LE BEC MAGAZINE

Je suis vénère #7: relooking

13.04.2022
vetements barbie

©Caroline R.

par Caroline R.

 

Je suis vénère, très vénère même qu’un jour on m’ait conseillé de m’habiller d’une certaine façon pour négocier… une subvention. UNE SUBVENTION !

Pis surprise, surprise dans le Kinder, c’était pas un costume trois pièces et col roulé.

Cliché.

Tellement cliché que je ne pensais pas que ça pouvait arriver.

T’sais, moi ça faisait trois jours que je retournais des tableaux Excel pour essayer de maintenir tout le monde à son poste parce que ça me tentait pas de virer du monde pis que le besoin du public était énorme et là je me retrouve à échanger avec une partenaire de la ville dans laquelle je bosse. Je viens lui demander que le grand manitou qui gère les budgets de l’Europe (oui, il a les fesses sur beaucoup d’argent – enfin les fesses, vu la suite de l’histoire… bref monsieur gère beaucoup de sous), que ce grand manitou donc, veuille bien réétudier mon dossier.

Je suis pas encore dans son bureau qu’elle me conseille « Oh ben, – nom dudit manitou – il faut le charmer ». Point. Et d’ajouter « avec moi, ça marche ».

Je suis dans mes chiffres et puis je vais être honnête, à l’époque, mes collègues ont beau m’affubler du titre de féministe-activiste parce que je leur ai demandé d’arrêter les blagues sexistes (si, si, rappelez-vous – c’était un de mes tout premiers « Je suis vénère »), je ne sais pas comment réagir. Et puis j’ai peur. Parce que je suis jeune, parce que je galère avec la légitimité, parce que je suis une jeune femme responsable d’une asso avec huit employé.e.s, plein de budgets, plein de bénéficiaires…

Alors je passe à une autre discussion.

Bouuuh… Huée générale…

Mais à la fin de la réunion, comme ça me chafouine un peu quand même (1), je reviens sur le sujet parce que je – enfin, la structure pour laquelle je bosse, mais à l’époque l’altérité avec mon boulot est pas très claire dans ma tête –, bref, on est vraiment dans la merde. Et là, à la question :

« Sérieusement, qu’est-ce que vous me conseillez comme stratégie pour que – nom dudit manitou – veuille bien réétudier mon dossier, sinon la structure sera vraiment en difficulté ? »

On me répond, avec un grand sourire et une grande souplesse :

« Sors la minijupe et le décolleté. »

Arrêt neuronal – oui, c’est comme un arrêt cardiaque mais entre mes neurones.

C’est quand le monde me paraît tellement absurde et plein de surprises que je ne sais plus quoi faire. Pourtant je vous jure, moi, rebondir c’est mon truc, hop dans un sens, puis dans un autre, entre deux galères je suis plutôt du genre à faire des triples loopings et savoir comme une chatte retomber sur mes pattes, mais là, visiblement, c’est pas ce qu’on me demande. On me demande plutôt de minauder comme une féline pour bénéficier d’une subvention.

Les impôts, les taxes, l’argent public.

J’ai eu envie de vomir.

Minauder. Auprès d’un mec qui lors de la première réunion répétait « mademoiselle » à tout bout de champ me précisant avec un petit air supérieur qu’il était en droit de le faire puisque je n’avais pas de bague au bon doigt, donc que j’étais pas mariée, donc que je ne méritais pas le Madame. J’ai failli lui en montrer un autre, de doigt, mais ça aurait manqué de classe et de discernement. Je lui avais donc simplement et froidement demandé de revenir à la réunion plutôt que s’étaler sur ma situation maritale. Et j’étais fière de ma sortie…

Mais comme elle est naïve ! Hey cocotte, le monde est pourri, c’est comme ça ! Si tu savais… c’est rien ça, c’est bon.

Alors non, c’est pas comme ça, le monde il est pas comme ça et puis je suis naïve c’est ce qui m’empêche d’accepter ce genre de mécanisme immonde. Le monde pourri, c’est à force de l’accepter qu’il se pourrit un peu, alors je vous donne quand même un point, c’est que c’est fatigant, très, et que ça a frôlé le burn-out, les deux pieds sur la ligne de départ, cette histoire. Non pas forcément celle-là d’histoire, pas celle avec la minijupe, mais l’histoire cumulée de rapports d’oppression et de stress dans un monde associatif à bout de souffle. Et malheureusement, attention roulement de tambour, je suis loin d’être la seule.

Allez, à vos histoires sexistes.

Non, c’est pas pour remuer le couteau dans la plaie, mais je crois qu’en réalisant la présence de ces rapports toxiques, on s’offusque, on en parle et, qui sait, avec quelques outils, une bonne nuit de sommeil et le courage qu’on a à ce moment-là, on agit, à son échelle. Moi, j’ai écrit cette chronique (et dénoncé le jour de mon départ auprès d’un autre grand manitou qui a promis de s’en occuper, au moins c’était dit). On agit, à son échelle. Sans culpabilité de pas le faire. Parce que c’est difficile de faire face à l’oppression. Surtout quand elle est systémique.

Allez, à vos histoires sexistes.

Ah, pardon, encore une chose si vous le permettez.

S’il vous plaît, ne vous enflammez pas sur le pronom féminin de la conseillère en stratégie. Non ce n’est pas « encore pire » parce que c’est une femme. Non. C’est à vomir certes, mais pas plus au féminin. Elle fait le jeu du patriarcat, je la blâme autant, mais pas plus qu’un homologue masculin. L’équité, elle doit aussi être dans le combat, et une personne opprimée qui ne se défend pas, même si elle fait le jeu de l’oppression, n’a pas à être plus blâmée qu’un oppresseur. Ça ne compte pas double.

 

(1) Ceci est une litote. C’est-à-dire une figure de rhétorique et d’atténuation qui consiste à dire moins pour laisser entendre davantage. Donc là beaucoup beaucoup. Elle caractérise une expression de façon à susciter chez le récepteur (toi qui es en train de lire) un sens beaucoup plus fort que la simple énonciation de l’idée exprimée (mais tu n’es pas obligé.e de taper sur ton ordi, j’ai déjà essayé, c’est nul, tu perds toutes tes données et tes beaux tableaux Excel).

 

 

 

 

 

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