LE BEC MAGAZINE

TTIIIITTRRREEE!*

20.06.2021
Tamara de Lempicka

Tamara de Lempicka, Reclining nude, 1925

par Kiss

Ass

L

Il n’y aura pas plus de cohérence dans ce texte qu’il n’y en a dans l’expression de mes genres, t’as vu genre ? J’ai pas envie d’écrire bien. Je revendique d’ailleurs une certaine vulgarité, dans le sexe aussi. Pouvoir se brancher salement, c’est bon pour guérir de nos petites filles enfouies au fond, dressées à la délicatesse et au bon goût. Si tu savais tout le mal que je pense de la sexualité à cause de cette petite fille qui m’emmerde, et toutes les fois où je cherche à terrasser ce mal(e ?), dans l’extase comme dans la douleur non consentie. Et aussi, j’aime le cul. Et le mien, et le tien. Enfin surtout le mien en ce moment. Ça fait des mois que j’ai pas de sexualité partagée, mais alors comment je me réinvente solo !



je suis rentrée

coup d'œil miroir

tête de dépravée

vulgaire vulgaire

maquillage coulé

j'me kiff en fin de nuit

pilote auto

corps à corps

reflet à reflet

surface gelée

à la glace collée



Je ne suis pas une femme, je ne l’ai jamais été je crois, j’ai peut-être été une fille, les premières années de ma vie. Et très vite une gouine. Bam, sortie de route. J’ai pas très envie de passer des heures à t’expliquer pourquoi je ne suis plus une femme une fois que je deviens gouine. Mais en passant je peux te dire : je sors du jeu binaire homme/femme. Dans tout ce qu’il comporte, les très nombreuses assignations à être, être de telle ou telle façon pour être valable sur le marché du cul hétéro, sur le marché du couple qui s’installera, sur le marché de la reproduction sexuelle. Dans mon devenir gouine il y a tout ça qui fout le camp, qui va se nicher dans d’autres normes, et sur d’autres marchés, mais dans un premier temps c’est plutôt abyssal. Ne pas faire partie du game, si ça ne t’effondre pas, ça te donne mille possibilités, un éventail bariolé… C’est des sensations dans le regard des autres quand tu t’affirmes, c’est des rejets homophobes, c’est des décalages quand tu te frottes au corps de ta première copine, amante et que tu sens l’hétérosexualité qu’on t’a rentrée à coups de fers parce que là, la première fois que tu la prends dans tes bras, t’as l’impression d’être un gars… juste parce que t’as jamais vu que des gars faire ça. C’est le fait que faire des mômes, une activité qui structure sacrément (je pèse mon adverbe) notre société et qui mine nos sexualités, c’est plus du tout une évidence, et, parce que c’est compliqué, la soi-disant évidence de ton désir de meuf pour cette activité, s’éloigne, s’éloigne, s’éloigne.

Le cul, la sexualité c’est pas une espèce de pacte, culturel, noué de rapports de force, de représentations, de classification naturalisante de zones érogènes et de zones nazes ?

J’ai toujours été attirée par des meufs très différentes, et seulement par des mecs chauves, plutôt gros, tu te l’expliques ça ?

 

Il est cinq heures

Du matin

On a baisé des heures et on s'est endormies

Je me réveille

Moi plat ventre, toi sur le dos, mon sexe repose encore sur ta main

Tu te réveilles, grommelles, agites les phalanges

Clito

Oui ? Tu veux bien ?

Ta main est engourdie

Je me caresse dessus, tête baissée, pendant que tu me regardes d'en haut

 

Je peux me sentir un mec quand tu me touches là ? C’est quoi cette impression de virilité qui m’assaille quand je te regarde de haut. C’est pas des bouts d’UN autre dans moi, des sentiments de déjà vécus. C’est moi. C’est ma Bite. Celle dont on nous a privées, nous les moules, qui avons à peine un sexe tant on ne nous l’a jamais montré. C’est ma fiction, et c’est donc ma vérité de chair et d’os en tas. Si je ne peux pas emprunter quelques heures tes pantalons de cuir, ma vie n’aura servi qu'à moitié. Glisser dessous mon slip rouge salope à cul apparent, Play Boy. J’ai pas besoin qu'on se touche, j’ai envie de te regarder fanfaronner dans le costume que tu te seras choisi, sans même un regard pour moi, kiffant ta propre gloire dans ma cave sans public. Je suis au fond sous l’alcôve mais plongée dans le noir.

 

Réveillée en sursaut par un coup sur le mur

Les voisines

Semblent s'amuser

Je vois des têtes de coq

Elles me picorent

Leurs cous enfilés dans mon sexe

Le mur tremble

Je jouis avec

 

Nichons, miches, boobs, pies, protubérances.

