LE BEC MAGAZINE

Dans la mer, il y a des crocodiles ?

17.09.2021

Des crocodiles

par Ana Ciotto

Vacances en Italie.

Je suis avec mes enfants, nous sortons de notre chambre d’hôtel pour rejoindre la mer. Nous croisons une jeune femme italienne comme il en existe tant, belle et pour nous autres français.e.s, très apprêtée. Nous nous saluons, elle descend les marches de l’escalier devant nous, Lou est subjuguée. En un coup d’œil elle a tout remarqué :

 « Maman ! T’as vu son chapeau ! Et sa robe ! Et ses chaussures ! Et ses bracelets ! » J’avoue que celle-là, elle pète particulièrement le score. Toute de doré vêtue, en effet, elle a assorti la totale de la tête aux pieds, c’est selon moi un poil too much et en même temps, y a pas à dire, elle a fait ça bien. Lou est trop fan. Elle me demande, un peu perplexe : « Mais maman, elle a le droit de s’habiller comme ça, hein ?! »

Je réponds, amusée, « mais bien sûr ! » puis dans ma barbe, l’air plus sombre, je soupire et murmure « parce qu’on n’est pas en Afghanistan ». 

C’est ridicule je sais, car dans mon style de vieille hippie sur le déclin, je n’aurais pas plus le droit de m’habiller comme ça selon les talibans. C’est simplement la question de Lou qui m’y fait penser : est-ce qu’on a le droit ?

Comme tout le monde, j’ai entendu parler de l’actualité dramatique afghane. Je me sens impuissante, j’ai envie d’aider et je n’ai aucune idée de comment, j’ai envie de proposer notre chambre d’ami.e.s à un.e Afghan.e, je me sens toute petite, et profondément triste.

Je m’imagine devoir porter une burqa grillagée au niveau des yeux, ne plus sortir de chez moi, avoir mal au ventre de peur de façon constante. Ne pas savoir quoi expliquer à mes enfants, vouloir fuir le lieu que j’estime être ma maison, me sentir emprisonnée et accablée sans trouver aucune solution réaliste. 

Je comptais déjà faire une chronique sur une œuvre qui m’a bouleversée, et malheureusement, aujourd’hui, elle tombe d’autant plus à pic.

Le livre s’appelle Dans la mer il y a des crocodiles

carte crocos

C’est une affirmation fausse d’enfant ; celle d’un enfant qui est effrayé de traverser la mer sur un bateau de fortune par peur de se faire dévorer par un crocodile, mais complètement inconscient face au réel danger qui l’attend.

Le livre est signé Fabio Geda, qui a mis en mots le récit autobiographique du jeune Enaiatollah Akbari. À 9 ans environ, il se retrouve seul à fuir l’Afghanistan, et nous le suivons dans son périple de plusieurs années, jusqu’à sa terre d’accueil, l’Italie. 

Cette histoire est racontée selon le point de vue d’un enfant, sa candeur en est bouleversante. 

L’écriture est franche, jamais dramatique ou pitoyable. Les faits sont les faits, et Enaiat veut nous raconter son histoire, qui ressemble à celle de tant d’autres enfants fuyant l’horreur.

Malgré la triste banalité de ce qu’il traverse en tant qu’Afghan migrant, très vite on s’aperçoit qu’on n’a pas affaire à n’importe qui. Enaiat est d’une intelligence, d’une sensibilité et d’une résilience rares.

Nous le suivons les bras tombants, les yeux écarquillés par tant de désir de vivre. 

Vous pouvez lire ce livre avec vos enfants (je dirais à partir de l’âge d’Enaiat, 9 ou 10 ans), c’est une épopée incroyable qui apporte humilité, sensibilité et courage.

Et si vous avez l’impression de rester sur votre faim, que vous avez envie d’en savoir plus, et sur le parcours d’Enaiat, et sur l’histoire afghane, pas de panique ! La suite sortira en France début 2022. Elle s’appelle Storia di un figlio, « histoire d’un fils », et dans ce second volet, Enaiat nous fait, entre autres, un chouette cours accéléré sur l’histoire afghane. Vous découvrirez également comment il se construit en tant que jeune homme en Italie, et quels liens il arrive à garder avec sa famille et l’Afghanistan.

Un chef-d’œuvre à mettre entre toutes les mains.

couv crocos

 

 

 

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