LE BEC MAGAZINE

Testostérone et dopamine

15.01.2021
Testosterone dopamine DR2

par Marie-Josèphe Moncorgé
Testostérone et dopamine - La domination de l’homme sur la femme : un fait de nature ?

 

Les hommes ont-ils toujours dominé les femmes ? Est-ce dans leur nature ou dans leur culture ? Si nous pouvions répondre à ces deux questions, cela nous permettrait-il de trouver comment mettre fin à cette domination ?

Mâle dominant : un fait de nature ?

Dans la nature, tous les mâles sont-ils les plus beaux, les plus forts, les plus dominants ?

Si notre civilisation judéo chrétienne a beaucoup usé de l’argument de la nature et du contre-nature pour justifier ou condamner telle ou telle pratique sociale ou sexuelle, les zoologistes nous ont appris que tous les comportements sont dans la nature !

Le dimorphisme sexuel est évident chez certains animaux : le faisan est plus gros et plus beau que la faisane, comme le paon, le cerf a des bois magnifiques alors que la biche n’en a pas, le lion a une belle crinière et la lionne n’en a pas. Il semble que le dimorphisme sexuel, important chez nos ancêtres Australopithèques, se soit atténué chez Homo sapiens

Mais chez les insectes, les araignées, certains amphibiens ou reptiles, la femelle est souvent plus grande que le mâle. Quant aux fous de Bassan, aux grives, aux aigles ou aux vautours, impossible de voir la différence entre les sexes. La hyène tachetée femelle possède un pseudo-pénis qui rend l’accouplement et l’accouchement difficiles.

 Faisans femelle et male

Faisans femelle et mâle

 

Les poissons peuvent changer de sexe, les escargots ou les lombrics sont hermaphrodites, les mantes religieuses femelles, comme certaines araignées, peuvent dévorer le mâle (plus petit) au moment de l’accouplement, l’homosexualité est courante chez les dauphins, les zèbres, les bisons, les caméléons ou les singes bonobos. 1500 espèces animales ont des comportements homosexuels, certains de ces comportements pouvant s’expliquer par un rapport de domination, d’autres par une véritable attirance homosexuelle ! La monogamie ne concerne que 9 % des animaux. Elle est la norme chez 90 % des oiseaux et ne concerne que 9 % des mammifères (mais 27 % des primates !). Chez certains oiseaux, le père couve les œufs pendant que la mère va chercher à manger. Chez les bonobos, faire l’amour est un moyen pratique d’éviter les conflits ou de les résoudre. Dans ce dernier cas, c’est ce qu’on appelle chez les humains se réconcilier sur l’oreiller !

La polygamie peut prendre plusieurs formes. Un mâle peut avoir plusieurs femelles, c’est la polygynie qui concerne la majorité des animaux. Chez les humains, c’était une pratique courante dans l’Antiquité, en Afrique noire, en Égypte et même dans le judaïsme ancien. Dans le monde occidental, seuls les Mormons ont conservé cette pratique au 19e siècle et actuellement les pays à majorité polygame sont musulmans. Une femelle peut avoir plusieurs mâles. C’est la polyandrie qui concerne des insectes, quelques mammifères mais aussi certains humains comme les Massaïs au Kenya, les Bororos au Brésil ou les habitants des îles Marquises.

Quant à l’inceste, s’il est majoritairement interdit chez les humains, il est régulièrement pratiqué chez les animaux.

La théorie du mâle dominant est souvent expliquée comme un avantage pour favoriser la survie et parce que les femelles préféreraient se reproduire avec un mâle dominant pour protéger les petits. Cette hiérarchisation sociale chez les animaux serait à l’origine du patriarcat et de la soumission des femmes chez les humains. C’est oublier un peu vite que le matriarcat existe chez les hyènes, chez les éléphants ou les baleines. C’est oublier la société quasi égalitaire des singes bonobos où les conflits sont résolus par le sexe convivial.

