LE BEC MAGAZINE

Je ne sais pas me vendre

20.01.2021

SabrinaEquinoctis 

par Sabrina Equinoctis

 

 

je ne sais pas me vendre

ou pire, je me suis tant vendue que je ne m’appartiens plus

construite comme un objet, j’ai accepté d’être polie, policée

je suis passée de lame de chair à âme de verre

je serai toujours exotique non pas noire non pas nègre

juste assez étrangère

une fine pellicule de bronze/un kinder à l’huile de napalm

alors ma sauvagerie a trouvé un exutoire

les âmes animales me réfléchissent en miroir

de gosse précoce à renarde d’obsidienne

une Diogène moderne raillant le confort

une chienne cynique les cheveux mêlés d’écorces, les ongles en deuil du ciel

j’écris de ma coquille de noix

je chante pour la mousse et le lichen

et mon ventre, antre de joie, abrite un effraie

la nuit je cours nue sur les chemins de pierres

parfois je croise des phares embrumés

mais nul ne me voit, silhouette sombre, hirsute et déplacée

«tu n’es pas noire», je sombre et surnageant sur les flots de larmes

j’attends mon heure, ni prédatrice ni proie

«tu ne fuiras pas devant les sirènes, elles ne viennent pas pour toi

toi tu es plutôt Silène, ivre de ta démesure

sans peau sans peur, délivrée de ton extérieur

tu peux être un hêtre/un chêne

(non plus un peuplier, un peuple un peu plié, mais un peuple lié)

le murmure des innombrables, de ceux qui ne se soumettront plus

la force innommable d’une irascible crue

bouillonnement et cuite, joie absurde de l’ivresse

une cérémonie dans l’espace public

une transe, un sacrifice, une pandémie

de cris/de culs/de fesses/de couleurs/de baise/d'allégresse

une fête païenne dyonisiaque, un mouvement suspendu

un chaos en marche, envahissant la rue

un coeur bat sous le trottoir

un chien passe et lève la patte.

  

 

 

 

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