« Nous (tous) toutes »
par Cyna Bel
C’est écrit en gras. En gros. En blanc. Avec sa tête au-dessus : Emmanuel Macron.
« Nous tous ». L’affiche s’étale encore sur les panneaux électoraux, au détour des rues, devant les écoles.
Ce slogan, c’est pour « incarner l’unité de la nation ». Pour « le rassemblement de toutes les sensibilités ». Et ma sensibilité à moi, elle se retrouve où ?
Le patriarcat pour slogan
Je suis une femme. Comme la moitié de notre population. Dimanche, je suis allée voter. C’est un droit. Un droit tout frais, qui n’a pas 80 ans. Qu’est-ce que c’est 80 ans dans l’histoire de France ? Une virgule, une inflexion. Comme celle qui a fait changer le slogan d’Emmanuel Macron à l’aube des élections d’« Avec vous » à « Nous tous ». En sens inverse, cependant. Car ce slogan marque en grandes lettres tout le désintérêt du président réélu pour la cause féministe.
Pourtant, il y a cinq ans, j’y croyais. Emmanuel Macron déclarait en début de mandat que l’égalité femmes-hommes était une grande cause nationale. J’avais de l’espoir. Les choses allaient bouger. Bilan après cinq ans : de la poudre aux yeux. Des paillettes. Du maquillage. Comme quoi, les hommes aussi peuvent être maîtres dans cet art délicat du subterfuge. Notre président n’a eu de féministe que l’apparat. Il a pratiqué le « féminisme washing » : un engagement de surface pour l’égalité – communication et marketing essentiellement – sans véritables mesures mises en œuvre. Avec son affiche, il a parachevé son œuvre. Il ne s’est même plus soucié du marketing. Les femmes, dans sa campagne, il les a oubliées.
Ce slogan, « Nous tous », c’est l’affichage de la non-prise en considération des femmes dans l’agenda du président. Le slogan se prétend universel et rassembleur alors qu’il refuse de considérer que dans ce « tous », ne sont représentés que les hommes. Car oui, la langue française est machiste. Le masculin l’emporte sur le féminin. C’est la règle.
Martelée à l’école. Et nous, les femmes, disparaissons derrière l’accord masculin. Peu importe que nous soyons majoritaires. Peu importe que nous soyons tout simplement là. « Nous tous », c’est « Nous tous, les hommes ».
Elles ont le droit de vote, qu’elles s’estiment donc déjà heureuses ! Manquerait plus qu’elles soient représentées en plus… Et pourquoi pas qu’elles deviennent présidentes ?!
Et bien justement. En face, il y avait Marine Le Pen. Une candidate. Une candidate qui revendiquait sur ses affiches de janvier et ses tracs être une « femme d’État ». Pour 49 % des Françaises, Marine Le Pen est d’ailleurs féministe. Qui mieux qu’une femme pour représenter les femmes, peut-on penser ?
Pas cette femme, en tout cas. L’association Osez le féminisme ! a analysé son programme. Le constat est sec comme un bon vieux saucisson du terroir : en matière de féminisme, la candidate se place du côté misogyne du baromètre. Quant à sa campagne, le slogan est devenu durant l’entre-deux tours « Pour tous les Français ». Exit les électrices. Marine Le Pen a elle aussi affiché son désintérêt pour la cause féministe. Sur les murs de toutes les villes et villages de France.
Finalement « Pour nous tous les Français », ça rassemblait bien les idées des deux candidats en terme de féminisme.
Renversement de situation
La langue reflète et véhicule notre vision du monde. Celle des candidats au second tour était celle du patriarcat. Quoi qu’il et elle en aient dit.
Si l’on veut s’extraire de cette vision, il existe des procédés grammaticaux simples, qui permettent de matérialiser l’engagement en faveur de la cause féministe : utiliser le féminin et le masculin pour représenter les groupes, par exemple. Cela aurait donné des slogans comme « Nous toutes et tous » ou « Pour tou.te.s les Français.e.s ». Choquant ? Ces slogans traduisent en tout cas un réel agenda politique féministe.
J’habite à Marseille. Ici, les messages sur les affiches de la nouvelle mairie sont souvent inclusifs. Dimanche, dans le bus, j’ai vu une affiche de recrutement de maîtres-nageuses sauveteuses. Sans aucune mention aux hommes. Woa ! J’étais éberluée. Ébaubie. Retournée. Parce que la norme, c’est effectivement d’oublier les femmes. La norme, c’est maîtres-nageurs sauveteurs, docteurs, ingénieurs… Président. Alors oublier un peu les hommes, quel renversement de situation.
Dimanche, je me suis retrouvée seule face à mon bulletin. Accompagnée de mes idées féministes. Et je ne savais qu’en faire. Elles vont rester bien tapies avec moi pendant encore cinq ans. Jusqu’à la prochaine campagne.
Visiter le site de Cyna Bel.
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