LE BEC MAGAZINE

"Sexplay" : une sexualité sous les projecteurs

09.07.2021

 

SEXPLAY2

© Charlotte Lippinois

 

par Caroline R.

 

Camille Husson a écrit et joué un spectacle, “Sexplay Nos Panthères Nos Joyaux. "Sexplay", c’est un spectacle qui parle de sexualité, des sexualités d’une femme cis hétéro tout au long de sa vie. D’un parcours sexuel, de ses découvertes, de ses limites, de ses souffrances, de ses plaisirs, de ses fantasmes. Camille est mon amie. Je ne parle pas ou en tout cas très peu de sexe avec mes ami·e·s. Pourtant, je suis persuadée que pour cheminer, se définir, réfléchir, choisir, penser et parfois panser, il faut des mots. Pour se comprendre, pour imaginer, il faut des phrases, du vocabulaire qu’on va apprendre à articuler, à déconstruire, pour s’inventer. Alors j’ai eu envie de l’interroger sur les pourquoi et les comment de ce spectacle. 

Je n’ai pas encore eu la chance de le voir, ce spectacle (Covid oblige), mais j’ai commandé le texte et sur le rebord de ma fenêtre, un café à la main, je l’ai lu. Il m’a touchée, émue, dérangée, fait rire et excitée. Et entre vous et moi, j’ai  pris conscience de deux-trois trucs qui mériteraient que je me libère un jour. 

NOTE : Ceci est une retranscription d'une conversation orale riche, joyeuse et enflammée, partant parfois dans tous les sens car en discutant à deux on rebondit et on avance par des chemins de traverse de manière ludique et désordonnée.

 

Comment en es-tu arrivée à vouloir écrire sur ce thème ?

Au début, j'ai travaillé avec un ami. Ça tournait autour du couple et du désir. Au bout de quelques temps, j’ai réalisé que c’était son sujet, pas le mien. Moi j’avais envie, besoin de me questionner en tant que femme en dehors du couple. D'explorer, non pas en tant que femme objet de désir, mais en tant que « sujet désirant » sujet qui désire, sujet qui a des envies, sujet qui explore. J’ai réalisé que je n'avais finalement pas tant de références de connaissances et donc, tout le début du travail a consisté à découvrir, à m'ouvrir à des autrices qui se positionnent en tant que sujet, mais aussi explorer du porno fait par des femmes, pour des femmes, à finalement me mettre à la place d'un des sujets et à me demander : « Pourquoi suis-je attirée par ça ou par d’autres choses ? Pourquoi suis-je gênée par telles ou telles choses ? Quelle est ma liberté dans tout ça ? Qu’est-ce qui révèle de mes propres choix et qu’est-ce qui découle de mon éducation ? ».


Qu’est-ce que tu espères semer avec ce spectacle ?

Surtout le fait de se sentir « normale ». On m’a fait beaucoup ce retour à la sortie du spectacle. J'étais vraiment contente. Des filles et des garçons qui sont venus me dire : « Ah, ça me fait du bien, parce que je me sentais toujours un peu bizarre, hors norme et je me rends compte que je suis pas seul.e. ». Le fait d'avoir une parole libre sur scène, d'explorer librement  les choses, mais aussi de connaître ses limites et de les questionner – pourquoi elles sont là –, permet aux personnes de dire : « Ah tiens ! Pourquoi moi je dis ça ? Pourquoi j'ai pas de liberté de parole là-dessus ? Pourquoi il y a des choses que je sais que je n'ose pas dire ? Quel est le jugement ? Quelle est la peur du jugement des autres ? Est-ce que moi, des fois, j’émets des jugements vis-à-vis des autres ? ». Parce que, évidemment, quand tu parles sur scène, on te regarde, on t'écoute. Et quand je parle en disant « je », on croit que c’est vraiment moi. C’est vraiment important que le public se demande : « Comment est-il possible qu’il y ait autant de jugements, autant de non-dits ? ».  Je crois qu’on nous pousse beaucoup à explorer, à vivre plein de choses, à faire plein d'expériences, mais en fait on est beaucoup dans la consommation et moins dans le fait de dire, de partager, de se questionner ensemble, d'échanger sur nos pratiques, sur nos sensibilités, sur nos sens.


