LE BEC MAGAZINE

Mukwege, Nadia Mourad : même combat

24.02.2022

Reparer les femmes

par E. B. T.

 

Quand je prépare un article pour Le Bec, toutes mes lectures convergent vers le thème choisi… Je mets alors de côté mon roman (que je devrais plus tard reprendre sur quelques pages pour raccrocher les wagons…) et me concentre sur ma tâche jusqu’à l’envoi, in extremis, de mon texte. Enfin, je retrouve mes romans jusqu’à ce que recommence l’écriture pour le thème suivant…

Petite incartade à la règle : alors que je prépare mon texte sur la représentation dans l’art du corps hors norme, en librairie, un petit livre accroche mon regard : Denis Mukwege. 

Ça ne vous dit rien ? Si je rajoute : prix Nobel de la paix ? (moue dubitative en réponse)

Et si je dis : « L’homme qui répare les femmes » ? (« Ah, oui…», opinez-vous !)

En effet, on a entendu parler de lui ! Il a eu le prix Nobel de la paix en 2018 en même temps que Nadia Mourad (là, c’est le trou noir ! C’est normal : c’est une femme ! Femme yézidie, qui plus est !). Esclave sexuelle de Daesh à Mossoul entre 2014 et 2015, elle a dénoncé les viols et exactions subis par 3000 femmes comme arme de guerre… Aujourd'hui, elle est ambassadrice de bonne volonté auprès de l'ONU.

 

Quelques jours après en comité de rédaction, je raconte ma lecture: «Oui, cet homme est extraordinaire !»

 

Denis Mukwege, gynécologue obstétricien congolais, a édifié l’hôpital de Panzi, à Bukavu, en République démocratique du Congo. Conçu pour permettre aux femmes d’accoucher dans des conditions sanitaires correctes, le centre s’est transformé peu à peu en clinique spécialisée dans la gynécologie réparatrice. Il opère des femmes violées, mais pas seulement, ce serait trop banal… Des violées mutilées à l’arme blanche. Des femmes souvent rejetées de leur village après ce qu’elles ont subi, et que les équipes mobiles de l’hôpital de Panzi recherchent après signalement. Elles les retrouvent, souvent épuisées après avoir erré des semaines, grâce à l’odeur nauséabonde qu’elles dégagent… Mukwege en a «réparé» des dizaines de milliers depuis deux décennies, depuis… depuis le jour où on lui a apporté une fillette de 18 mois… 

Alors, il a fait de ce drame son combat.

Il a décidé de trouver les raisons de ces crimes qu’il qualifie de génocide lent. Il a découvert que ces villageois habitent une région extraordinairement riche de son sous-sol. Les minerais (l’or, le coltan, le cobalt, la cassitérite…) sont très recherchés pour la fabrication des batteries des voitures électriques et des téléphones connectés. Ces mines très convoitées donnent lieu à des luttes de pouvoirs entre les différentes ethnies, et à une extraction et un commerce illicites qui utilisent la population comme esclave, sous la surveillance de milices armées locales, et au profit de sociétés commerciales régionales et internationales. Mukwege comprend alors que les viols et mutilations génitales font partie du système d’asservissement des populations locales. Une enquête très fouillée a permis de documenter les exactions des groupes armés du Kivu, une région de l’Est de la RDC, constitués de jeunes adolescents et d’anciens enfants soldats du Rwanda. Depuis sa découverte, Mukwege alerte son gouvernement, la communauté internationale, les dirigeants de tous les pays qui achètent ces minerais, en vain. Rien n’a été fait par la communauté internationale depuis… Ni justice, ni réparation…

Pourtant, Mukwege ne baisse pas les bras : non content de réparer les corps, il entreprend de réparer la personne. Il fait construire autour de l’hôpital des petites unités de soin et d’habitation, et ses équipes travaillent à l’insertion sociale de ses protégées. 

En 2011, Guy-Bernard Cadière, chirurgien du système digestif et développeur de la laparoscopie (ou cœlioscopie) rejoint Mukwege à Panzi. À eux deux, ils vont pouvoir faire des opérations plus complexes et moins traumatisantes. Tous les trois mois, ils opèrent à quatre mains les cas les plus graves.

Leur livre de témoignages est un hymne à l’amour, disent-ils. «L’amour est notre ligne de conduite… notre valeur fondamentale…. C’est le message le plus simple du monde et pourtant personne n’ose plus le transmettre. On a peur du ridicule, peur de paraître désuet, peur de passer pour naïfs. Notre innocence a été mise à l’épreuve des pires monstruosités, mais finalement nous tenons à ce message.» dit Cadière. Et Mukwege de préciser : «L’amour est au centre de tout. Peut-être fallait-il être confronté à une telle horreur pour en revenir à ce simple constat : la seule chose qui compte, c’est l’amour.»

 

On ne va tout de même pas les traiter de bisounours, ces deux-là, avec ce qu’ils vivent au quotidien...

 

Retour à notre réunion de comité de rédaction : 

- Le corps réparé ! Il faut l’écrire cet article !  C’est complètement dans le thème de notre prochain numéro !

- Oui, complètement… ! Il y a : le corps dans ses parties les plus intimes au centre des soins de ces médecins...

- Les violences faites aux femmes...

- L’organisation patriarcale de la société...

- L’instrumentalisation de l’agressivité masculine...

- La domination des pays riches sur les pays pauvres...

- La captation des richesses d’une ancienne colonie africaine pour le développement d’une économie quasiment blanche…

- La libéralisation à tous crins de l’économie de marché…

Tout y est… trop vrai ! Je le tiens, mon article !


Et d’une pierre deux coups, j’ai trouvé mes prochaines lectures ! Ce sera le roman graphique La Force des Femmes de Joël Alessandra aux éditions Des ronds dans l’O. Et le livre documentaire de Nadia Mourad Pour que je sois la dernière.

Pour que je sois la derniere

 

 

La force des femmes 30 annees de rencontres africaines

 

 

 

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