Parties fines au musée d’Antalya
par Jacques-Rémy Girerd
Le musée d’Antalya (Turquie) conserve une extraordinaire (et mystérieuse) collection de sculptures antiques qui proviennent majoritairement du site archéologique de Perge (prononcer “Pergué”) en Pamphylie, site mis à jour à partir du milieu du siècle dernier.
Dans la plupart des musées présentant des sculptures antiques, l’action du temps nous prive fréquemment de l’intégralité anatomique des sujets exposés. Ici, un bras disparu, cassé net, là, un buste raccourci d’une tête, plus loin, un nez ébréché. Les marbres renversés par les actions humaines ou les tremblements de terre n’ont laissé que peu de chance aux parties morphologiques les plus fragiles. Bien des graciles micropénis de la plastique grecque codifiée ont disparu corps et biens.
Toutefois, ce qui frappe l’esprit du visiteur du musée d’Antalya, au-delà de l’enchantement produit par les œuvres millénaires hors du commun présentées, c’est l’état singulier et systématique des dégradations de l’anatomie intime de celles-ci, altérations qui ne ressemblent guère à des événements accidentels.
À côté des émasculations ou excisions ou castrations féminines constatées, les nez, les doigts de pieds et autres parties saillantes sont la plupart du temps en bon état ou relèvent de toute évidence de cassures conventionnelles, nettes et sans bavure. Je laisse au lecteur le soin d’apprécier les très nombreux et répétés coups de burins assénés de façon ciblée sur les parties génitales en marbre dur, particulièrement ceux martelés intentionnellement sur la surface originellement lisse de certains pubis féminins.
Dans ce systématisme perfectionniste appliqué à désintégrer les sexes desdites statues (hommes et femmes), on ne peut y voir qu’une action de censure ordonnée et dogmatique, une entreprise d’éradication symbolique, obsessionnelle, d’une glaciale violence : possiblement l’expression d’un puritanisme féroce, difficile à dater et, ici, enveloppé d’un silence muséo-normé assourdissant.
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Corps et graphie
Le corps humain est composé à 65 % de bouillon, enrichi de protéines, de suif, d’une bonne ration de sel, de sucre et quelques additifs plus ou moins réglementaires.