LE BEC MAGAZINE

Sélection du Bec

07.07.2021

arbre de l oubli Huston2Arbre de l’oubli, Nancy Huston, Actes Sud, 2021

par Marion Salort

 

– À qui parles-tu, Shayna ?

– À moi-même, Shayna. Je me parle à moi-même.

Arbre de l’oubli, c’est le corps qui grandit – celui de Lili Rose, de Shayna, de Joel –, le corps qui vieillit – celui d’Eileen, de David, de Jenka, de Pavel –, le corps qui s’assume – celui de Jeremy… Arbre de l’oubli, c’est aussi une histoire de religion qui fragmente les familles. Arbre de l’oubli, c’est l’amour. Qui vient, qui part, l’amour inconditionnel, l’amour aussi concurrentiel.

Nancy Huston nous éblouit dans ce roman. Je suis un peu biaisée, car elle fait partie de mes écrivain·e·s préféré·e·s, toutes périodes littéraires confondues. Et j’ai de la chance de l’aimer, car elle est encore là pour publier de nouveaux romans. En ouvrant Arbre de l’oubli, j’ai tout d’abord rencontré Shayna, jeune femme dont le narrateur ou la narratrice raconte à la deuxième personne qu’elle est bien arrivée à Ouagadougou en ce jour de 2016, avec un homme qui ne la laisse pas indifférente, Hervé. Puis on passe à Joel, un fils d’immigrés juifs, en 1945 dans le Bronx ; on saute ensuite jusqu’à Lili Rose, fille unique d’un couple de bourgeois, dans le New Hampshire, au milieu des années 1950. Un autre saut de puce encore jusqu’en 1994 et la rentrée des classes de Shayna. On pourrait croire à un roman choral, avec des personnages qui vont vivre leurs aventures chacun de leur côté et peut-être, au fil du récit, se rencontrer. Mais très vite, on découvre que Shayna est en fait le fruit de la rencontre entre Joel et Lili Rose. 

Ce qui est beau, c’est que tout au long du récit, on passe du passé (l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte de Joel et Lili Rose, leurs relations avec Shayna et leurs parents respectifs), découvrant au fil de l’eau leur personnalité, qui nous permet de comprendre certains choix de vie – et le présent à travers Shayna.

On se balade dans le temps et dans l’espace, avec des vieux coincés dans leur Histoire mais bien obligés d’accepter les avancées sociales ; on rencontre Jérémy, le frère-concurrent aimé et haï qui brise les tabous de la religion juive ; Joel et Lili Rose, dont on ne comprend pas avant un moment comment ces deux-là ont bien pu se rencontrer… et enfin Shayna dont le corps grandit, et avec lui sa féminité, ses colères et son envie farouche d’indépendance. 

Je ne vous en dis pas plus… Allez simplement découvrir cette merveille d’écriture et de talent, et laissez-vous bercer par les mots toujours plus sensibles et précis de cette grande dame qu’est Nancy Huston.

 

 

Connais toi toi meme Guide d auto exploration du sexe femininConnais-toi toi-même – Guide d’auto-exploration du sexe féminin, Clarence Edgard-Rosa, La Musardine, 2019 

par Marion Salort

[En ouvrant ce livre], vous avez fait taire, dans le désordre : des siècles de culture judéo-chrétienne qui, bien intériorisée, avait fait son beurre sur l’idée que votre sexe devait vous coller la honte ; une industrie cosmétique qui vous a fait croire depuis l’adolescence que vos “parties intimes” étaient sales et impures ; les mauvais papiers sexo des magazines féminins, qui vous ont rabâché année après année que votre plaisir ne dépendait pas de vous mais des coups de reins d’un homme […] 

En préambule, Clarence Edgard-Rosa annonce à ses lectrices : “Vous ne vous en doutez certainement pas, mais la toute première exploration, vous venez de la faire. […] choisir ce temps pour soi, c’était la première étape, et pas des moindres.” Ouvrir ce livre, c’est donc déjà la preuve d’une volonté de mieux se connaître. Ensuite, on sort le petit miroir, et c’est parti pour une exploration en règle du corps féminin : à la fois didactique et technique, subtilement drôle et complètement militant. Accrochez-vous. 

Didactique et technique, quand dès l’introduction du chapitre “Vulve”, elle dit : “Installez-vous dans une position permettant, à l’aide d’un miroir, de bien voir ce qui se trouve entre vos jambes. Assise les jambes écartées ou à genoux, miroir dos contre le sol…” Et puis elle vous envoie découvrir les lèvres intérieures et extérieures, le gland du clitoris, le méat urinaire, l’orifice vaginal… le tout parfaitement légendé sur une illustration stylisée à souhait. Bref, vous avez compris l’idée. 