Est-ce que tu as réussi à accéder, en partie en tout cas, à cette liberté-là ?

Je crois déjà qu’elle est loin d'être terminée, cette liberté-là. Évidemment, j'ai pris un peu de liberté, mais je suis enfermée dans plein de choses encore. Juste avant de terminer l'écriture, plus personne ne voulait du spectacle. Du coup, j'ai eu une vraie liberté d'écrire ce que je voulais et ce qui me plaisait sans me soucier ni du résultat ni de savoir s' il plairait aux gens. Ça faisait tellement longtemps que je bossais dessus que je voulais le terminer. Je me suis fait plaisir en me disant que ce ne serait jamais monté, jamais créé car je n'avais pas de financement. Donc je l'ai écrit pour moi avant tout, plus que dans l’intention de parler à quelqu'un d'autre. Écrire pour moi seule m’a permis d’écrire ce que je voulais et c’est une belle forme de liberté.

(Là, s’est ensuivie une discussion sur tour à tour l’argent et le temps, ce luxe qui nous permet de faire ou pas certaines choses, certains changements, cheminements.)

J'ai eu le temps de prendre une semaine pour terminer l'écriture. Tout le monde n'a pas cette chance-là. Et puis, j'ai pris énormément de temps à découvrir, à lire sur le sujet, à confronter ces lectures. L'idée a germé en 2015 et le spectacle était prêt à être joué en 2020. Donc, oui, évidemment, même si on parle de sexualité au sens pur, il faut avoir du temps. Si tu es occupée par trop de choses, tu n'as pas le temps de développer tes sens et de découvrir de nouvelles sensations, de t'émerveiller, t'émouvoir.

 

Qu’est-ce qui a été le plus dur dans ce projet?

Le plus dur, c'est de ne pas parler à la place des autres et en même temps d'assumer sa place. Je me disais souvent : «J'ai pas assez vécu de choses pour pouvoir en parler. Je suis trop «normale» pour parler de tout ça, trop hétéronormée, trop conventionnelle, j’ai vécu trop peu de choses ». C’était ça le plus dur : accepter que je n'étais pas autant libérée que ce que je croyais. Je m'imaginais avoir gravi la montagne alors que j'étais tout en bas et que j'étais juste en train de la regarder sans même voir le sommet.

 

Du coup, quel est ton rapport au sexe ? Arrives-tu à le définir ?

Déjà, c’est à moi. Oui, ça n'appartient qu'à moi, on ne peut pas me l’enlever et il y a plein de champs d’exploration. J'ai l'impression qu'il faut arrêter de tout le temps parler du sexe en couple, mais juste se reconnecter à soi. Par exemple, cet après-midi, on était avec Guillaume en train de se baigner dans une cascade. Un moment, on était à poil en train de se faire sécher sur une pierre chaude avec la chaleur du soleil et le petit vent qui passait sur mon sexe nu. Il y a quelque chose qui peut être de l'ordre du plaisir sexuel, sans forcément que ça passe par la pénétration et par un rapport avec un autre être humain. C'est juste moi, ma peau, mon corps, évidemment mon sexe, et le soleil et le vent et les odeurs et la chaleur, le lâcher-prise, le temps, le fait d’avoir du temps. Ça a quelque chose du luxe, mais ce n'est pas du luxe des grands hôtels de luxe mais celui de s’accorder ces moments privilégiés, un choix de faire plaisir à soi.

 

Tu appelles le spectacle de l’autofiction. Comment portes-tu ça sur scène ?