Il y a deux semaines, je les aurais fait enlever, je ne pensais que binder. Aujourd’hui qu’ils sont énormes, proches de l’évacuation mensuelle de ma poche utérine en lambeaux (t’as compris, je vais avoir mes règles), ils me font mouiller. Leur sensibilité douloureuse m’excite. Ils m’excitent d’autant plus qu’ils sont inutilisables, font trop mal. À la pointe de ma suavité meuf, je m’épanouis dans le désir du contre, un désir contradictoire : Je te colle des claques de Aye si tu me les touches. D’ailleurs, t’as pas envie de les toucher ?

 

L’autre jour, j’ai gratuitement acheté des capotes à un distributeur dans la rue, il faisait nuit, je rentrais du travail, et ça m’a plu. Je pense que c’était la première fois de ma vie. Je ne sais pas pourquoi je les ai achetées. Pour des fantasmes, pour le plaisir de les gâcher en solo empalées sur un gros gode. Tu vois, rien qu'à l'écrire déjà, je vais faire une petite pause dans ma chambre…

 

immobile et seule

seule enfin

mentalement concentrée sur mes orteils

je remonte

cheville, genou, bassin

va et vient

auto zumba au plumard

contractions

délectation

projection évacuation

 

J’ai su, peut-être depuis longtemps, que je ne croyais pas à l’authenticité, à l’être, au soi profond et à son pendant dans la sexualité : le sacre extrême, le nu face à toi. Je ne suis pas nue face à toi, encore moins quand je suis à poil. Le poids des codes ne s’efface jamais. Il ne s’agit que d’apprendre à jouer avec, à l’alléger ou bien à l’alourdir. À s’exhiber dans sa honte ou sa fierté, ou les deux à la fois, et les jouer, ou à se vêtir de sa tenue choisie pour le moment, jamais la même. Ce matin au pied de ton lit, je ne suis que mon dentelle personnage, ou une chienne de choix. Plus je joue, plus je suis moi, il ne s’agit pas de falsification, il s’agit de laisser faire irruption les mille facettes qui s’entrechoquent dans tes plis.

 

Ai chopé sac à jouets

D’une main, harnais équipé sur un tabouret de bar attaché

Comme au pub mais seule au milieu du salon

Assise comme si de rien sur un gode bien profond

Face à la vitre pâle reflet rieur

Dans la nuit exposée au voisin voyeur

Les pieds de mon trône tapent sur le plancher

Cocotte minute qui siffle dîner, orgasme exaucé



Je ne veux pas de cette misère faite de peurs, qui trône dans l’Exclusivité. Je ne veux pas te posséder et que tu me possèdes, et de cet arrachement aux autres tisser une toile d’envies frustrées, de refus, de croyance que “seule toi”. Je ne veux pas te quitter et me rendre compte que plus personne ne me touche, être assignée ainsi à ce qu’un Toi existe toujours dans ma vie. Je veux rire à gorge déployée de nos ratés ou de nos élans. Riche. Être riche de corps, de cul, et d’amour pour vibrer dans le présent quelle que soit la gueule de celui.elle d’en face, quel que soit notre passé, poser les codes actuels de notre relation. Bougeons les lignes. Je ne veux pas de la misère qui m’enchaîne à la première qui daigne me toucher, me pousse à accepter parfois un toucher sans âme et si peu de plaisir, me pousse au dégoût sans pouvoir réagir. Parfois j’ai envie de vomir que tu me touches, et c’est tellement soi-disant précieux ce qu’on vit que je ne peux même pas le dire.

 

quand je jouis

j’en bave à en crever

j’ai mal partout

je me pisse dessus

j’ai envie de chier

l’impression d'être électrocutée

anesthésiée à dégueuler

à tituber

c’est à gerber

 

J’ai des relents sado, fleur bleue, costard, trauma (violée, violée, violée), génitaux, juste peau à peau, grosses fesses, aiguilles, des moments où j’arrive même pas à dire ce que je veux et d’autres où je peux te filer des ordres.

 

Pieds tendus, sur tes épaules

Me guette d'un œil

Suce mes orteils

Je m'occupe de moi

Avec mes doigts

Oublie-moi

Je m'appuie juste sur toi

Fais la brique

Ferme ta gueule

 

Lisez Guillaume Dustan parler des kilomètres de bite qu’il a apprivoisés ou qu’il a laissés l’apprivoiser, lisez Dorothy Alison arborer ses godes-ceintures, lisez Paul B. Preciado et sa société contra-sexuelle, ou encore Rupi Kaur, pour toute la renaissance après la souffrance d’être née dans des corps assignés meufs et les violences qui en découlent. Enfin, écoutez Elza Soares chanter, du haut de ses au moins (?) 70 ans, sa peau qui sue et son cul désirant.



Jesus

TTTIIIITTTRRREEE!*

*tu connais ce jeu ? Quand quelqu’un.e dit une phrase qui pourrait ressembler au titre d’un film porno tu cries TTTIIITTRREEE!

 

 

 

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