Masculin–féminin,quèsaco?
par Marie Josèphe Moncorgé
Homme, femme, intersexe, transgenre, masculin, féminin : si le sexe est une donnée biologique, le genre est une construction culturelle !
Depuis la nuit des temps, la réponse semble évidente pour la majorité des humains : les hommes ont un pénis et de la barbe, les femmes ont des seins et un vagin. Pénis et vagin sont faits pour s’emboîter naturellement et l’acte sexuel permet d’avoir des enfants. L’homme a souvent une puissance musculaire, une taille et une masse supérieures à celle des femmes. Force et pénis lui donnent l’avantage sur la femme et semblent le rendre plus intelligent ! Ce qui explique la domination naturelle de l’homme sur la femme ! Et pour éviter toute ambiguïté, certaines cultures confirment même hommes et femmes dans leur sexe par la circoncision et l’excision.
En fait, depuis longtemps, nous savons que ce n’est pas aussi simple. À Chypre, dans l’Antiquité, on avait déjà imaginé une déesse Aphrodite représentée avec des seins et un sexe masculin : un mélange d’Hermès et d’Aphrodite devenu Hermaphrodite, être mythique bisexué (dans la nature, l’hermaphrodite, totalement homme et femme en même temps, n’existe pas).
De nombreuses sociétés traditionnelles acceptent des hommes déguisés en femmes, qui se comportent comme des femmes. L’excision est une pratique désormais réprouvée et interdite par la loi. Nous savons également qu’une femme sportive peut être plus forte qu’un homme gringalet et les très nombreuses femmes surdiplômées nous prouvent que l’intelligence n’est pas l’apanage de l’homme.
Dans les années 1970, aux États Unis, des universitaires et des féministes commencent à s’interroger sur la différence entre sexe (homme/femme) et genre (masculin/féminin), le sexe étant une question biologique et le genre une question culturelle. Les études pluridisciplinaires de genre (gender studies) et les livres traitant ce sujet se multiplient depuis cette période. Depuis Simone de Beauvoir (Deuxième Sexe, 1949) ou Pierre Bourdieu (La Domination masculine, 1998), on sait que le masculin et le féminin sont des constructions culturelles. Certains ont accusé les études de genre de pseudoscience, d’autres, hostiles au mariage pour tous et à la PMA, s’opposent à la « théorie du genre ».
Cet article n’a pas la prétention de faire le point sur ce sujet complexe, devenu polémique. Son auteure est de sexe féminin mais non maquillée, aux cheveux courts, d’allure sportive, souvent habillée de vêtements classés masculins. Depuis sa jeunesse, elle a l’habitude d’être appelée « Monsieur » par les personnes qu’elle croise, car son allure n’est pas conforme aux normes habituelles de la « féminité ».
Après une petite réflexion sur les différences sexuelles en biologie, l’article va donc seulement se pencher sur l’apparence vestimentaire qui fait l’homme ou la femme.
Les caractères mâle et femelle
Le mâle humain est porteur de chromosomes sexuels X et Y, tandis que la femelle humaine est porteuse de chromosomes sexuels XX. Comme chez l’ensemble des mammifères, c’est la femme qui porte les fœtus et allaite les bébés. Le dimorphisme sexuel (les différences morphologiques entre mâle et femelle) est moins marqué chez les humains que chez d’autres mammifères ou hominidés. C’est pourquoi il est parfois difficile de repérer, à sa seule apparence, si une personne est homme ou femme. Certaines femmes sont atteintes d’hyperandrogénie (taux élevé d’hormones mâles), ce qui leur donne un avantage dans les compétitions sportives et dérange le monde sportif (soumises à des tests de féminité, on les oblige parfois à réduire ce taux, ce qu’elles prennent pour de la discrimination). Les humains, en vieillissant, ont tendance à atténuer ce dimorphisme : certains hommes grossissent et prennent de la poitrine, certaines femmes se masculinisent. Quelques musiciens ont fait du look androgyne leur marque de fabrique.