Je ne crois pas à l’autobiographie, à une autobiographie pure. Quand on se souvient de choses, surtout des choses qu'on a vécues un peu fort sexuellement, il y a toujours une part de fantasme qu’on ajoute. L’air était beaucoup plus chaud que d'habitude, les couleurs sont plus vives, l’olfactif rempli tout le corps, une caresse est une décharge électrique de plaisir, etc. Après, c'est tout simplement une question de se protéger du jugement.  De toute façon, à partir du moment où tu dis « je » sur une scène de théâtre, on croit que c’est ta vie. La fiction aussi est hyper importante, je pense. Pour vivre des nouveaux imaginaires, on en a besoin. À partir du moment où j’ai commencé à travailler là-dessus, les gens se sont mis à me parler. C'était super intéressant de voir tous ces gens en mouvement, ils ne voulaient pas stagner dans quelque chose, ils avaient envie de continuer à vivre, en fait, tout simplement, de faire des découvertes. Et après ? Oui, ça m'a permis de me rendre compte de mes limites. Et parfois, je pouvais avoir des jugements sur des personnes ou sur certaines pratiques, et ça m'a mis vachement mal à l’aise de me dire : « Pourquoi t’es gênée par rapport à ça ?  Pourquoi il y a quelque chose qui dérange, titille, te gêne à ce point là ?». C'est ça aussi que j'allais chercher, je cherchais aussi à dépasser mes limites et mes peurs.

 

Tes mots font écho à ce que nous cherchons dans ce numéro du Bec : comprendre comment le patriarcat s’est immiscé dans nos sexualités, et comment s’en libérer.

C’est sûr, il y a cette question du « je » en tant que femme. Plus loin que le patriarcat et ses normes sexuelles, je me suis rendu compte que je n’avais vu presque que du porno ou des films avec des scènes érotiques avec des corps dits « normaux » et « beaux ». Mais en fait, autant chez les filles que chez les garçons, il y a des corps avec des poils, avec des boutons, des corps gras, des qui piquent, des bites minuscules, des sexes indéfinissables, des chattes avec des longues lèvres qui pendent, immenses. Tout ça, c'est des choses auxquelles on n'est pas du tout habitués, qu’on ne voit pas dans le porno mainstream. Mais nos corps, ils sont poilus, il y a des vergetures, il y a des sexes riches et variés, il y a des boutons, des cicatrices, de la vie, du vécu. Ils ressemblent très rarement à ce qu’on nous impose comme la « normalité ». Quand tu dépasses ça, il y a de l'amour qui apparaît, il y a du plaisir, du sexe Avec des corps que tu n’auras pas imaginé désirer. Mais oui, il y a le patriarcat, j'ai l'impression, au sens premier de « mâle dominant », des rapports hommes femmes, des rapports des hommes entre eux et des femmes entre elles. Mais après, il y a aussi toute la question de la norme esthétique.

 

C’est drôle, ce que tu dis me rappelle un spa à Berlin, en nudité et mixte. J'étais très contente de voir des corps nus et différents, pas pour mater, draguer, même si bien sûr il y en a qui me plaisaient plus que d’autres, mais juste de voir des corps nus, où on ne cache pas, on ne déguise pas. Je me sentais comme un enfant qui découvre, avec beaucoup de curiosité : « Tiens ça peut être comme ça et aussi comme ça. »

Quand la nudité est-elle passée du public au privé ? Quand est-elle devenue obscène ? Quand est-ce qu’on a dû le cacher, dans le noir ? On n’en parle pas. 

 

Je me demande pourquoi j’ai grandi avec un sentiment de honte autour de la masturbation, par exemple. À la fois, je trouvais ça génial et à la fois je me sentais honteuse. Comment j’ai pu recevoir ce sentiment sans même qu’on m’ait fait un quelconque reproche, comme si c’était ancré inconsciemment?

Pour revenir sur le spectacle : quels étaient les enjeux de la mise en scène ?

