Divagation autour du corps habillé
par Marion Salort
Ce matin, je me suis surprise à procéder à une tentative – plutôt vaine – de “m’habiller”.
Explication.
Avez-vous déjà remarqué qu’on avait deux façons principales de s’habiller dans la vie quotidienne (hors pyjama) ? L’habillement d’intérieur et l’habillement que je baptiserais de “social”. Cet habillement-là, quand on travaille chez soi, peut être difficile à porter : souvent moins confortable, additionné d’artifices que l’on juge inutiles (de l’anticerne, du maquillage, des bijoux, du parfum), plus “élaboré”, car il doit correspondre à son environnement et au thème du moment social exigé (robe à froufrous, jean casual, smocking ou tailleur, petite robe noire chic mais simple, talons ou baskets ?). Bref, cet habillement-là n’a pas du tout bonne presse quand on reste chez soi toute la journée et qu’on n’a pas de visiteur ou de visiteuse en vue.
Le piège s’installe quand on devient un peu aguerri en matière de “vêtements d’intérieur” : on se surprend alors à compléter son dressing de joggings, leggings, sweatshirts, pulls super molletonnés, gilets qui recouvrent le corps jusqu’aux genoux pour changer un peu du plaid en hiver. Tout cela au détriment des jolies chemises mais qui compriment le buste, jupes un peu trop serrées, chaussures qui font mal aux pieds… Mais attention, toutes ces choses confortables sont une quête, elles doivent donner un peu de “chic” dans sa vie d’intérieur, donc elles sont un peu plus diversifiées que la plupart des vêtements qui courent les rues, parfois plus colorées, plus douces, plus… (complétez selon vos goûts).
Ça ne répond pas à ma vraie question : pourquoi, quand on sort, ne peut-on pas arborer nos chers habits d’intérieur ? Pourquoi se sent-on “moins désirables” avec eux ? Est-ce parce qu’on oppose confort et séduction ? Parce qu’ils ressemblent un peu à un pyjama ? Parce qu’ils rappellent une certaine régression, à l’instar du fameux pilou-pilou, matière maîtresse de la grenouillère ? Qu’ils donnent l’impression “qu’on se laisse aller” ? Pourquoi seraient-ils moins fréquentables ?
Freelance depuis six ans, je suis donc assez habituée à cette garde-robe, surtout depuis que je vis à la campagne, où il m’est de plus en plus difficile de porter l’uniforme qui me rend socialement présentable lorsque je me joins à un groupe de personnes. Tout simplement car je me joins de moins en moins à un groupe de personnes.
Il n’est pas évident pour tout le monde de vivre en vêtement d’intérieur, car l’habit nous conditionne socialement, il nous rend adapté au monde extérieur. Or, si on n’a pas choisi de travailler chez soi, et donc d’assumer une part de soi qui “ne s’habille pas”, je me dis que ça peut être vécu comme une souffrance. Et là, je pense à toutes ces personnes qui, depuis le Covid, sont devenues télétravailleuses du jour au lendemain, sans l’avoir décidé. Comment vivent-elles cette nouvelle condition ? Quid de leur vie sociale aujourd’hui ? Quid de leur habit de lumière versus vêtement d’intérieur ? Comment vivent-elles ce changement soudain dans leur vie, qui déteint forcément sur leur carrière vestimentaire ? Se sentent-elles plus ou moins accomplies ? Leur solitude déteint-elle sur leur vie sociale ?
Je dis ça parce que, même si travailler à domicile est un choix, quand je porte un peu trop longtemps ma tenue d’intérieur, j’ai l’impression que ma vie devient un peu plus monotone. J’ai le sentiment de “ne plus faire d’effort” et je me sens peu à peu décliner. J’en arrive même à un point où je ne quitte plus ma tenue, même pour aller chercher mon fils à l’école ou bien faire mes courses. Cet habit est comme une seconde peau, je ne fais plus la différence entre le vêtement social et celui d’intérieur, et j’en oublie le jugement des autres. Ce que je remarque, surtout, c’est que ce jugement n’existe pas : quand on va faire les courses, peu importe d’être fagotté en legging léopard ou en robe à paillettes. Ça ne compte pas !
Alors pourquoi avons-nous tant besoin d’inconfort vestimentaire pour sortir ? Qui nous envoie cette injonction ? Finalement, n’est-ce pas une croyance fomentée par notre pire ennemi : notre cerveau ?
En écrivant cette divagation, je m’aperçois que le plus important dans tout ça, c’est d’être bien dans ses pompes, à l’aise. En tout cas, c’est aujourd’hui ainsi que mon corps a besoin d’être : à l’aise. Sans parures ni talons. Et je ne me sens pas moins désirable socialement. Mon corps m’appartient, et le reste a peu d’importance…
Nota bene : Quelques jours après l’écriture de cette divagation et les discussions avec mes camarades qui ont suivi, je me suis à nouveau surprise à tenter de “m’habiller” sans raison particulière, mais cette fois, j’ai compris une chose : quand je m’habille, c’est pour me séduire, moi. Et j’aime assez cette idée.
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Milena Sevette revendique un livre inclusif, afin que toutes les femmes conçoivent et réalisent leur propre lingerie, en fonction de leur taille (du 34 au 52), leurs envies , leur besoin, et leur niveau en couture.
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