La diversité étant une des caractéristiques de la nature, nous savons désormais que tous les cas de figure sont possibles. Le sexe n’est pas seulement binaire (on naît homme ou femme). Les êtres humains peuvent naître intersexués, c’est-à-dire présentant des variations sexuelles plus ou moins importantes par rapport à la norme habituellement admise : variations chromosomiques, variations hormonales, variation des organes sexuels internes ou externes. Selon certaines sources, un enfant sur 200 ou environ 1,7 % des êtres humains seraient intersexués, d’une manière plus ou moins visible. Cette diversité, contrairement à ce qui a été souvent affirmé, n’est pas une anomalie de la nature, mais une simple variation d’une nature complexe et diverse.
Pendant longtemps, l’intersexuation a été considérée comme un phénomène de foire (femmes à barbe, homme avec des seins féminins et un pénis…). Puis, au 20e siècle, le corps médical a voulu « corriger les erreurs de la nature » et a décidé d’assigner un sexe fixe aux personnes intersexes grâce à des traitements chirurgicaux et hormonaux. Cette correction a parfois été effectuée, de manière très arbitraire, dès la naissance, sans le consentement des parents. Lorsque l’intersexuation a été découverte plus tardivement, l’enfant n’a pas toujours eu droit à la parole pour le choix du sexe. Le jargon médical parle encore d’ADS ou Anomalies du développement sexuel.
Les choses sont en train de changer. On prend un peu mieux en compte l’avis des parents et de l’enfant intersexe. L’enfant, devenu grand, peut ensuite choisir son sexe. (Voir par exemple le document réalisé par IGLYO – Organisation Internationale de Jeunes et Étudiant·e·s LGBTQI –, Soutenir son enfant intersexe.)
Certains réclament la reconnaissance légale d’un troisième sexe neutre. En France, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme réclame depuis 2018 que les actes médicaux sur mineurs intersexes, réalisés sans leur consentement, soient considérés comme « traitements inhumains et dégradants » et « mutilation sexuelle ».
Au-delà de cette diversité sexuelle, d’origine génétique, certaines personnes ne se reconnaissent pas dans le sexe défini par la nature ou par leur inscription à l’état civil. Elles ont l’intime conviction d’être d’un autre sexe.
Se travestir
Les sociétés humaines définissent la norme de la féminité et de la masculinité. Ne pas s’y conformer peut aboutir à des critiques sévères, voire à de l’ostracisme.
L’une des premières différences entre hommes et femmes est vestimentaire. On a longtemps dit que les hommes devraient être en pantalon et les femmes en robe (si possible pas trop courte). Les hommes ont les cheveux courts et les femmes les cheveux longs. Les femmes se maquillent pour paraître plus féminines et les hommes non. Après la Première Guerre mondiale, des femmes ont coupé leurs cheveux, ont raccourci leurs robes, ont porté des chandails et des blazers et parfois des pantalons : cette mode s’est appelée « garçonne ».
Les diktats sont différents selon les lieux et les époques ! Par exemple, le port du pantalon a été interdit aux femmes dans nos sociétés occidentales jusqu’au 20e siècle. Les femmes méditerranéennes portaient traditionnellement un voile sur la tête, à l’image de la Vierge Marie, et il était recommandé aux femmes françaises de ne pas sortir « en cheveu » (la tête nue) jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, sous peine d’être accusées d’être des femmes de mauvaise vie. L’islam intégriste impose encore aujourd’hui le voile islamique aux femmes musulmanes. Quant aux hommes, ils peuvent difficilement sortir habillés en femme sans être sujets à moqueries, malgré les tentatives de grands couturiers de proposer la jupe aux hommes, à la manière du kilt écossais.
En fait, la robe, vêtement d’une pièce qui couvre le corps des épaules aux jambes, actuellement typiquement féminine, est un vêtement porté par les hommes dans de nombreuses parties du monde depuis l’Antiquité jusqu’au début du 20e siècle : toge romaine, soutane des ecclésiastiques chrétiens, robe de bure des moines, robe des magistrats, djellaba ou qamis arabe, boubou africain, robe chinoise (Qipao des Mandchous, hanfu des Hans), etc.
Jusqu’au 19e siècle en Europe, petits garçons comme petites filles portaient la robe jusqu’à l’âge de raison (6 ou 7 ans). Puis la mode et la culture ont créé des vêtements très genrés pour enfants : rose pour les filles, bleu pour les garçons, robe de princesse pour les filles, pantalon viril pour les garçons ! Les vêtements unisexes pour enfants sont encore très minoritaires, d’autant plus que les enfants réclament souvent des vêtements conformes aux stéréotypes vestimentaires pour ne pas se différencier de leurs amis.