Subtilement drôle, lorsqu’elle enrobe ses explications de métaphores surprenantes (ici, toujours au sujet de la vulve : “Vous trouverez peut-être que ceci ressemble à une juteuse orange sanguine, une laiteuse huître de Bouzigues, une céleste statuette de la Vierge Marie. Vous trouverez peut-être que ça ne ressemble à rien de comestible ou de divin. […]”), ou de récits historiques (“C’est Matteo Realdo […] qui, le premier, posa un petit drapeau sur l’organe du plaisir féminin. Nous sommes en 1959 quand ce professeur d’anatomie italien décrit la fonction du clitoris dans un texte enthousiaste et presque lyrique.”).

Complètement militante quand elle complète le tout de conseils pratiques indispensables (à propos du vagin, une information d’utilité publique : “[il] n’a aucun besoin d’être nettoyé, douché, séché, encore moins désinfecté, parfumé ou tout autre pratique barbare. C’est l’une des zones les plus propres de tout le corps humain.”) Bon, je ne vais quand même pas vous citer tout le livre, hein ? 

En résumé : que vous ayez envie d’explorer physiquement votre intimité ou simplement d’en apprendre plus sur cette intimité sans toutefois vous toucher, avec ce livre tout est possible. Plus qu’un guide, Connais-toi toi-même est une vraie leçon de vie et de biologie, parfaitement illustré par Suzie Q, et dont chaque chapitre représente une zone sensible du corps féminin (vulve, vagin, col de l’utérus, point G, périnée, ovaires, fluides, seins). 

Ce livre nous dit tout ce qu’on ne sait pas sur l’intérieur de nous-mêmes.

 

Jouissance ClubJouissance Club – Une cartographie du plaisir, June Plä, Marabout, 2020

par Marion Salort

Un beau jour où je réfléchissais en fumant une pipe et en fixant l’horizon, j’ai compris que ce n’était pas un hasard si nous faisions tous l’amour de la même façon. Comment pourrions-nous faire autrement puisque personne ne nous a expliqué comment faire. 

June Plä, illustratrice et character designer dans le jeu vidéo, s’est fait connaître sur Instagram grâce à son compte Jouissance Club. Suivie aujourd’hui par plus de 800 000 personnes, elle parcourt le corps et ses mystères en proposant, avec autant de finesse que son trait, une multitude de possibilités de vivre le plaisir sexuel.

Je n’ai pas peur de le dire, ce livre est une merveille graphique, technique et d’écriture ! Avant même de parler du sujet et de son intérêt, la forme est innovante et attrayante en soi : les textes sont vraiment drôles et inclusifs, notamment grâce aux sobriquets qu’elle donne aux personnages de son guide – Truc-Muche, Bidule, Machin-Chose – qui sont agenrés ; les couleurs de l’édition « deluxe » sont ultrapop (des pantones orange et bleu fluo qui donnent la pêche) ; les illustrations au trait sont simples, didactiques et ludiques… Ouvrir ce livre avec son ou sa partenaire promet une expérience décomplexante et chouette ! 

Le fond, maintenant : comment aimer le sexe sans passer par la case “pénétration” ? C’est-à-dire que oui, le plaisir n’est pas seulement procuré grâce à un pénis qui entre dans un vagin, et que “ce que nous appelons préliminaire est en réalité un acte sexuel à part entière”, nous rappelle Jüne. Tout ce qu’il y a autour de cette “sacrée” pénétration est autant, voire plus délicieux (c’est compter sans le fait que l’homme peut se détendre et arrêter de se mettre la pression pour avoir un sexe performant, ce temps-là, messieurs, est terminé !). Une fois donc compris que “sexe” n’est pas égal à “pénétration”, là, la vie n’en sera que plus belle. Et quand jouir de plaisir sera la conséquence d’une danse à deux, avec tout plein de doigts, et deux langues en plus, ce sera le paradis. 

Ce qu’elle appelle le “livre de recettes de cul qui manquait” est un merveilleux outil pour apprendre à sortir des convenances et à faire de la sexualité à deux un vrai moment de joie, de fantaisie et d’amusement. En préambule, elle rappelle aussi les fondements d’une sexualité épanouie : consentement, caresses, communication, créativité, don de soi, respect mutuel, écoute et observation. 
Avec Jouissance Club, entrez dans l’amour et la découverte sensorielle de votre corps et du corps de l’autre. Et comme le dit si bien June Plä, “ce livre est fait pour TOUT LE MONDE ! Sauf ceux qui n’aiment pas le cul”.

