La négresse à cheval
par Sabrina Equinoctis
J’habite le monde au travers d’un rapport animal à mon troupeau.
Je vis dans un camion aménagé, un petit poids lourd à la cabine verte et à la caisse bardée de bois qui fut dans sa vie antérieure une bétaillère à chevaux.
Nous générons notre électricité au travers de panneaux solaires, nous avons un compteur d’eau, sur lequel nous prélevons plus ou moins 30 litres d’eau par jour pour deux humains et nous louons 43 hectares de bocage pour nos compagnons chevaux. Nous vivons en marge du système, dans une forme de semi-liberté.
Je crois en l’avènement d’un monde nouveau. Je suis une femme noire de 40 ans et je sais intimement, en ma chair, qu’il est nécessaire aujourd’hui en 2020 de faire ce pas : sortir des processus de domination.
À l’ère de la pandémie, dans une accélération des catastrophes écologiques et climatiques à venir, nous devons et nous pouvons sortir du modèle sociétal qui nous a été inculqué. J’ai eu la chance de fréquenter les animaux dès mon plus jeune âge et c’est grâce à eux que je me suis extraite de cette course effrénée et effrayante à la possession et à la compétition.
Ce sont les processus de domination qui nous ont menés dans ce cul de sac évolutionnel, ceux qu’a d’abord exercé l’homme sur la nature, le sédentaire sur le nomade, puis l’homme sur la femme, le blanc sur le noir, etc...
Les mythologies diverses parlent d’un âge d’or, d’un temps avant le temps dans lequel les humains vivaient heureux et semblables aux animaux.
L’humanité a vécu un moment charnière entre le paléolithique et le mésolithique, lorsqu’un réchauffement climatique a créé des grandes étendues de triticales et que les humains ont commencé à se sédentariser. Le modèle chasseur-cueilleur est alors remis implicitement en question, on a besoin de plus de bras, les femmes se mettent à faire plus d’enfants, un dimorphisme sexuel s’installe, la santé générale décline et on trouve les premières traces de violence généralisée entre humains (par exemple le charnier de Nataruk au Kenya).
L’Homme semble devenir démiurge, il intervient sur le milieu naturel et le modèle selon ses besoins. Cette évolution involontaire est selon moi à l’origine de cette scission entre nous et la nature.
C’est aussi à cette époque que naissent des technologies nouvelles nécessaires pour garder trace des biens des uns et des autres, écrits et calculs de stockage du grain.
Il faut rappeler que la domestication des animaux n’avait pas engendré ce saut technologique, les humains étaient restés nomades, et ils avaient gardé cette complicité innée avec le milieu naturel.
Pour ma part, ce sont les animaux qui m’ont donné confiance en moi, c’est dans mon rapport même au vivant, même minuscule, que l’enfant que j’étais s’est forgé la certitude que j’étais spéciale. Lorsque plus tard, j’ai été confrontée au jugement du reste du monde humain, ma petite âme enfantine s’était déjà carapaçonnée de rêves. Cette conviction venue de l’enfance m’a permis de laisser glisser sur moi les comportements sexistes et les remarques racistes. Cette petite bulle animiste a toujours été mon refuge, mon repère et mon repaire.
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