En France, au 17e siècle, les vêtements masculins de l’aristocratie se sont fortement féminisés, très colorés, remplis de dentelles, de rubans, de franges. Les hommes portaient des perruques poudrées, se maquillaient. À la même époque, les pays protestants du nord de l’Europe habillaient les hommes de vêtements noirs très stricts.
Les peintures de guerre masculines ou les tatouages peuvent être compris comme une forme de maquillage. Au Niger, les Peuls Bororos (le terme serait péjoratif, ils préfèrent être désignés sous le terme de Wodaabes) sont réputés pour leurs concours de beauté masculine. Lors des fêtes rituelles du Gerewol, ils dansent, parés de colliers de perles et de cauris, et le visage entièrement maquillé. Le jury est composé de belles jeunes femmes et les danses correspondent à des parades amoureuses.
Jusqu’au 16e siècle, au théâtre, les rôles de femmes étaient tenus par des hommes qui se travestissaient. Et au 19e siècle, les rôles d’adolescents et d’amoureux étaient souvent tenus par des femmes. Personne ne s’étonnait alors de voir des hommes jouant le rôle de Juliette, dans Roméo et Juliette de Shakespeare, à l’époque de sa création, ni de voir Sarah Bernhardt jouant le rôle d’Hamlet au théâtre en 1899. On ne se préoccupait pas, alors, de naturel ni de vraisemblance.
Notre société a donc une longue expérience du travestissement, au théâtre puis au cabaret, sans que cela n’offusque le bourgeois. Encore actuellement, les spectacles de drag-queen (hommes habillés de manière parodique et fortement stéréotypée en femme) sont appréciés par des publics hétérosexuels et les drag-queens ne sont pas obligatoirement transsexuelles.
Mais quand une personne de sexe masculin décide de s’habiller en femme parce qu’elle se sent plus femme qu’homme, elle est désignée par un terme devenu péjoratif au début du 20e siècle : travesti, puis travelo dans le langage populaire. Inverti (sujet qui inverse son sexe) et homosexuel deviennent synonymes à la même époque.
Au 17e siècle, à la cour de Louis XIV, l’abbé de Choisy ne s’est pas contenté de porter la soutane ecclésiastique, il s’est souvent travesti en femme. Il a côtoyé le très efféminé Philippe d’Orléans, frère du roi (ils ont tous deux été éduqués habillés en fille pendant leur jeunesse). Au 18e siècle, le chevalier d’Éon s’est déguisé en femme pendant une période de sa vie (son autopsie aurait révélé qu’il était vraiment un homme, contrairement à ce qu’il a affirmé un moment).
Des sociétés traditionnelles ont longtemps accepté les travestis, hommes déguisés en femme et vivant comme des femmes :
En Europe, à Naples, entre le 16e et le 19e siècle, existent les femminielli (petites femmes en italien). En Albanie, au Kosovo et au Monténégro, les vajzë betuar (vierges jurées), des femmes habillées en hommes et vivant comme des hommes, seraient une survivance de coutumes anciennes. Il semble que le déficit familial d’hommes dans ces sociétés violentes (les hommes sont souvent victimes de crimes de sang) et patrilinéaires ait encouragé la transformation de quelques femmes en hommes pour permettre la poursuite du lignage et la conservation de l’héritage dans le clan familial. Le prix à payer était alors le refus du mariage et l’obligation de virginité (cette contrainte semble être moins forte au 20e siècle). Ces vierges jurées sont souvent présentées comme une survivance du mythe antique des amazones.
Hors d’Europe, à Oman et dans la péninsule arabique, les khanits. La langue arabe classique utilise également le mot mukhannath (efféminé), qui figure dans plusieurs hadiths (recueil de paroles du prophète Mahomet qui complète le Coran). Des hommes efféminés auraient fait partie de l’entourage du prophète. Cela explique une certaine tolérance pour les transgenres en Iran, où il est possible de bénéficier d’une chirurgie de réattribution sexuelle.
