En vieillissant, le temps de la sagesse n’est pas venu
Par Annie
La ménopause : ma mère ne m’en a jamais parlé. Je n’en parle pas à ma fille. Parce que manquent les mots justes pour en parler.
La ménopause, cela pourrait être la fin de l’imposition des rôles.
On peut accepter (on n’a pas le choix) qu’elle nous transforme physiquement mais on refuse qu’elle nous transforme psychiquement.
Elle nous rappelle à la peur de vieillir plus encore, et de mourir. Ma mère toujours plus âgée, forcément : je serai cette peau demain, je serai cette femme demain.
La poitrine devient plus dense (maltose), l’hypotonie des muscles peut entraîner des mictions plus fréquentes et de légères incontinences. Sécheresse de la muqueuse vaginale. Des yeux enrhumés de vieille femme. Peau qui se fripe, qui se tâche. Comment arrêter la décrépitude ?
La ménopause est présentée comme une image de déséquilibre, de déficit, de dégénérescence. La femme est dans la perte.
Perte de tonicité, qui crée un manque d’équilibre. Moi qui dévalais les pierriers, les escaliers, traversais les ruisseaux en sautillant, je ne parviens plus à le faire. Je dois adopter un pas plus sage.
Mais ne plus voir de gynéco : une libération. Le généraliste suffit.
Cheveux courts, cheveux longs ? La question se pose autrement que plus jeune : ne pas avoir l’air d’une sorcière. «Bien m’habiller » : pour que ma fille, mon petit-fils, mes neveux, des jeunes gens rencontrés ne me voient pas que comme une vieille femme. Il y a ce qu’on veut dissimuler, ce qu’on veut préserver d’un sentiment d’identité que nous avons mis tant de temps à construire (ou à acquérir malgré nous bien souvent). Je n’ai jamais porté de couleurs vives ou de tissus à motifs colorés. Pourquoi le fait de vieillir devrait m’inciter à le faire ? Mais je vois que d’autres dont ce n’était pas le genre, le font, l’âge venant.
Une façon de conjurer l’invisibilité à laquelle l’âge nous condamne peu ou prou ? De refuser ce statut de vieille femme et le rôle qui semble aller avec : discrétion, désexualisation ? Il n’y a pas de bienveillance pour les femmes ménopausées, sauf comme mamies éventuelles.
Nous nous sommes habillées pour plaire, séduire, même si nous refusions les codes de la féminité, les contraintes de vêtements de femme. Nous avons toujours eu du mal à nous accepter telles que nous étions, ne correspondant jamais assez aux images renvoyées de la femme accomplie. Pas assez ceci, pas assez cela… Cela ne change pas avec la vieillesse. Mais d’une certaine façon, ce n’est pas pire. Et puis, je n’ai jamais connu le calme émotionnel, les habitudes rassurantes, la familiarité avec ma propre vie, alors les changements apportés par la vieillesse ne peuvent pas aggraver cet état de fait. Si l’on n’était pas tout le temps sollicitées, on pourrait vivre au gré de nos désirs sans se poser la question de savoir si on est normales, anormales, si on en veut trop ou pas assez.
Ce qui a disparu, plus que la beauté, c’est l’air de jeunesse.
Trouver l’apparence qui nous plaise.
« On n’est jamais comme il faut ! À vingt ans, à trente ans, à soixante ans… Mais une fois vieille, on sait que c’est vraiment trop tard pour être « comme il faut ».
« Vieille, une faute de goût »
J’essaie toujours de regarder les vieilles femmes, y compris ma mère, comme des personnes singulières, et que l’âge ne rendrait pas indistinctes. Pas si facile.
Je me définis comme hétérosexuelle. Et les hommes qui me plaisent le plus sont jeunes. Pas ceux de mon âge. Alors je me suis placée dans une position où il n’y a pas de risque pour eux, ni pour moi, en les incitant à penser que je suis une femme qui a vieilli ; et que je suis donc hors jeu pour ce qui est de la séduction ; que nous pouvons, nous devons nous situer ailleurs. « Ne plus être sur le marché de la « bonne meuf », quel soulagement ! »
Le bien vieillir ne doit pas devenir une injonction. À ne pas vieillir en fait. Nous sommes abreuvées de conseils nous poussant à la consommation de crèmes, d’opérations, nous culpabilisant sur notre activité physique.
Je ne vis plus en couple depuis un an, après 35 ans de compagnonnage. Et je mesure qu’il n’y a pas d’obligation à vivre avec des hommes et surtout il n’y a pas de malheur et de plus grande solitude à vivre sans. D’une certaine façon, je n’ai jamais voulu vivre avec un homme. Cela s’est fait parce que la société contribue à ce que l’on se dirige tout doucement vers cela, même d’un point de vue économique. Or, je veux pouvoir affirmer que vivre sans homme me rend plus puissante. Et en quoi, dans ce choix, le féminisme est un point d’appui extraordinaire, qui peut s’incarner véritablement : pour la réappropriation des corps oppressés, pour se défendre de la misogynie.
Je ne voudrais pas moins que ce que j’ai désiré, et faire de la vieillesse, de la ménopause, une expérience et non pas une fatalité.
Il nous faut créer des collectifs qui nous rendraient plus fortes, moins dépendantes des normes, des rôles assignés : « Les ménopauses rebelles » par exemple.
« Si c’était à refaire, je grimperais plus de montagnes, je nagerais plus dans des rivières. Et je jouerais plus avec des enfants. » Borges… Et je vivrais plus avec des femmes.
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