Mesdames, vous voulez porter le pantalon ?
Alors demandez une permission de travestissement à la préfecture de police !
par Gilles Delalandre
Cette permission de travestissement a été rendue obligatoire par l’ordonnance (1) du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) et elle a été reconnue comme implicitement abrogée en janvier 2013.
Elle avait pour but d’interdire aux femmes de s’habiller en homme afin de mettre un terme à l’usurpation de l’identité masculine par les femmes ayant « l’intention coupable d’abuser de ce travestissement ».
Le préfet de police Louis Nicolas Dubois se dit « persuadé qu’aucune femme ne quitte les habits de son sexe pour cause de santé » et considère « que les femmes travesties sont exposées à une infinité de désagréments, et même aux méprises des agents de la police, si elles ne sont pas munies d’une autorisation spéciale ».
Petite histoire de cette ordonnance
La plus ancienne demande de permission de travestissement – conservée dans les archives de la préfecture de police (2) – est datée de 1806 : elle autorise la dénommée Catherine-Marguerite Mayer à s’habiller en homme pour monter à cheval.
En 1862, Adèle Sidonie Loüis se voit accorder cette permission « pour cause de santé ».
Les coupures de presse nous apprennent qu’entre 1850 et 1860, seules douze femmes bénéficièrent d’une autorisation et qu’en 1890, on dénombrait une dizaine de femmes titulaires de la permission.
Il semblerait que George Sand dut se plier à cette obligation. Elle explique en 1855, dans Histoire de ma vie, les nombreuses raisons de s’habiller en homme : c’était plus économique, plus grisant, plus sûr, plus stimulant pour une écrivaine qui s’approchait ainsi du monde des hommes entre eux.
C’était afficher aussi une liberté, délivrer un message sur l’image de soi et le refus de la condition faite aux femmes.
Artiste talentueuse mais assez méconnue, Rosa Bonheur aimait peindre des animaux. Pour cela, elle devait se rendre dans les fermes, les champs et les abattoirs pour la préparation de ses œuvres. Les vêtements féminins de l’époque étant bien trop encombrants, elle demanda et obtint la permission de travestissement (Rosa Bonheur, une artiste à l’aube du féminisme, Marie Borin, Éditions Pygmalion, 2011).
Cette interdiction a été partiellement levée, en 1892 et 1909, par deux circulaires autorisant le port féminin du pantalon « si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ».
Dès le début du xxe siècle, l’évolution des mœurs et les nouvelles habitudes vestimentaires rendent plus délicate la définition du travestissement de la femme et l’ordonnance de 1800 tombe en désuétude et n’est plus guère respectée.
Pourtant, en 1930, le procès de Violette Morris (sportive championne de pugilat, natation, cyclisme et water-polo) remet l’ordonnance de 1800 en lumière : la sportive est radiée de sa fédération sportive pour le « déplorable » exemple qu’elle donne à la jeunesse en portant le pantalon.
Malgré le jugement, la presse et le grand public sont majoritairement en sa faveur.
En 1969, un conseiller de Paris demande la « modernisation » de cette réglementation qui n’est plus appliquée. Dans son refus, le préfet de police estime « sage de ne pas changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité ».
Que cache ce refus ? Il l’avouera quarante ans plus tard : « Je trouvais la jupe ou la robe, revues par Christian Dior et Yves Saint Laurent, infiniment plus seyantes que le pantalon masculin, taillé le plus souvent dans un jean peu propice à l’élégance. » (Christine Bard, « Le droit au pantalon. Du pittoresque au symbolique », sur le site La Vie des idées, 1er mars 2013).
En 2003, à l’approche du bicentenaire de George Sand, un député demande à la ministre déléguée à la Parité et l’Égalité professionnelle, Nicole Ameline, de revenir sur cette loi ; cette dernière répond qu’« il ne lui paraissait pas opportun de prendre l’initiative d’une telle mesure dont la portée serait purement symbolique ».
Malgré une proposition de loi de députés du parti radical de gauche et apparentés déposée en avril 2010 et visant à supprimer les dispositions réglementaires qui interdisent le port féminin du pantalon, ce n’est que le 31 janvier 2013, en réponse à une question du sénateur Alain Houpert, que le ministère des Droits des femmes constate « l’abrogation implicite de l’ordonnance » en raison de son incompatibilité « avec les principes d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont inscrits dans la Constitution et les engagements européens de la France ».