 

 

couv violaine dutropLe pouvoir insidieux du genre – Histoires courtes qui en disent long, Violaine Dutrop, Éditions Libre & Solidaire, 2021

par Marion Salort

Écrire un livre […], dans la perspective […] de partager une expérience qui pourrait épisodiquement se révéler familière et significative, favorisant parfois empathie et conscience de soi. Écrire dans le but de montrer dans la banalité des situations leur caractère systémique, la façon dont elles sont créées socialement, parfois bien loin des volontés conscientes, libres et éclairées. 

Vous ne le savez pas, mais j’adore les plans. C’est la première chose que je regarde quand j’ouvre un livre. Et ce plan-là me comble. 

Le Pouvoir insidieux du genre est en trois parties. La première, “Prologue”, est une présentation fournie du parcours personnel et professionnel de l’autrice, qui nous permet de comprendre le dessein de son ouvrage : faire voir toutes les inégalités subies par les femmes, mais aussi les hommes qui n’entrent pas dans le moule. La deuxième, “Histoire d’en parler”, est un florilège de récits que Violaine Dutrop a recueillis et transmet au public pour “nous aider à mettre au jour nos croyances limitantes. À déceler les ressorts de nos enfermements. De nos douleurs aussi. Et parfois les issues, une fois mises en lumière”. Et pour, surtout, “mettre à distance la dangereuse résignation”. Ces 59 courts récits, écrits en staccato, montrent tout : la violence sourde des paroles, la violence brute des coups, la violence sournoise des regards mal placés… Dresser la liste de tous ces thèmes prendrait trop de temps, mais vous avez compris l’idée. Ils montrent aussi qu’il existe des chemins pour être enfin respecté. La troisième partie, intitulée “Digressions utiles”, explique en chiffres et en détails les écarts persistants de revenus entre les femmes et les hommes. Aucune information n’est laissée au hasard : l’autrice met sous nos yeux ces inégalités de salaires et en montre les effets dévastateurs dans toutes les sphères de la société.

Violaine Dutrop aimerait qu’on ouvre enfin les yeux sur ces inégalités qui donnent le droit, encore aujourd’hui, de faire des femmes des êtres moins légitimes que les hommes, placées dans une pièce avec des rôles bien définis. Même en 2021, même avec la parole qui se libère, on comprend à travers ce livre que la lutte pour atteindre l’égalité n’est pas terminée.

 

 

Le Choeur des femmesLe Chœur des femmes, Martin Winckler, P.O.L, 2009

par Ana Ciotto

Vous voulez tout savoir sur le corps des femmes tout en lisant un bon roman ? Le Chœur des femmes est fait pour vous ! 

Jean Atwood est une jeune interne aux ambitions chirurgicales qui se retrouve, malgré elle, à devoir écouter de la bonne femme en pleurs… Confrontée à l’écart énorme entre tout ce qu’elle a appris sur les bancs de l’université et la réalité du terrain, une déconstruction personnelle va éclore, le tout en compagnie d’un vieux généraliste à la réputation douteuse…

 

 

C est mon corpsC’est mon corps, Martin Winckler, L’Iconoclaste, 2020

par Ana Ciotto

Vous voulez tout savoir sur le corps des femmes, de façon pragmatique avec des questions, des réponses, un index, une table des matières et des conseils clairs ? C’est mon corps est fait pour vous !

Un vrai guide pratique à mettre entre toutes les mains, de l’ado à la mamie en passant par les vôtres ! Bienveillance assurée, sources à l’appui, sans jugement ni morale.

 

 

americanahAmericanah, Chimamanda Ngozi Adichie, Gallimard, 2013

par Ana Ciotto

L’histoire se passe entre le Nigeria et les États-Unis. Ifemelu quitte son pays pour suivre un parcours universitaire prometteur sur l’autre continent, où elle va découvrir qu’elle est… noire. Noire dans un pays de blancs. Entre ses histoires d’amour et ses ambitions professionnelles, elle remet en question les codes de beauté occidentaux (la minceur, le rapport aux cheveux, l’exotisation de la femme racisée…) tout comme les rapports homme/femme et dominant.e/dominé·e. En perpétuelle recherche d’authenticité, elle n’est tendre ni avec son africanité ni avec son occidentalisation. Une histoire poignante loin des sentiers battus, qui fait réfléchir beaucoup plus loin que le bout de son nez.

 

 

 

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