En Inde et au Pakistan, le hijira désigne aussi bien des eunuques que des personnes intersexes, homosexuels et transgenres. Il semble que les hijira soient majoritairement des hommes habillés en femme et vivant comme des femmes. Ils seraient estimés entre 500 000 et un million. Dans la tradition hindoue, le hijira est souvent considéré de manière ambivalente : à la fois censé favoriser la fertilité des couples de jeunes mariés et capable de jeter le mauvais œil. À partir de la colonisation britannique, ils sont assimilés à des homosexuels et victimes d’homophobie. Concrètement, les hijira sont classés dans une basse caste et souvent considérés comme inférieurs aux intouchables, ils vivent souvent de mendicité ou de prostitution dans des communautés en marge de la société.
En Polynésie, le mahu est un homme-femme, intégré socialement. Il semble avoir eu un rôle spirituel et social dans la culture traditionnelle. Certains ont été conseillers des rois. Les premiers explorateurs blancs ont repéré ces troisièmes genres et le peintre Paul Gauguin en a peint. Le mahu est efféminé mais ne s’habille pas obligatoirement en femme. En revanche, le rae rae (le mot est apparu en polynésien pendant le Seconde Guerre mondiale) est considéré de manière plus négative : ce serait souvent des transgenres opérés, qui sont habillés selon les stéréotypes vestimentaires féminins et qui semblent se prostituer. Aux îles Tonga, les mahu s’appellent fakaleiti, à Samoa, fa’afafine.
Plusieurs autres sociétés traditionnelles reconnaissent ce troisième genre : les mhuxés du Mexique, les bardaches ou les ikoneta, dans les cultures indiennes d’Amérique du Nord, en Indonésie, les khatoey, etc.
À partir de ces exemples, on pourrait croire que, partout dans le monde, le travestissement touche davantage les hommes que les femmes. Est-ce parce, en dehors des vierges jurées albanaises, nous avons peu de documents sur le sujet ? Mon expérience personnelle m’a montré qu’une femme habillée en homme, si elle n’a pas une trop grosse poitrine ou une voix trop aiguë, peut facilement être prise pour un homme, sans avoir besoin de se déguiser avec barbe ou moustache. Combien de femmes, dans le passé, ont réussi à sortir de leur condition féminine, simplement en s’habillant et vivant comme un homme ? Nous l’ignorons, mais elles sont probablement plus nombreuses que ce que nous croyons. L’existence de mythes comme celui de la papesse Jeanne, les histoires réelles des femmes pirates ou de Jeanne Barret s’habillant en valet pour suivre son amant, le botaniste Philibert Commerson lors de l’expédition de Bougainville autour du monde, en 1767, sont là pour nous le laisser supposer.
Toutes les sociétés traditionnelles ne sont pas tolérantes et certaines considèrent que la religion, la coutume ou la tradition les obligent à confirmer chaque personne dans son sexe d’origine.
Être confirmé dans son sexe ?
La circoncision est pratiquée depuis l’Antiquité. D’après l’OMS, 30 % des hommes seraient circoncis (judaïsme, islam et monde anglo-saxon). Elle se développerait actuellement pour des raisons prophylactiques.
L’excision est ancienne (certaines momies égyptiennes auraient été excisées). Elle serait pratiquée dans 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient, ainsi que dans certaines communautés d’Asie (Malaisie, Indonésie, Inde, Pakistan) ou d’Amérique latine (Colombie, Pérou). Une femme africaine sur trois aurait subi des mutilations sexuelles, selon l’UNICEF.
Des raisons religieuses sont souvent évoquées pour justifier ces mutilations génitales, mais aucun texte religieux (y compris en islam) n’existe à ce sujet. On a comparé circoncision et excision, qui seraient des rites de passage ou des marqueurs de genre : on confirme le garçon ou la fille dans son sexe en lui enlevant la peau du prépuce (circoncision) ou une partie des organes génitaux (excision). Le clitoris étant assimilé à la verge, il faudrait le supprimer pour que la femme ne ressemble plus à l’homme et soit pleinement femme. Ce qu’on appelle de manière générique “excision” regroupe en fait plusieurs pratiques : la clitoridectomie (ablation partielle ou totale du clitoris), l’excision (ablation du clitoris et des petites lèvres) et l’infibulation (rétrécissement de l’orifice vaginal et accolement des lèvres avec ou sans ablation du clitoris). Ces mutilations génitales sont interdites par la loi dans la majorité des pays du monde, sauf en Indonésie, Irak, Liberia, Mali, Ouganda, Sierra Leone et Somalie. Les conséquences sanitaires et psychologiques sont importantes pour les femmes excisées : risques d’infection, réduction ou absence de plaisir sexuel, parfois impossibilité de l’acte sexuel : l’excision est un moyen radical de contrôler la sexualité féminine.