Comme le disent Pascal Picq et Philippe Brenot : L’observation comparée des systèmes sociaux et surtout de leur organisation, chez les différentes espèces de singes, met à mal le cliché aussi erroné qu’archaïque du mâle dominant, seul maître en son petit royaume d’illusion machiste et de misère sexuelle (Le Sexe, l’Homme et l’Évolution, Odile Jacob, 2009).

Singes Bonobos photo Pixabay4

Singes Bonobos ©Pixabay

 

Les primatologues et éthologues auraient-ils été victimes de filtres idéologiques pour observer les comportements de hiérarchie chez les primates ? Les préhistoriens auraient-ils les mêmes filtres pour définir des sociétés humaines qu’ils jugent forcément patriarcales ? Les peintures rupestres sont-elles l’œuvre exclusive des hommes, comme il est majoritairement dit ? L’Homo sapiens des origines avait-il un comportement de mâle dominant ou celui, voisin, des tribus actuelles de chasseurs-cueilleurs où la communauté l’emporte sur la hiérarchie ?

Les anthropologues actuels (comprenant plus de femmes qu’avant) semblent plus ouverts sur ces questions et se demandent si la domination d’un homme sur les autres hommes et sur toutes les femmes ne serait pas davantage un fait de culture plus que de nature, qui aurait débuté au moment de la révolution néolithique (développement de l’agriculture, de l’élevage, de la sédentarisation et du développement des villes).

Par exemple, la primatologue Jane Lancaster se demande, avec humour, si, chez les babouins hamadryas de la Corne de l’Afrique, les femelles ne manipuleraient pas les mâles à leur profit : Pour la femelle, les mâles constituent une ressource de son environnement qu’elle peut utiliser pour assurer sa survie et celle de sa descendance. Quand les conditions environnementales sont telles que le rôle du mâle peut être minimal, un groupe avec un seul mâle est plus que probable. Un seul mâle, dans ce cas, est nécessaire pour un groupe de femelles si son unique rôle est de les féconder.

Tous les comportements étant dans la nature, qu’est-ce qui a incité l’être humain mâle à vouloir dominer sa femelle ? Ses hormones ?

 

Le pouvoir des hormones

Ces molécules transmettent des messages chimiques dans l’organisme. Elles servent de communication entre les différents organes dont elles modifient le comportement. Testostérone et dopamine sont les deux hormones qui peuvent le plus jouer pour provoquer un "instinct" de domination. Serions-nous déterminés par notre biologie ?

 

Testostérone

Chez les mammifères, la testostérone est la principale hormone sexuelle mâle, sécrétée par les testicules, à partir de la puberté. Les ovaires en sécrètent également, mais 7 à 8 fois moins que les testicules.

La testostérone a un rôle important dans le développement de la masse musculaire et de la pilosité, de la virilité et du désir sexuel masculin. Son taux baisse avec l’âge, ce qui expliquerait la perte des cheveux, la prise de poids et la baisse de la libido. Elle serait en lien avec les comportements de domination et la compétition sociale ou sportive. Selon certains, elle expliquerait pourquoi 90 % des détenus sont des hommes, et cela dans tous les pays.

Dans le monde animal, les mâles avec un fort taux de testostérone agressent davantage leurs congénères. Les mâles castrés sont moins agressifs. Les femelles lémuriens auraient un comportement dominant grâce à un taux élevé de testostérone.

Elle a donc été longtemps associée à une augmentation de l’agressivité chez les mâles, mais cette hypothèse n’est pas prouvée par des études fiables. Des doses élevées de testostérone n’augmentent pas l’agressivité des mâles humains. Certaines études prouvent même que la testostérone déclencherait aussi bien des comportements agressifs que des comportements altruistes : elle serait à l’origine d’un instinct qui pousserait l’homme à protéger et améliorer son statut social pour augmenter ses chances de procréer.

