LE BEC MAGAZINE

Quand sexe rime avec cancer

07.06.2021

par Paule Boësen

moi nue

moi nue

Quand sexe rime avec cancer : et si au lieu d’avoir le pied dans la tombe, on le prenait?

Ça, c’est moi. Sans mon sein. Idéalement bien sûr car mes cheveux repoussent à peine en ce début d’été 2021, cils et sourcils sont presque inexistants. Je suis pas mal, n’est-ce pas ? 

Il y a un an, on m’a diagnostiqué un cancer du sein. À 34 ans. J’ai commencé par l’ablation totale de ce sein droit, puis par la chimiothérapie et enfin la radiothérapie. Scie, sex and sun…

L’image de soi est tellement chamboulée qu’il faut un certain aplomb et une bonne dose d’ego trip pour continuer à se trouver belle. À l’heure où j’écris ces lignes, je n’ai par exemple toujours pas résolu le drame du maillot de bain, et pas à cause des kilos en trop pourtant fréquents avec la chimio : prothèse externe collante ? Dans un maillot spécial ? Ne plus jamais aller à la plage ? Reconstruire le sein droit et remonter le sein gauche, les rembourrer au passage et s’élancer en bikini rouge, telle Pamela ?

S’en foutre et y aller telle quelle, sans se poser de questions, ne fait pas partie de mes options : certaines femmes y arrivent et je les admire profondément. Ce sont les héroïnes de la mastectomie ! Celles qui osent, comme celles qui ne s’épilent plus, assument leur alopécie (entendez, la perte des cheveux) ou se laissent pousser la barbe. Pour ma part, je ne peux me résoudre à rendre visible aux yeux de tous cette absence de sein.

Mutilée, avec cette tête de malade qui attire plus la pitié que le désir, les foulards sont loin de me faire bander alors que je rêve d’une chevelure au vent et de tétons qui pointent par paire. Et la féminité ne se questionne pas uniquement à travers notre apparence métamorphosée mais jusque dans notre production d’hormones : quand on n’a plus ses règles, notre corps devient étrangement improductif, comme inapte à procréer, et plus totalement féminin… Juste malade. La chimiothérapie provoque une ménopause précoce, avec de fortes bouffées de chaleur et une sécheresse vaginale importante. Les douleurs liées aux effets secondaires n’arrangent rien. Dans mon cas, le cocktail nausées, maux de tête, eczéma et courbatures persistantes ne donnent pas franchement envie d’une partie de jambes en l’air. La perte de libido générale induite est la touche finale bien réelle de ce tableau pas très glamour !

Faire l’amour paraît dès lors bien complexe. Se mettre nue ? Malheur, même dans le noir et sans les mains ! Avoir de l’énergie pour du sexe ? Boooof… Le sexe participe pourtant au sentiment de bien-être, et plus encore nous fait ressentir notre force vitale. On n’a plus le pied dans la tombe, on le prend ! 

Les orgasmes offrent une détente et un lâcher-prise qui permettent de tout oublier mais aussi de mieux supporter la douleur. Au début, je me suis beaucoup masturbée. J’avais besoin de ce plaisir solitaire. L’orgasme est aussi nommé “petite mort”. Comme si, en entrant dans cet état, j’allais m’évanouir et, par là même, ne plus être consciente, présente à la réalité. Une mort salutaire et heureusement éphémère. J’ai donc joué avec cette petite mort, la cherchant régulièrement le soir, au plus sombre de mon état, pour m’évader.

Et puis mon compagnon m’a mis un coup de pied aux fesses car il voulait participer ! Moi qui avais eu l’habitude de vivre avec un homme aux besoins modérés en matière de sexe, mon cancer l’a réveillé. Il me trouve toujours désirable, me dit que je suis belle et son regard plein d’amour me le prouve. Que c’est bon ! S’il avait peur de me faire mal en caressant mon torse, le temps passant après l’opération et un échange sur le sujet l’a détendu. Pendant les périodes de perte de libido, j’en ai profité pour me documenter histoire de me remettre le pied à l’étrier ! L’huile de coco nous a sauvés concernant le désert de Gobi qu’était mon vagin. Surtout, nous avons tenté de rester complices à travers des massages… y compris quand je n’avais pas envie d’aller plus loin.

