Accoucheuses
Les sages-femmes, des accoucheuses au-delà des mots
par Marion Salort
Pour ce numéro sur la parentalité, je voulais parler de ce moment juste avant d’être parent, ce moment indescriptible et unique à chaque mammifère qui est… l’accouchement. Et plutôt que de parler d’accouchement en soi, j’avais envie de rendre hommage à ces anges gardiennes de la naissance et des futurs parents : les sages-femmes.
Autrefois, on les appelait « les accoucheuses ». Elles n’avaient pas de formation professionnelle, et leur savoir-faire, comme un don, se transmettait de mère en fille, de tante en nièce. J’ai toujours admiré ces femmes, jusque dans les livres. C’est de l’un d’eux dont j’aimerais vous parler ici.
Les Accoucheuses est une saga québécoise en trois tomes, signée Anne-Marie Sicotte. L’autrice nous plonge dans le Montréal des années 1840, alors en pleine révolution populaire, où les faubourgs de la ville ne sont pas encore des quartiers, où les médecins ont le monopole, mais pas le savoir des accoucheuses. Ils aimeraient bien l’avoir, estimant que c’est à eux que revient le privilège de sortir le nouveau-né des eaux de la mère. Mais ces femmes tiennent bon.
C’est l’histoire de Léonie, accoucheuse donc, et de sa fille, Flavie, qui souhaite suivre les traces de sa mère. Mais c’est à cette même époque que les médecins zélés commencent une lutte sourde pour dévaloriser ce métier ancestral réservé aux femmes. Léonie ne supporte plus de subir les méfaits de ces hommes, alors pour sa fille et toutes celles qui viendront après elle, elle décide de fonder une école. La profession n’est pas officielle, ces accoucheuses ne sont pas reconnues. Une lutte sans merci envers les instances de pouvoir va alors commencer, grâce à la poigne de Léonie et de quelques femmes de haut rang qui vont lui prêter main forte.
Les Accoucheuses est un grand roman. J’aime nommer ainsi ces ouvrages longs, denses, précis, historiques, où les personnages sont en costume et les lieux décrits avec un détail tout naturaliste. Tous les ingrédients sont présents. On découvre la jeune Flavie dans sa belle robe épaisse, on sent l’odeur de l’herbe humide des champs que traversent les femmes à l’orée du jour pour atteindre le centre de Montréal, on voit – et regarde – chaque détail architectural dépeint avec précision et sensibilité. Anne-Marie Sicotte nous séduit en nous propulsant tout droit au XIXe siècle, dans cette ville qui sent le crottin de cheval, avec ces personnages colorés et corsetés.
C’est une lutte sans merci, je dis. Car Léonie va devoir se battre contre ces vieux briscards de la profession, pour fonder son école, allant plus loin encore : elle va ouvrir une maison de naissance pour les futures mères en proie à la pauvreté et à la solitude. L’Église, omniprésente au Canada à cette époque (et jusqu’à la Révolution tranquille dans les années 1960 !) voit d’un mauvais œil l’initiative de Léonie. Elle fera fi de toutes les contraintes pour maintenir le cap et professionnaliser les sages-femmes. Jusqu’à former les médecins eux aussi.
Lire ce roman demande de l’endurance, mais une fois qu’on a accepté son rythme, on se laisse embarquer dans ces faubourgs montréalais, avec ces femmes puissantes.
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