 

Dopamine

La dopamine est une hormone produite par l’hypothalamus, dans le cerveau. Certains l’appellent l’hormone du bonheur : c’est grâce à la dopamine que nous cherchons à nous faire plaisir en mangeant, en écoutant de la musique, en faisant du sport ou en recherchant le plaisir sexuel. Ce neurotransmetteur intervient dans l’attention, la mémoire, le sommeil, l’humeur, le mouvement et la prise de décision dans un délai court.

Un manque de dopamine peut provoquer les tremblements de la maladie de Parkinson, certaines dépressions. Un excès de dopamine peut provoquer des symptômes associés à la schizophrénie et augmenter l’agressivité.

La dopamine encourage la recherche du plaisir, elle joue un grand rôle dans le système de recherche de récompense et de renforcement de ce comportement, qui peut conduire à des phénomènes d’addiction à la nourriture, aux drogues, au sexe ou à la violence. Une recherche immédiate de récompense peut entraîner un renforcement des prises de risque, déjà présentes dans l’esprit de compétition favorisé par la testostérone. Comme pour la testostérone, le taux de dopamine diminue avec l’âge, ce qui explique que les personnes âgées prennent moins de risques que les plus jeunes et sont moins attirées par les fortes récompenses.

Déterminisme des hormones ou importance de la culture ? Les anthropologues ont longtemps analysé les rapports homme/femme dans le passé en fonction de leurs croyances. De même, biologistes, neurologues et psychologues qui étudient l’être humain actuel expliquent régulièrement le machisme et la violence par un déterminisme biologique ou un déterminisme socioculturel, selon leurs croyances. Le vieux débat entre l’inné et l’acquis n’est pas encore mort !

 

Conclusion

Nous sommes, certes, des mammifères dominés par leurs hormones mais, dans la nature, les animaux ont aussi une vie sociale. Pour leur survie, la domination de quelques-uns sur l’ensemble du groupe n’est pas aussi efficace que la coopération de tous. Le système du mâle dominant, comme nous l’avons vu ci-dessus, est plus un cliché qu’une réalité générale. Peu de dictateurs chez les animaux, peu de patriarches tout-puissants et à vie, mais une coopération de tous, très utile pour la force du groupe face à l’adversité. La compétition à outrance serait-elle le propre de l’être humain mâle ?

À la manière de tous les jeunes primates qui apprennent dans leur groupe social les règles du bien vivre ensemble, le jeune mâle humain apprend à dominer ses pulsions agressives et sa recherche immédiate du plaisir pour vivre harmonieusement en société. Il apprend dès le plus jeune âge à canaliser sa violence et son esprit de domination par des jeux ou des rappels à l’ordre familial ou social. Les plus rétifs à cet apprentissage peuvent être mis à l’écart de la société et aller en prison.

Cependant, nos sociétés éduquent les jeunes mâles à développer leur agressivité pour faire la guerre, à développer un esprit de compétition aussi bien dans le sport que dans le milieu scolaire puis professionnel. L’agressivité des femmes est, au contraire, réprimée par l’éducation et leur docilité renforcée : la femme au foyer n’a pas besoin d’agressivité ni d’esprit de compétition et son rôle dans la vie professionnelle a longtemps été un simple rôle social.

La domination de l’homme sur la femme serait-il plus un fait de culture que de nature ? C’est ce que nous aborderons lors du prochain article.

  

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Pour en savoir plus sur quelques points de l’article :

- Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme, Allary éditions, octobre 2020.

- Jacques Balthazart, Quand le cerveau devient masculin, Humensciences, 2019. Biologiste qui défend l’hypothèse biologique.

- Ivan Jablonka, Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Éditions du Seuil, 2019. Historien qui défend l’hypothèse sociale.

 

 

 

 

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dovalouse
Très bonne analyse, qui donne envie de lire la suite! Merci, Marie-Josèphe!
17/04/2021 - 11:25
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