LE BEC MAGAZINE

Péril ordinaire

05.09.2022

Nan goldin the other side                                                                                                                                 © Nan Goldin - The other side (1992)

 

                                                         Par Sabrina Equinoctis 

 

Péril ordinaire

temps oublié/non-vécu

péril ordinaire

abstrait confortable, une chaise, une table et le vide devant soi

absence au monde, labyrinthe mental

noyé dans le maelström du quotidien

j’oublie de voir

péril ordinaire

précarité de l’instant

fugacité du beau 

satiété, indigestion de l’aise

je ronfle, repu, trop plein/sans rêve

 

péril ordinaire

éteindre la flamme

lieu d’aisance de l’âme

réplétion du luxe

sécurité périlleuse, nausée réitérée

éternel retour

péril ordinaire de la mort de l’enfance

angoisse du faire, du dire, 

angoisse organisationnelle

mais danse, danse, donc sur le cosmos

ouvre l’envergure de ton regard pour tournoyer 

toton de feu, pluie de mouvements

déploie les méandres de tes contradictions

pour nouer et libérer le souffle de ta forge

circonvole, convole, vole

fais la roue, saute au-dessus du feu, dé-limite

délimite les contours de ta démence

dément, ment, pleure de joie et crie en silence

les pléiades de fredaines, les kyrielles de lubies

qui sont ce que tu es,

ce que tu tais

ce que tu tues

Péril ordinaire/complétude, 

servitude à la norme

énorme écueil de la conformité

paresse du même, charte polie, 

chatte dépoilue

ronronnante, lisse et accueillante

On veut des dents et des angles

des épines et des cailloux

danser sur le fil, lécher la lame

partir nu avec pour seul bagage sa frénésie de forme

sa hargne créatrice,

on veut du désordre et du neuf

de l’erreur et des chutes

on ne veut pas se taire

péril ordinaire

silence chuchotant/ambiance feutrée, politesse et convention

principes et mesures, ordre et progrès

je serai irrévérencieuse, licencieuse

délicieusement provocante

sale jusqu’au délice

échevelée jusqu’au supplice

acariâtre et miellée d’amertume

je cracherai sur les autels pour ériger mon propre culte

je montrerai mon cul dans les tribunaux patriciens

je pisserai debout sur les coutumes et les patries paternalistes

j’inventerai une langue, farcie de chuchotements et de cris

je peindrai de mes menstrues une bannière sacrilège

et légère du poids de mes ans

et auréolée de la foi de ma mécréance

je chatouillerai les bras armés et je moucherai les orateurs

péril ordinaire

refus du commun.

****************************************

 

espace d’espèces

ton souffle se suspend

je n’ai pas inventé le coeur artificiel

avons-nous inventé la résilience ?

ou sommes-nous de piètres pantins mus par un instinct ataraxique

apparatchiks de la norme

excité, tout fou des outils, du conforme

avons-nous oublié de marcher dans les plaines.

Roque le normal/embrasse les Nornes

ta voie rauque l’expire suivant

ta poitrine tant aimée avale l’instant

dans le silence de la nuit 

un rêve inquiétant

ton vif éteint étendu détenu

tous meurent même les géantes

comment goûter les jours sans les pleurs de la pluie ?

comment sauter encore sans les rêves enfuis ?

sécurité/carcan/vitalité enfuie

Comment jouer encore si on ne peut perdre ?

Avions-nous oublié la mort ?

sous la pluie des décors et dans nos soupirs sonores ?

avions-nous oublié l’échec ?

du sommet des airs jusqu’aux océans secs

avons-nous cru à notre toute puissance ?

je n’ai pas inventé le coeur artificiel

avons-nous inventé la résilience ?

ou sommes-nous de piètres pantins mus par un instinct ataraxique

apparatchik de la norme

excité, tout fou des outils, du conforme

avons-nous oublié de marcher dans les plaines

 

**************************************

 

Je serai tranchante comme une lame

je ferai de ma carcasse un squelette d’acier

«qui plie, ne rompt pas»

le feu de la Géhenne fait vriller la beauté

tout se répare, se pare

parable, probable

le coeur sur la table, il court le curé à la table des fauves

à la curée, il chante le fauve

il glapit les chants perdus des hivers perclus, forclos

il grogne le fauve, les mots d’amour des milans

les poèmes des cieux anisés

les fauves pleuvent des fenêtres esseulées

le ciel avide, gravide des mers plumées.

Ils hurlent les fauves sur la terre qui se meurt

ils grattent le sol pour débusquer le soleil

Je serai tranchante comme une faux, je trancherai le mensonge pour délivrer le message

Il est temps de cesse, il est temps de faire cession, cessation

le jour de la nuit se lève

Nos lames obscures n’auront cure de plaire ou de séduire

l’indulgence à l’égard de l’homme, il faut réduire

il ne suffit plus d’être de la norme

la fainéantise et la lâcheté ne seront plus des bornes

trancher pour soigner, séparer la chair malade

lisser les traces dans le sable, tuer les responsables



 

 

 

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