Faire entendre les choses. Créer un rapport public-scène intime et rassurant. On a travaillé à ce que ce soit simple, pas dans la provocation, pas dans le démonstratif. Je travaille sur une relation très directe aux personnes auxquelles je parlais pour que les choses soient entendables par un grand public quand même. On a tout fait pour ne pas imposer l'imaginaire au spectateur, mais que chacun se fasse une image. Quand je parle de la forêt, des arbres et des batailles, que chacune puisse trouver sa propre image d’arbre, de forêt, avec ses sens, son vécu, son propre imaginaire. Ça, c'était hyper important. C'est leur imaginaire qui a travaillé. Moi, je n'ai pas fait grand-chose au final, juste raconter. 

 

Tu as développé tout un vocabulaire pour parler du sexe : « joyaux », « panthère » … 

Oui, en effet. La question c’était : « Comment se réapproprier un langage érotique ? Mon langage à moi ». On dit toujours la chatte. Il y a plein d'autres noms qui sont utilisés ici. Je me suis bien amusée dans le choix des mots. On m’a dit aussi : « Parfois, on croit que c’est un mec qui parle ». Je crois que c’est parce qu’il y a une liberté de parole… Aussi, on m’a fait cette remarque parce que je dis « mon gland » et que cela fait penser au sexe masculin. Mais le sexe féminin a aussi un gland. Et franchement, je l’aime ce gland et j’ai de la joie à le nommer, à le dire, à le remercier ! 

 

À ton avis, que peut développer ce vocabulaire-là ?

Ça enrichit, ouvre des possibilités, ça m'a rendue sensible à d'autres choses. 

 

Oui, de cette manière-là, ça devient possible d’associer le sexe à de nouvelles images, peut-être plus belles, fortes, ou au contraire douces, inspirantes… Et donc de valoriser le sexe qui ne l’est pas beaucoup encore.

Et puis les choses, elles existent quand elles ont un nom. Quand on les nomme.

 

Comment les gens réagissent à ton spectacle ?

Il y a de tout. C’est arrivé qu’un vieux monsieur sorte en disant : « C’est vraiment une salope celle-là ». Une dame âgée a dit : « Moi, je me suis frottée à ma canne tout le long ». Des jeunes en parlent encore une semaine après à leurs parents en exprimant le besoin d’en parler plus, et d’autres n’ont rien contre mais n’ont pas envie d’en parler. Et c’est important, c’est un droit de pas avoir le temps, l’énergie, l’envie de parler de sexe, il faut laisser le choix.  Mais j’ai eu beaucoup de femmes entre vingt et trente ans qui sont venues me parler d’elles à la sortie du spectacle, de ce qui résonnait chez elles et de leur besoin envie de « dire » de partager, d’échanger sur nos vécus et nos sexualités.

 

C’est vrai, si tu as envie de lire, réfléchir sur le sexe, l’orgasme etc., c’est bien, mais tu as aussi le droit de pas du tout avoir envie. C’est vrai qu’il peut y avoir une pression sur certains sujets, peut être encore plus en ce moment où on te dit : « Tiens, voici les outils pour t’épanouir, vas-y, fonce ! ». Mais peut-être que ce n’est pas le sujet du tout. 

Une question à laquelle tu aimerais répondre ? 

Je pense qu'en effet, c'est vraiment important de s'offrir des moments et des endroits safe pour pouvoir échanger à tout âge. 

 

 

Je remercie Camille pour son temps. Je me dis qu’en effet ce serait chouette d’avoir plus régulièrement le temps d’échanger sur ces sujets-là, sans jugements, sans honte. J’espère que j’aurai le temps et les prétextes pour le faire avec des gens de confiance. Peut-être même que cet article sera un de ces prétextes.

 

Pour en savoir plus sur la pièce : https://chargedurhinoceros.be/spectacle/sexplay-nos-pantheres-nos-joyaux/

Pour commander le texte (3 euros) : https://www.maelstromreevolution.org/catalogue/item/724-bookleg-163-sexplay

 

Photo 1 SEXPLAY Alice Piemme scaled

©Alice Piemme

 

 

 

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