y a pas d’ouverture sur l’extérieur par contre, ça donne direct sur le couloir, et la fenêtre du haut.

- Ouais, c’est vrai.

- C’est peut-être mieux que rien, je sais pas.

- Elle est assez jolie mais pas grande en plus.

- Et puis c’est juste à côté de celle des filles.

- Ouais…

- Est-ce que tu penses que ça craint d’accueillir des gens qu’on connaît pas ? C’est vrai, c’est juste à côté de la chambre des filles, c’est à l’étage, on n’entend rien d’en bas.

- On peut interdire aux gens de rentrer dans leur chambre.

- Ouatch… Je trouve ça bizarre. Si on fait ça, on pose la personne en agresseuse a priori… Franchement, je suis pas à l’aise avec ça !

- En même temps, les filles, elles sont deux, elles nous diront si y a un truc.

- Ben, t’as pas lu le témoignage, ça veut rien dire d’être deux, peut-être qu’il faut en parler avec elles ?

- Tu te rappelles le podcast qu’on a écouté, la meuf elle a beau avoir grandi dans une famille où on parlait de tout, avec des parents hyper soutenants, etc., quand elle s’est fait violer, elle en a parlé à personne pendant des années, encore moins à ses parents.

- …

- Je trouve ça hard en plus d’avoir à leur parler de ce genre de chose à leur âge, je veux tellement pas les élever en victime, en « attention aux garçons », je préférerais leur donner des outils, parler de consentement, de liberté du corps.

- Oui et en même temps, ben ça existe les viols, les agressions sexuelles. Faut qu’on regarde, y a bien des gens qui y ont pensé avant nous. 

 

Ouais, ça s’arrête là. Je relis, j’ai pas de réponse à part que je trouve ce dialogue digne d’une sitcom. Je suis tellement fâchée que ce soit ça qui prenne de la place dans la discussion alors qu’on parlait d’accueil. Un potentiel danger qui bloque la solidarité. Fais ch… J’arrive pas à répondre à quel point on peut/doit suivre ses convictions sans se mettre soi-même ou ses enfants en danger ? Je veux pas laisser la peur guider mes choix de vie et mes actes. Et en même temps, je m’en voudrais tellement si je les mettais en danger, et à la fois, où est la responsabilité, à qui elle revient ? Foutue culpabilité maternelle. Aujourd’hui, j’ai tendance à réagir quand une injustice ou une violence est faite dont je suis témoin. Pas toujours, mais parfois, souvent. Et l’autre jour, Zoé finit par me dire : « Tu sais tout à l’heure, y a un monsieur qui nous suivait et on voyait son zizi, mais je t’ai rien dit, j’avais peur que tu te fâches. » Uppercut. Elle m’a rien dit parce qu’elle avait peur de ma réaction. Peur d’avoir plus peur. Et là, je me suis trouvée tellement naze de lui avoir imposé jusque-là un sentiment d’insécurité. Alors sans trop m’auto-flageller, je me suis dit que je veillerais d’abord à les mettre hors de danger avant d’intervenir, ça demandera de déconstruire beaucoup de choses, mais en effet, tant qu’elles seront petites – je suis leur maman –, il faudra que je fasse attention.

 

Bref, le lendemain, l’une veut pas se faire prendre en photo, sa sœur insiste, l’autre confirme que non elle veut paaaas, sa sœur prend la photo. Je sur-réagis. « Elle a dit NON ! C’est NON ! Tu respectes ! Si toi tu veux pas quelque chose, personne n’a le droit de te forcer. C’est interdit. Si tu veux pas qu’on touche ton corps, personne a le droit, pour les photos, c’est pareil. » Ok, sur-réaction. La discussion de la veille est encore présente et en même temps, c’est ça que je choisis pour le moment, revenir à la base, leur donner du pouvoir avec leur « non ». Je sais tellement pas…

 

Hier, j’ai écrit à l’association d’accueil. Je vais aller à la bibliothèque, en parler avec mes ami.e.s, avec l’autre parent, avec les filles, je sais pas comment, je trouverai les mots j’imagine.

 

 

 

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