LE BEC MAGAZINE

Abeille fleur capote 1

L’abeille, la fleur, la graine et la capote

11.06.2021

par TOBU

 

Le sexe, comme toutes les autres activités olympiques, doit impérativement commencer dès le plus jeune âge. Ne vous méprenez pas : je ne parle pas de pratique effective et il n’est pas question ici d’acheter un gode-ceinture au petit Nicolas pour ses 5 ans, ni de mettre des miroirs au plafond de la chambre de la petite Lucette. Tout viendra si vite, n’accélérons pas !

Non, je fais référence ici à la première pierre de l’édifice, le socle sur lequel se reposeront les tâtonnements de nos rejetons lors de leur adolescence : l’éducation sexuelle. 

Ainsi, la question à mille euros du fiston, criée ce matin depuis le fond du couloir, alors que j’avalais ma première gorgée de café coupé à l’alcool à 90 : 

Papaaa, c’est quoi ça ? 

Somme toute bénigne, cette question. 

C’est quoi “quoi”, fiston ?, lui répondis-je donc mécaniquement en lorgnant sur ma tartine désinfectée à l’azote liquide. 

Ce truc que j’ai trouvé là, dans ton portefeuille papa, me répond-il, non moins mécaniquement, en relevant son masque à gaz pour que je comprenne ce qu’il disait. 

Une petite tension me parcourt alors l’échine : si le nabot commence à fouiller dans mon larfeuille à six ans, l’adolescence promet de ne pas être un long fleuve tranquille, surtout quand il voudra acheter son shit en Bitcoins avec ses lunettes virtuelles et mon code PIN. 

Sur cette réflexion, j’ingurgite une deuxième gorgée de café puis tourne la tête vers le “ça” que mon nain remue maintenant sous mon nez. 

Une capote. 

Je précise : encore dans son emballage. Le contraire aurait mis en relief une décision assumée de la part de ma compagne de pratiquer le polyamour dans la chambre des enfants, le cul criblé par les cornes des Tricératops en plastique qui jonchent l’appartement. C’eût été une prouesse !

Une capote donc, sous mon nez, une tartine dans la main, le beurre dans l’autre et le regard curieux de la petite belette, qui ne bougera pas avant d’avoir reçu une réponse compréhensible. 

Premier réflexe : esquive rotative et noyade de poisson – du requin-baleine –, en mettant le paquet sur la puissance des mots : 

Dis-moi minus, tu veux regarder quoi comme DESSIN ANIMÉ cet après-midi, un DESSIN ANIMÉ avec des DINOSAURES, des MARSUPILAMI et des ÉPÉES de PIRATES ?  Tu pourras même en voir CINQ D'AFFILÉE. 

Bon, là je sais que je l’ai sonné, le machin est dans les cordes, il faut viser le KO: 

Tout à l’heure, j’irai acheter une PIZZA aux BONBONS pour regarder tout ça. 

Le nain chancelle, les cheveux hérissés, la bave aux commissures des lèvres et les yeux révulsés : c’est du bon travail. Je relève la tête et rouvre le journal en ajustant ma pipe. L’orage est passé. Pas une goutte sur ma tartine. La journée s’annonce prometteuse. Je vais d’ailleurs peut-être même l’utiliser cette capote, tiens….  

Oui, d’accord pour les bonbons papa, mais c’est quoi ça ?

Rhâââ, cette petite voix fluette, cette innocence, cette ténacité déplacée aussi… Ai-je pour autant le droit de lui voler sa quiétude intérieure en lui disant que c’est pour recouvrir ma bite lorsqu’une dame est à poil devant moi ?

Non, suivant à la lettre les préceptes Montessori, j’opte pour la voie de l’image, plus apte à faire comprendre les concepts-clés aux enfants : 

Bon, écoute, c’est un genre de petit sac dans lequel les grands enferment les enfants microscopiques qui n’ont pas été sages. 

Tiens, prends ça ! Les abeilles, les fleurs et  les graines : dans vos fions ! Si tant est que les abeilles, les fleurs et les graines aient un fion, certes, mais c’est une autre question. Quoi qu’il en soit, en voilà de l’éducation sexuelle, mon garçon ! 

Le marmot tourne alors la tête vers Gaston, son frère d’un an, qu’il considère comme le plus petit truc existant dans l’univers, puis regarde l’emballage encore dans sa main : je vois bien qu’il imagine son père rangeant Gaston dans la capote parce qu’il a cassé un verre. Et je sens comme un petit doute flotter dans le fond de ses pupilles. 

Quoi ? Tu ne me crois pas ? 

Non, parce que je sais quesque c’est ! qu’il me balance. 

Et tu veux pas m’le dire parce que tu veux pas que j’le mange ! qu’il enchaîne. 

Effectivement, il n’a pas tort : ça me ferait un peu chier de tomber sur mon gamin en train de mâchouiller de la capote périmée. 

C’est un gros chewing-gum papa ! Pas vrai, pas vrai ?! 

Donne ça tout de suite, j’ai dit pas de chewing-gum avant ta puberté, crétin ! 

Il était donc 8 heures 06, ce matin, quand j’ai fait face à ma première conversation sérieuse sur le sexe avec mon enfant. Ça marque. Je crois qu’il a compris les grandes lignes. Peut-être faudra-t-il peaufiner dans les années qui viennent. En toute franchise et sans tabou. Bien entendu. 

 

 

 

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