La sexualité épanouie de la cancéreuse accomplie ? C’est un peu plus compliqué que cela. On est obligé de réussir sa vie, son couple et son cancer tant qu’à faire. On traverse seule ce type d’épreuves, et le compagnon peut rester sur le côté. Il est parfois douloureux de lui parler du cancer. J’avais peur de lui faire de la peine en racontant mes maux. C’est pourtant mieux que le silence qui le rend encore plus nerveux ! Dire que ça ne va pas mais que ça ira mieux, que ma déprime n’est pas de sa faute (sauf pour la vaisselle pas faite). À un moment, j’ai eu envie de foutre mon couple en l’air (à cause du cancer ? de la vaisselle ?). J’ai tout questionné, mon métier, mon lieu de vie, mon couple. Un grand égoïsme s’est emparé de moi, comme si j’avais été en sommeil auparavant. Je ne supportais plus ce sur quoi j’avais fermé les yeux. Il faut que cette vie vaille la peine d’être vécue puisqu’elle est si fragile. Le cancer vient tout remettre en cause. Mon compagnon m’en a beaucoup voulu pour cet égoïsme, lui qui a géré la vie quotidienne pendant ces longs mois avec les enfants. Il m’a avoué avoir du désir pour d’autres. Pas hyper classe vu la période… La séparation était possible. La pulsion de vie est si forte qu’on est tenté d’agir sans forcément réfléchir. Il avait envie de liberté autant que moi. J’ai écouté le conseil de ne pas prendre de décision précipitée. Partir en vacances sans lui et me retrouver. Puis, à deux, nous continuons de composer notre musique commune, en discutant beaucoup, avec des gestes tendres et grâce à l’aide extérieure de professionnels. L’harmonie reste précaire car à l’heure où j’écris ces lignes, nous poursuivons notre travail. On s’accroche. 

 

maman

maman

 

Ma fille a dessiné ce portrait de moi. Réaliste. Un bonnet, des bijoux. Un sein, une cicatrice. Avec ce titre : “Maman”. Aurais-je eu ce cancer sans mes deux grossesses, véritables boums hormonaux ? Il m’a fallu accepter le souvenir étrange de cette boule que je sentais déjà en allaitant mon fils, il y a quatre ans. Était-ce déjà ma tumeur ? Une simple mastite ? Pourtant, je suis tellement heureuse d’être mère. Les traitements peuvent faire perdre à la femme tout ou partie de sa fertilité, et on propose aux jeunes qui ont un cancer de recourir à une conservation d’ovocytes avant la chimiothérapie. J’imagine la tête du type avec qui tu sors depuis six mois : “Et si tu te faisais congeler tes spermatozoïdes avec mes ovules, au cas où ?” Ayant deux beaux enfants comblant nos désirs de parentalité, j’ai préféré ne pas faire cette conservation. Fermer la porte de la maternité nous fait entrer dans la vieillesse. Il en est de même pour la ménopause précoce induite par l’hormonothérapie que je vais prendre pendant cinq ans. À 35 ans, je ne me considère pas comme âgée. Cette distension entre mon âge et la réalité de mon corps est effrayante. Le cancer, même une fois la tumeur enlevée, me rapproche encore de la mort. En discutant avec mon radiothérapeute, il m’a rassurée, pour moi et les autres femmes. Il a un mur rempli de photos de bébés dans son bureau, et il est bien en service oncologique, pas à la maternité. Mon corps va fonctionner différemment, certes, mais je dois garder une contraception, le petit dernier peut arriver naturellement par surprise ! 

J’ai pensé tatouer une voie lactée sur ma cicatrice. Pour graver cette image maternelle de donner le sein, reprendre le contrôle de ma chair, sublimer ma maladie avec un dessin artistique et évocateur, raconter cette histoire univers-elle, infinie et construire ma nouvelle identité… Il est trop tôt et je vais être indulgente avec moi-même, prendre le temps. Aujourd’hui, je me reconstruis dans ma tête et qui sait, demain, je reconstruirai aussi mon sein. Mon corps entier est bien vivant, il est toujours mon meilleur allié pour me faire du bien, avec ou sans les mains, les miennes ou les siennes, avec ou sans mon sein.

 

Paule Boësen

 

 

 

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