L’ablation du clitoris a parfois été employée en Occident pour calmer les femmes réputées hystériques qui s’adonnaient de manière pathologique à la masturbation !
En Afrique de l’Ouest, l’excision est généralement pratiquée par des sages-femmes traditionnelles ou matrones qui perpétuent la tradition. Elles-mêmes excisées, elles sont à la fois victimes et bourreaux en toute bonne foi !
Les familles traditionnelles estiment que l’excision est indispensable pour parfaire l’éducation des filles afin qu’elles puissent ensuite se marier convenablement. Un gros travail de sensibilisation des matrones est en cours, afin de désacraliser ces pratiques de mutilation et leur faire prendre conscience des conséquences sur la santé des filles excisées.
Le genre est une construction sociale
Après la Seconde Guerre mondiale et au nom de la liberté humaine, nos sociétés modernes libérales ont peu à peu refusé de classer les humains en races inférieures ou supérieures. Antiracisme et féminisme ont pu se développer à partir du moment où on a considéré tous les humains égaux, quels que soient leur race, leur sexe ou leur préférence sexuelle. Les années 1960 ont été l’occasion, dans nos sociétés occidentales, d’une vraie révolution sexuelle. L’homosexualité a pu s’afficher plus librement qu’avant, une lutte contre l’homophobie et les discriminations sexuelles se sont développées, des communautés homosexuelles se sont créées, en même temps qu’une sous-culture et même une mode. Le sida est arrivé dans les années 1980, en pleine libération sexuelle et a fortement touché la communauté gay, accusée de faire le lit de l’épidémie par ses comportements parfois compulsifs et à risque. Certains homosexuels se sont battus pour faire accepter l’idée d’égalité entre les sexualités tandis que d’autres ont voulu revendiquer cette différence et construire une vraie identité homosexuelle et lutter contre la société hétéronormative.
Se sont ainsi développées, au niveau mondial, les Gay Pride ou Marches des fiertés homosexuelles, avec leurs musiques, leurs chars et leurs cortèges de drag-queens et de travestis caricaturant les codes vestimentaires masculins et féminins.
Dans les années 2000, venant des Etats Unis, certains ont défini de nouvelles catégories en fonction des orientations sexuelles et des identités de genre. Nous ne sommes plus classés hommes ou femmes mais LGBTQIA + ! C’est-à-dire Lesbienne (femme qui a des relations sexuelles avec des femmes), Gay (homme qui a des relations sexuelles avec des hommes), Bisexuel·le (personne qui a des relations sexuelles avec des hommes ou des femmes), Transsexuel·le (personne qui ne se sent pas être du genre de sa naissance), Queer (personne ni hétérosexuelle ni d’un genre défini), Intersexe (personne née ni homme ni femme), Asexuel·le (personne sans relations sexuelles), + (toutes les autres catégories).
Cette segmentation en catégories multiples est revendiquée par certaines personnes comme un moyen de lutter contre les hétérosexuels et les cisgenres (dont l’identité de genre correspond au genre assigné à la naissance) qui ont dominé jusqu’à présent le monde, imposant aux autres une normalité sexuelle.
En fait, si la plupart de ces catégories concernent la sexualité, une seule parle du genre, la transsexualité.
Une personne transgenre (le mot transsexuel est souvent refusé par les transgenres) n’est pas un simple travesti (homme ou femme s’habillant avec des vêtements de l’autre sexe), mais une personne se percevant, au plus intime d’elle-même, comme étant «confinée dans un corps qui n’est pas le sien (1)», ce qui engendre souvent une véritable souffrance psychique qu’on appelle «dysphorie de genre».