Le ministère rappelle pour mémoire que cette ordonnance visait avant tout à limiter l’accès des femmes à certaines fonctions ou métiers en les empêchant de se parer à l’image des hommes.
Les origines de cette ordonnance
Christine Bard, historienne française spécialiste de l’histoire des femmes, du genre, du féminisme et de l’antiféminisme nous explique :
« Pour comprendre cette sévérité, Il faut prendre en compte le contexte de la décision de 1800. Le Code civil (1804), qui va renforcer le pouvoir des hommes et donner le statut de mineure aux femmes mariées, est en gestation. Actives pendant la Révolution, parfois armées et travesties, les femmes doivent rentrer dans le rang. Leur rappeler qu’elles doivent porter les vêtements de leur sexe est une manière de le leur signifier.
Décrétée le 7 novembre, l’ordonnance se situe entre la conspiration républicaine d’Arena, le 10 octobre, et l’attentat royaliste de la rue Saint-Nicaise (24 décembre). C’est donc dans un contexte particulièrement répressif que la décision est prise d’interdire plus efficacement « l’intention coupable d’abuser de son travestissement », c’est-à-dire d’usurper l’identité masculine. Elle peut être vue comme un des éléments du dispositif de contrôle de l’identité qui se renforce alors. »
Les hommes peuvent-ils se travestir en femme ?
Christine Bard :
« Pour les hommes, le travestissement, si on le distingue bien de l’effémination, est sans doute encore au début du XIXe siècle difficilement pensable. Les femmes gagnent en se travestissant des libertés que la société leur refuse, mais les hommes ? »
Au XXe siècle, c’est au contraire le travestissement des hommes, dans un climat d’homophobie et de réglementation officieuse de la prostitution masculine, qui attire l’attention des autorités.
À la Libération, une circulaire du ministre de l’Intérieur, Jules Moch, généralise la décision du préfet de police qui « interdit à Paris dans les bals publics et les cabarets les attractions ou spectacles dits de cabarets dits “de travesti” comportant le port de vêtements féminins par des hommes.
Aux termes de cette même décision, il est fait défense aux hommes de danser entre eux dans tous les lieux publics. »
En 1963, Paris Presse annonce que « Papon veut interdire le travesti ». Le préfet de police de Paris demande au ministre de l’Intérieur de déposer un projet de loi à l’Assemblée nationale visant à interdire le travesti. Selon un conseiller municipal de Paris, « il devient difficile pour un homme seul de faire le bout de chemin place Clichy-place Blanche, tant sont nombreux les homosexuels qui vous racolent. Ils ont des tenues extravagantes ; il est même difficile de savoir à qui on a affaire : certains ont des coiffures féminines très élégantes ; d'autres sont carrément travestis. »
Cette demande s’effectue dans un climat répressif : la loi du 30 juillet 1960 autorise le gouvernement à « lutter contre l’homosexualité », désormais reconnue « fléau social ». En 1966, L’Aurore, sous le titre « Les travestis : des malades mentaux », reprend des propos tenus au congrès mondial de la psychiatrie. On sait que, deux ans plus tard, la France acceptera la classification de l’Organisation mondiale de la santé qui fait de l'homosexualité une « maladie mentale ». C’est l’aboutissement d’une évolution commencée dans le dernier tiers du xixe siècle, et qui fera du travestissement une pathologie, souvent liée à l’« inversion sexuelle », et non pas un délit. »
En conclusion, on peut voir que cette répression du travestissement illustre les mécanismes du système patriarcal qui définit les règles imposées à chaque genre et l’interdiction d’en sortir.
Elle met clairement en évidence que ce système opprime les femmes mais aussi les hommes qui ne voudraient pas respecter les règles imposées à leur genre.
Pour approfondir les aspects historiques et juridiques de cette obligation :
- L’ordonnance du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) : https://www.cairn.info/revue-vacarme-2000-1-page-95.htm
- Le « DB58 » aux Archives de la préfecture de police, Christine BARD : https://journals.openedition.org/clio/258
- Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Le Seuil, 2010.
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Théroigne de Méricourt
On y découvre une femme qui porte des idées révolutionnaires et qui se bat pour les faire aboutir. Mais elle n’est pas une héroïne de roman. C’est une femme « comme les autres », avec des souffrances et des frustrations, des espoirs et des désillusions.
On a déjà bien progressé!
Connaissez-vous les pétroleuses ? Ces femmes qui ont joué un rôle majeur durant la Révolution française ?