Longtemps classée parmi les troubles mentaux, la transsexualité pourrait avoir des origines génétiques, plus ou moins en rapport avec la sexualisation du cerveau, selon certains. Mais d’autres s’opposent à l’idée que le cerveau des hommes et des femmes soit différent en fonction du sexe.
Beaucoup de personnes qui se définissent comme transgenres profitent maintenant de traitements hormonaux et de chirurgie de réassignation sexuelle, pour changer de sexe, ce qui était impossible à la belle époque des travestis. Les transgenres souhaitent que ce changement de genre soit acté par l’état civil, ce qui n’est pas encore possible dans tous les pays.
Les personnes transgenres devenues femmes semblent parfois s’habiller de tenues sexys et être très maquillées, pour mieux correspondre aux clichés de la féminité. Plusieurs documentaires vidéo très émouvants présentent les obstacles que rencontrent des jeunes cherchant désespérément à faire leur transition de garçon en fille. Les deux principaux obstacles rencontrés dans la société et surtout à l’école sont le changement de prénom et leur désir de porter des vêtements féminins ou de s’intéresser aux activités jugées spécifiquement féminines. Dans ces documentaires, les interviews des psychiatres ou psychologues qui les suivent ne semblent pas évoquer l’image stéréotypée que les transgenres ont du masculin et du féminin.
Pourtant, comme le dit Violaine Dutrop dans Pouvoir insidieux du genre, citant Introduction aux études de genre : « Le genre est une construction sociale. […] les études de genre affirment qu’il n’existe pas d’essence de la “féminité” ni de la “masculinité”, “mais un apprentissage tout au long de la vie des comportements socialement attendus d’une femme ou d’un homme”. »
Les transgenres souffrent réellement de ne pas être (socialement et dans leur chair) du genre qu’ils souhaitent. Nombre d'entre eux, pour être validés dans leur choix, se conforment, parfois de manière excessive, aux stéréotypes de genre. D’autre part, nous savons maintenant que ce genre rêvé ne serait en fait qu’une construction sociale. N’est-ce pas une situation paradoxale, rarement évoquée ?
Conclusion utopique ?
Ne pourrait-on pas imaginer une société où les humains pourraient vivre en toute liberté, sans déterminisme social ? Ces humains pourraient développer, comme ils le souhaitent, leur caractère masculin ou féminin, s’habillant, se comportant, selon les moments, de manière féminine ou masculine sans contraintes.
Délivrées de ces contraintes sociales de comportements stéréotypés, les personnes transgenres n’auraient plus la nécessité de s’imposer des traitements hormonaux lourds, aux conséquences sanitaires parfois sévères. Les trop nombreux transgenres qui n’ont, actuellement, pas d’autre solution sociale, après leur changement de sexe, que de se livrer à la prostitution, pourraient enfin vivre de la manière qui leur convient. Et les trop nombreux hommes élevés dans le culte de la virilité et de la supériorité de l’homme sur la femme deviendraient minoritaires au point que le patriarcat ne serait plus qu’un concept obsolète.
Finalement, cette question du féminin et du masculin n’est-elle pas au centre de la question du patriarcat ?
De la même façon que nos sociétés libérales et capitalistes doivent se réformer profondément pour faire face aux défis climatiques qui nous attendent, hommes et femmes ne doivent-ils pas aussi repenser l’image qu’ils ont d’eux, afin de casser une bonne fois pour toutes ces stéréotypes de genre ?
Pour en savoir plus :
- Les gender studies pour les nuls-les.
- Pourquoi le rose c’est pour les filles.
- Être une fille – interview de Camille Laurens.
- La Folle Histoire des travestis, documentaire de Jérôme Bermyn et Guillaume Auda, France 5, 2019.
- Rachid Alexander, danseur de danse orientale féminine, originaire de Curaçao (Petites Antilles).
- Laurence Hérault, Les « vierges jurées » : une masculinité singulière et ses observateurs, Sextant, 2009, pp. 273-284
- Brut, Après l’excision, la réparation.
- 7 questions sur la transidentité, posées à Jade.
- Clémence Perronnet, Qu’est-ce qu’être une Femme - un Homme : Nature ou Culture ?
(1) Lydia Arsenault, Construction identitaire, Développement de l'enfant, Genre, Identité, Sociologie et transgenres, 7/2/2016.
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